«Mon Dieu, gardez-moi de mes amis, quant à mes ennemis, je m'en charge ! », disait Voltaire. Ali Anouzla, directeur du site d'actualité «Lakome», poursuivi pour apologie du terrorisme après avoir publié une vidéo propagandiste d'AQMI, ne doit pas en penser actuellement moins. Après avoir décidé de fermer «Lakome» pour ne pas avoir à assumer la responsabilité des écrits qui y sont publiés alors qu'il est en état d'arrestation, selon les termes de son communiqué publié le 14 courant sur un autre site d'information, «Goud» en l'occurrence, Anouzla a dû être bien surpris de lire un communiqué dédicacé «Lakome » publié le lendemain, annonçant que le site allait quand même rester en activité, Aboubakr Jamaï assumant la direction des deux versions, l'arabophone et la francophone. Il a fallu l'insistance de l'avocat de Ali Anouzla pour que le site en question arrête effectivement ses activités, comme décidé par son directeur. Auparavant, c'était le journaliste Hamid Mahdaoui qui avait dû démissionner de la rédaction du site face au refus de Jamaï d'appliquer la décision de fermeture de M. Anouzla. Il est intéressant d'observer la réaction de Aboubakr Jamaï, nonobstant le fait que l'arrêt des activités de «Lakome» qui lui sert de fond de commerce et de rampe de lancement de missiles contre les institutions de son pays, n'a pas été, de toute évidence, à son goût. Dans un communiqué de presse publié vendredi dernier, il a indiqué que «la décision d'Ali me laissait d'autant plus perplexe que la manière dont elle a été exécutée nous était à moi et à Lakome particulièrement hostile» ! A. Jamaï clame ainsi sa bonne foi à propos du fait d'écarter Anouzla de toute responsabilité dans «Lakome» et d'en prendre seul les rennes, décision qui serait motivée par la volonté de protéger son «ami» et rassurer ses proches. «Il ne s'agissait en aucune manière d'un "coup d'état" contre Ali» ! Il n'explique pas, toutefois, pourquoi a-t-il fallu à Mahdaoui, avant qu'il ne démissionne de «Lakome», lui forcer la main pour que le communiqué de son «ami» Ali, annonçant sa décision de fermer le site, soit publié. Mais honni soit qui mal y pense. Aboubakr Jamaï, ancien directeur du défunt «Journal hebdo», n'a pas ménagé ses efforts pour défendre la «cause» de Ali Anouzla, on en profitant surtout pour diffuser ses positions affichées à l'encontre du régime marocain et de son système politique. Pendant que Anouzla croupit dans sa cellule de prison, en attente de la décision de passer ou pas devant un tribunal, Jamaï «milite» en faveur de son «ami» en enchaînant rencontres et conférences de presse dans les capitales mondiales (qui finance?), sauf que c'est plutôt pour dénigrer le régime marocain. Curieusement, Jamaï explique à ses auditeurs étrangers que «l'affaire Ali Anouzla, à mon avis, est une affaire parmi d'autres qui montre que le régime est en train de revenir à ses anciennes méthodes». La soi disant campagne en faveur de son «ami Ali» n'est donc plus qu'une affaire parmi d'autres... Se serait donc plutôt en faveur de toute «la presse indépendante» que M. Jamaï s'est érigé en défenseur. Indépendante ? «Ce sont des financements et des soutiens qui arrivent de l'étranger» précise Jamaï à propos du site d'information «Lakome». La presse électronique nationale serait-elle visée par les autorités, comme le prétend Aboubakr Jamaï ? Il suffit de constater par soi même le dynamisme de la «blogosphère» marocaine, qui reflète une multitude diversifiée d'opinions politiques, pour se rendre compte de ce qu'il en est en réalité à ce sujet. Mais peut être faudrait-il d'abord se mettre d'accord sur la définition de la presse électronique dont il est question. «La presse électronique est notre maquis», a clairement expliqué Jamaï ! Voici, donc, la conception qu'il s'en fait, dans une certaine confusion de genre entre journalisme et guérilla. Celui qui a estimé hostile à son encontre l'application de la décision de Ali Anouzla de fermer «Lakome», livre à ses auditeurs étrangers sa vision manichéenne de la sociologie politique du Maroc, avec ses «gentils» défenseurs de la révolution et la liberté d'expression, allégrement confondues en l'occasion, et les «méchants» attachés à la stabilité politique, présentés comme forcément thuriféraires de la répression. Selon Aboubakr Jamaï «la ligne de fracture en termes d'anti et de pro Ali Anouzla se situe entre ceux qui sont en faveur d'Ali Anouzla, qui ont soutenu la réforme avant les projets de démocratisation, qui n'ont pas accepté la réforme constitutionnelle telle qu'elle est parce qu'elle "n'est pas démocratique", et ce sont des progressistes, laïcs et islamistes mais qui sont en faveur de ce qu'on appelle chez nous le mouvement du 20 février, en faveur du Printemps arabe ; et de l'autre côté, ceux qui sont du côté de la monarchie qui, eux, condamnent Ali » ! Il est bien vrai que seuls des 20 févriéristes, soutenus par des groupuscules gauchisants, pourraient appuyer la diffusion d'une vidéo d'AQMI appelant à l'accomplissement d'actes terroristes au Maroc, conformément à leur apocalyptique «printemps arabe». Et il est tout aussi vrai que les monarchistes marocains ne souhaitent pas du tout voir leur pays plongé dans le chaos et les bains de sang et sont on ne peut plus fiers d'avoir mené pacifiquement à bien la réforme constitutionnelle du Royaume, un modèle de démocratisation réussi dans une région déchirée par de sanglantes révolutions. Ils n'ont pas non plus envie de voir les quelques illuminés marocains du jihad qaïdiste revenir appliquer au Maroc les techniques terroristes apprises en Syrie et ailleurs. Mais il n'y a pas que les monarchistes marocains qui sont accusés de ne pas chercher à participer à la thérapie révolutionnaire du «chaos créatif», que Aboubakr Jamaï rêve de voir appliquer au Maroc à la faveur du «printemps arabe». Des militants marocains des droits humains voient leur crédibilité mise en cause, alors que les élites politiques françaises sont, elles, accusées de «complicité» ! En résumé, dans la vision de Jamaï, qui ne soutient pas la «révolution» est forcément contre la démocratie et la liberté d'expression. Mais... et Anouzla dans tout ça ? Serait-il bien là ou il est pour servir de prétexte à une tournée de conférences de presse à travers des capitales étrangères, pour noircir l'image du système politique marocain et prêcher l'extension du «printemps arabe» au Maroc sous les projecteurs des médias ? La «cause révolutionnaire» a peut être besoin du sacrifice... des autres ! Déconcerté par la volonté de Ali Anouzla de ne pas jouer le rôle du «héro malgré lui», Aboubakr Jamaï s'interroge : «je suis dans une situation extrêmement compliquée. Je n'arrive pas à lire la nouvelle stratégie d'Ali» ! Yasser AYOUBI