Les Etats-Unis ont renoncé à obtenir une déclaration du Conseil de sécurité de l'ONU condamnant l'escalade des bombardements contre Alep (nord de la Syrie), devant l'opposition de la Russie, tandis qu'un rapport de la Commission internationale d'enquête des Nations unies pour la Syrie publié jeudi à Genève souligne que les disparitions forcées menées par les forces gouvernementales syriennes constituent un crime contre l'humanité. Le projet de déclaration américain exprimait l'»indignation» du Conseil devant l'offensive de l'armée de l'Air syrienne, qui bombarde depuis cinq jours les quartiers rebelles d'Alep. Cette déclaration, non contraignante, devait recueillir l'approbation des 15 pays membres pour être adoptée. Mais Moscou a une nouvelle fois protégé son alliésyrien, refusant toute mise en cause du régime dans la déclaration, et Washington a donc retiré son texte. Dans le projet, les pays-membres dénonçaient plus particulièrement l'utilisation à Alep de missiles Scud et de «barils d'explosifs». «Nous sommes très déçus qu'une déclaration exprimant notre indignation collective devant les méthodes brutales employées par le régime syrien contre des civils ait été bloquée», a déclaré Kurtis Cooper, porte-parole adjoint de la mission américaine à l'ONU. L'utilisation de barils d'explosifs «souligne encore davantage la brutalité du régime Assad», a-t-il ajouté. «Le moins que le Conseil de sécurité puisse faire serait de condamner ces atrocités». Le Conseil est toujours profondément divisé sur le conflit. La Russie et la Chine ont par trois fois opposé leur veto à des résolutions occidentales qui accentuaient la pression sur le président syrien Bachar al-Assad. Selon des diplomates, Moscou s'oppose aussi à ce que le Conseil réclame un meilleur accès humanitaire en Syrie. Des pays arabes d'un côté et le Luxembourg et l'Australie de l'autre ont proposé des projets de déclaration en ce sens. Mais la Russie «s'est dit prête à y mettre son veto sans même les lire», a indiqué un diplomate occidental. Luxembourg et Australie ont finalement baissé les bras, craignant, s'ils s'obstinaient, de nuire aux préparatifs de la conférence de paix sur la Syrie. Celle-ci doit s'ouvrir le 22 janvier en Suisse. Une réunion préparatoire doit se tenir vendredi à Genève entre le médiateur international Lakhdar Brahimi et de hauts responsables russes et américain. Après cette réunion, l'ONU doit annoncer la liste des participants à la conférence, et se prononcer notamment sur la présence de l'Iran et de l'Arabie saoudite. Selon le porte-parole adjoint de l'ONU, Farhan Haq, la réunion de vendredi sera suivie de consultations avec les ambassadeurs des cinq pays membres permanents du Conseil, la Ligue arabe, l'Union européenne et les pays voisins de la Syrie. Lakhdar Brahimi a prévu de s'adresser vendredi à la presse à Genève. Les disparitions forcées menées par les forces gouvernementales syriennes constituent un crime contre l'humanité, estime un rapport de la Commission internationale d'enquête des Nations unies pour la Syriepublié jeudi à Genève. «Il y a de bonnes raisons de croire que les disparitions forcées commises par les forces gouvernementales dans le cadre de vastes et systématiques attaques contre la population civile constituent un crime contre l'humanité», affirme le rapport. Dans un document de dix pages, la commission d'enquête, présidée par le juriste brésilien Paulo Sergio Pinheiro et dont l'ancienne procureure internationale la Suissesse Carla del Ponte est membre, accuse les autorités de Damas d'avoir pratiqué des disparitions forcées depuis le début des troubles, en 2011. Cette campagne d'intimidation a été utilisée comme une tactique de guerre, accuse la Commission. «Des civils, en majorité des hommes adultes, ont été enlevés par les forces armées et de sécurité syriennes ainsi que par les milices pro-gouvernementales lors d'arrestations de masse, de perquisitions des domiciles, aux barrages et dans les hôpitaux», souligne le rapport de cette Commission d'enquête mise en place par le Conseil des Droits de l'Homme de l'ONU. «Les enlèvements avaient souvent un caractère punitif, en visant les membres de la famille de déserteurs, de militants, de combattants et de personnes donnant des soins médicaux aux opposants», selon le rapport. Les autorités refusent de fournir des informations sur les disparus, et dans certains cas des membres de la famille qui se sont adressés aux services de sécurité ont eux mêmes été arrêtés, poursuit le document. Dans tous les cas documentés par la commission, les personnes disparues ont été soumises à la torture pendant leur détention. «Cela démontre une tendance très inquiétante d'utilisation systématique de la torture», affirment les membres de la Commission. Ils ne précisent pas combien de disparitions forcées se sont produites mais une source proche de l'enquête a précisé que la Commission a étudié une centaine de cas et elle estime leur nombre total à plusieurs milliers. En septembre le Comité International de la Croix Rouge avait indiqué avoir reçu un millier de demandes sur des disparus de la part de familles, estimant qu'il ne s'agissait que de la partie visible de l'iceberg. Depuis la dernière année, certains groupes de l'opposition armée ont pris de plus en plus d'otages pour des échanges de prisonniers ou des rançons, relève aussi la Commission qui note qu'on ne peut parler de «disparitions forcées» dans la mesure où la situation des victimes n'est pas cachée aux familles. Mais ces derniers mois certains groupes se sont livrés à des pratiques qui sont assimilables à des disparitions forcées en violation du droit humanitaire international, estime le rapport. La commission d'enquête, créée en août 2011 par le Conseil des droits de l'homme, regrette une nouvelle fois que les autorités de Damas continuent de lui refuser l'accès dans le pays. Elle publiera son prochain rapport complet en février et il sera discuté à la session du mois de mars du Conseil des droits de l'homme.