Au Maroc, la confection de grosses productions cinématographiques de type «Lawrence d'Arabie» avait commencé à s'implanter dès 1949 avec «La rose noire» de Henry Hathaway, brillant et créatif réalisateur américain, d'une personnalité artistique néanmoins sujettes de fluctuations. Cette super production regroupait, comme comédiens Orson Welles, Tyrone Power, Jack Hawkins, Michael Rennie et Cécile Aubry, femme- enfant que révéla «Manon» (1948) de Henri-Georges Clouzot et future mère de Mehdi Glaoui. Si Clouzot avait gagné le Tafilalet pour y décrire un coin de Palestine, Hathaway, lui, était allé chercher dans le Sud du Maroc la Chine du 12ème siècle. Jack Cardiff photographia «La rose noire» que personne n'eut l'idée de considérer comme film historique sous prétexte que les acteurs étaient costumés: l'histoire se passe en 1230 sous le règne d'Edouard 1er. En dépit de couleurs soignées, d'excellents truquages par maquettes pour les horizons dans les plans d'ensemble, d'un Orson Welles cocasse, grimé en une sorte de Gengis Khan de fantaisie, clignant de l'œil au public, «La rose noire ne passa pas à la postérité. Séduit par le pays, Welles décida d'y filmer son «Othello»(1949), peut-être le seul authentique chef-d'œuvre de l'écran tourné en Afrique du Nord par un étranger. Son rôle de «La rose noire» lui ayant rapporté plus de 25 000 livres, il investit sitôt cette somme dans le film. Celui-ci connut bien des déboires avant d'être présenté trois ans plus tard. Il y eut tout d'abord le choix de Desdémone. L'Italienne Lea Padovani, la première pressentie pour le rôle, se désista. Lui succédèrent deux ou trois actrices anglaises qui ne firent pas l'affaire. Puis Welles crut trouver en Cécile Aubry la Desdémone idéale mais l'actrice était déjà sous contrat. Anatole Litvak lui présenta alors l'Américaine Betsy Blair. Plus d'argent dans la caisse, on dut stopper les prises de vue. Finalement, c'est la Canadienne Suzanne Cloutier qui l'emporta. La plupart des acteurs étaient d'origine anglaise. Quant à l'équipe technique, elle réunissait des opérateurs et des maquilleurs italiens, une script-girl suisse, un décorateur français (Alexandre Trauner). A Mogador (Essaouira), Orson Welles recruta le maximum de main-d'œuvre: les régisseurs, électriciens, machinistes, habilleurs, menuisiers, représentaient cinq nationalités différentes. Les prises de vue eurent lieu à Mogador, mais aussi à Safi et Mazagan, sans oublier Venise. Jamais, sans doute, un film ne rencontra autant d'obstacles matériels. C'est ainsi que la terrible séquence du meurtre de Roderego fut, faute de costumes, filmée dans les bains maures (Hammam) de Mogador. «Othello» fut réalisé pauvrement, avec des costumes rapiécés, des figurants bénévoles, dans de véritables palais, parce que, construire un décor eut été trop onéreux. Monté et synchronisé à Paris, à Rome, à Londres, avec les cachets du «Troisième homme», «Othello» affronta Cannes sous les couleurs marocaines. Ses cadrages insolites, son montage volontairement heurté, son interprétation éblouissante en firent une œuvre de tout premier plan dont l'unité, à la fois de style et de photographie, ne fut nullement perturbée, chose curieuse, par les avatars subis lors du tournage.