L'insistance du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à exiger une reconnaissance d'Israël comme «Etat juif» et du président palestinien Mahmoud Abbas à la refuser menace de saborder l'initiative de paix du secrétaire d'Etat américain John Kerry. «Je ne présenterai pas (aux Israéliens) un accord qui ne prévoirait pas l'abolition du droit au retour et une reconnaissance par les Palestiniens de l'Etat du peuple juif», a prévenu mardi M. Netanyahu. «A la lumière des dernières déclarations des Palestiniens, on s'éloigne d'un accord», a-t-il ajouté, leur en imputant la faute. Le Conseil révolutionnaire du Fatah, le mouvement nationaliste de Mahmoud Abbas, a approuvé lundi par acclamation le refus du président palestinien de «reconnaître la judéité de l'Etat d'Israël», déjà appuyé par les ministres des pays membres de la Ligue arabe. M. Abbas, qui doit être reçu le 17 mars par le président américain Barack Obama, a assuré dans un discours qu'à «l'âge de 79 ans», il n'allait «pas céder sur les droits de son peuple ni trahir sa cause», selon des participants à la réunion. M. Netanyahu a fait de cette revendication un élément cardinal d'un accord de paix, assurant que la «racine du conflit» entre les deux peuples est le rejet arabe d'un Etat juif, et non l'occupation des Territoires palestiniens depuis 1967. Les dirigeants palestiniens se refusent à ce qu'ils considèrent comme une capitulation sur ce qu'ils ont de plus sacré, le souvenir de la «Nakba» (catastrophe) des 760.000 Palestiniens forcés à l'exil en 1948 lors de la création d'Israël, et leur «droit au retour». Ils rappellent également qu'ils reconnaissent déjà l'Etat d'Israël depuis 1993 et que cette exigence n'a été présentée ni à l'Egypte ni à la Jordanie, les deux pays arabes signataires d'un traité de paix avec Israël. -»Tactiques dilatoires» La question fait débat en Israël même, où le président Shimon Peres a déploré en privé une condition «superflue susceptible de faire échouer les négociations». Un éditorialiste et ancien rédacteur en chef du quotidien de gauche Haaretz a, lui, reproché à M. Netanyahu de vouloir «par son insistance faire ingurgiter de force aux Palestiniens sa version contraignante du sionisme». «Beaucoup d'Israéliens et de Palestiniens pensent que l'évocation par Netanyahu de ‘l'Etat juif' visait délibérément à ralentir les négociations ou saboter un accord», a-t-il ajouté. Mais un commentateur du même journal soutenait récemment la position du Premier ministre, tout en reconnaissant que «les Palestiniens n'abandonneront pas leur revendication du droit au retour. Le traumatisme de la Nakba est leur traumatisme fondateur et c'est l'expérience des réfugiés qui les a façonnés». C'est d'ailleurs pour cette raison, plaidait-il, qu'ils «doivent reconnaître que le peuple juif est un peuple de cette terre et n'est pas arrivé de Mars», ajoutant: «Les Palestiniens doivent concéder que les Juifs ne sont pas des colonisateurs mais des voisins légitimes». Un autre chroniqueur a récemment comparé les «tactiques dilatoires» du Premier ministre israélien à «un vrai couteau suisse: compact, à lames multiples et résistant», tout en avertissant que cette arme pourrait se retourner contre M. Netanyahu. Certes, l'insistance sur l'Etat juif «détourne l'attention de l'expansion galopante des colonies, tout en plaçant sur la défensive les Palestiniens, dont les raisons de refuser sont valides mais complexes», expliquait-il. «Mais que se passera-t-il si l'ultimatum sur la reconnaissance suffit à saborder une bonne fois pour toutes la solution à deux Etats?», interroge-t-il, faisant état d'une récente enquête sur l'opinion publique américaine, très favorable dans cette hypothèse à un Etat binational, et par conséquent non exclusivement juif. L'administration américaine, jusqu'à présent acquise à une reconnaissance de la judéité d'Israël, paraissant désormais mesurer le danger pour «l'accord-cadre» auquel travaille M. Kerry, a souligné que cette question dépendait d'une entente entre les négociateurs israéliens et palestiniens. Les négociations de paix, qui ont repris en juillet 2013 après trois ans de suspension et sont dans l'impasse, sont censées déboucher d'ici à fin avril sur un «accord-cadre» traçant les grandes lignes d'un règlement définitif sur les questions les plus sensibles: les frontières, les colonies, la sécurité, le statut de Jérusalem et les réfugiés.