Au moins 72 Egyptiens ont été tués samedi dans des affrontements au Caire, les plus meurtriers depuis la destitution du président Mohamed Morsi, suscitant une vague d'avertissements au nouveau pouvoir, déterminé à mettre fin à la contestation des islamistes. Selon un dernier bilan du ministère de la Santé, 72 personnes ont été tuées et plus de 400 blessées dans les affrontements. Des journalistes avaient compté dans la matinée 37 morts dans un hôpital de campagne des islamistes, où les médecins ont précisé que tous avaient été touchés par balles. La police a fait état d'une cinquantaine de blessés dans ses rangs. Les affrontements, dont les deux camps se sont rejeté la responsabilité, ont éclaté quelques heures après la dispersion des manifestations massives rivales vendredi des partisans de l'armée et des Frères musulmans, la formation de M. Morsi. Des pro-Morsi partis de leur campement à la mosquée Rabaa al-Adawiya ont tenté de bloquer la circulation à un pont routier et se seraient heurtés à des habitants, selon le ministère de l'Intérieur. La police est intervenue pour s'interposer et n'a «utilisé que du gaz lacrymogène», selon le ministère, laissant entendre que pro-Morsi tués l'avaient été par des habitants. Des témoins disent que les forces de sécurité ont abattu des dizaines de partisans du président déchu Mohamed Morsi samedi à l'aube au Caire. Les fidèles du président déchu ont en revanche incriminé des «policiers en uniforme agissant aux côtés d'hommes de main», tirant des balles réelles et de la chevrotine. Les Frères musulmans ont condamné dans un communiqué un «massacre inhumain», assurant qu'il ne ferait «que renforcer (leur) détermination à refuser le coup d'Etat et exiger le retour de la légitimité incarnée par le président élu», tout en «affirmant pour la centième fois le caractère pacifique de (leurs) manifestations». Samedi soir, les milliers de pro-Morsi qui campent à Rabaa al-Adawiya ont rompu le jeûne du ramadan dans le calme en s'apprêtant à y passer une nouvelle nuit. Ils ont déployé des banderoles avec le mot «pacifique». Un peu de retenue SVP ! Au nom des Etats-Unis, le secrétaire d'Etat John Kerry s'est dit «très inquiet» par cette dernière «explosion de violence», qui porte à plus de 300 le nombre de tués dans les troubles politiques en un mois, rappelant les autorités à leur «obligation morale et légale de respecter le droit de manifester de manière pacifique». Lors d'une conversation téléphonique avec le chef d'état-major des forces armées égyptiennes, le général Abdel Fattah al Sissi, par ailleurs ministre de la Défense, le chef du Pentagone a demandé aux autorités de faire preuve de «retenue» et de «prendre des mesures pour empêcher tout nouveau bain de sang». En Egypte même, des personnalités de premier plan qui ont soutenu le renversement de M. Morsi le 3 juillet ont laissé percer leur inquiétude face au risque d'escalade entre l'armée et les islamistes, qui s'accusent mutuellement de mener le pays à la guerre civile. La plus haute autorité musulmane d'Egypte, l'imam d'Al-Azhar cheikh Ahmed Al-Tayeb, a demandé une «enquête urgente» sur ces violences, et le vice-président du pouvoir de transition, le Prix Nobel de la Paix Mohamed El Baradei, a «condamné le recours excessif à la force». Le «moins de pertes possible» Faisant redouter de nouveaux heurts sanglants, le ministre de l'Intérieur Mohamed Ibrahim a annoncé la dispersion «très prochaine» des deux campements au Caire où se sont installés des milliers de partisans de M. Morsi depuis son renversement. Il a promis une intervention «dans le cadre de la loi» et «le moins de pertes possible», mais a appelé les protestataires à quitter les lieux d'eux-mêmes «pour éviter que le sang ne coule». Pour le porte-parole de l'Intérieur, la réponse massive à l'appel du chef de l'armée, le général Abdel Fattah al-Sissi, à manifester vendredi pour lui donner «mandat d'en finir avec le terrorisme», démontre que le peuple «souhaite une stabilisation sous la protection de l'armée». Mais les partisans de M. Morsi voient dans les violences «le résultat direct du prétendu mandat réclamé par Sissi», maître d'oeuvre du renversement du premier président d'Egypte élu démocratiquement. Le Front du salut national (FSN), principale coalition politique de gauche et libérale laïque, a exprimé sa «tristesse» après les violences meurtrières, mais a dénoncé «l'attitude provocatrice» des Frères musulmans. «Le général Sissi est l'homme fort du nouveau régime» et «jouit du soutien d'une grande partie de la population en raison de son action contre les Frères musulmans», souligne Moustafa Kamel el-Sayyed, professeur de science politique à l'Université du Caire. Par ailleurs, un civil a été tué et un policier a succombé à ses blessures dans la péninsule du Sinaï, selon des sources de sécurité. Un «mépris criminel» de la vie humaine» L'organisation Human Rights Watch a dénoncé dimanche la mort de dizaines de personnes dans des affrontements au Caire, accusant les autorités d'un «mépris criminel» de la vie humaine». Au moins 72 personnes ont été tuées samedi au Caire dans des affrontements entre partisans du président islamiste destitué Mohamed Morsi et forces de l'ordre, selon le ministère de la Santé. Les manifestants ont accusé les forces de sécurité d'avoir tiré à balles réelles, mais le ministère de l'Intérieur a affirmé n'avoir fait usage que de gaz lacrymogènes. HRW a affirmé que de nombreuses victimes avaient été touchées par balles à la tête ou à la poitrine. Le personnel médical interrogé par HRW «a jugé que certaines victimes ont été visées, au vu de l'impact des tirs», selon le communiqué de l'organisation basée à New York. Ces morts montrent «une volonté choquante de la part de la police et de certains (responsables) politiques de faire monter d'un cran la violence contre les manifestants pro-Morsi», estime le directeur de HRW pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, Nadim Houry. «Il est presque impossible d'imaginer autant de morts s'il n'y avait pas l'intention de tuer, ou du moins un mépris criminel pour la vie des gens», souligne-t-il. L'organisation a appelé le gouvernement intérimaire en Egypte et les responsables militaires à «ordonner immédiatement l'arrêt de l'usage d'armes à balles réelles sauf en cas de stricte nécessité pour protéger des vies». Condamnations de toutes parts La Turquie a condamné les violences, appelant à un transfert du pouvoir à une «direction démocratique», tout comme l'Union européenne. Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a condamné samedi les violences survenues au Caire, et a demandé aux forces de sécurité égyptiennes de respecter la liberté d'expression et rassemblement. «Le secrétaire général demande une fois de plus aux autorités de transition d'assumer la pleine responsabilité de la gestion pacifique des manifestations, et de garantir la protection de tous les Egyptiens», ont déclaré les services de Ban Ki-moon. «Le secrétaire général redit que M. Mohamed Morsi et les dirigeants des Frères musulmans actuellement en détention doivent être immédiatement libérés ou voir leurs cas réexaminés en toute transparence», ont ajouté les services du secrétaire général de l'Onu. La Grande-Bretagne a «condamné» l'usage de la force contre les manifestants et la France a appelé «à la plus grande retenue». Arguant que M. Morsi ne pouvait régler la grave crise politique secouant le pays depuis son élection en juin 2012, l'armée l'a déposé le 3 juillet et a nommé un président civil intérimaire pour conduire la transition avant la tenue de législatives, en principe début 2014, puis d'une présidentielle.