Le sport national est confronté à une crise de résultats qu'on donnait passagère. Mais voilà qu'elle devient chronique, sans qu'on réussisse à en détecter les -véritables- causes. Mais comment prescrire des remèdes quand l'approche retenue est elle-même malade ? MORT AUX TECHNICIENS, PLACE AUX GESTIONNAIRES Il y a un phénomène de compensation, beaucoup plus que d'interrogation, qui est venu déstructurer la réalité de la crise, pour s'y substituer et la mystifier. Ainsi, le guérisseur a-t-il perdu ses repères et souffre après avoir attrapé le virus. Sans le savoir ! Aziz Daouda a raison de rappeler les nouveaux animateurs de la scène sportive à cette vérité première (primaire?), on ne réussit pas de véritables stratégies sans y impliquer d'abord et surtout les techniciens. Les spécialistes de la détection, de la préparation et de la formation, sur la base d'un savoir scientifique. Autrefois, avant l'arrivée de générations de champions, en athlétisme, en tennis, en boxe et -très loin- en football, on se préoccupait de physiologie, de biomécanique, de diététique, de psychologie, d'enquêtes et de travail de terrain. On assurait un véritable travail pluridisciplinaire, en y additionnant les sciences humaines, le droit du sport, la sociologie, les médias, la communication et la gestion. Et la réussite de cette expérience, a permis l'élaboration de nombreux travaux universitaires de qualité. Malheureusement, ces recherches ont été enterrées dans des tiroirs par certains bureaucrates intéressés beaucoup plus par leur carrière que par les réalités du sport. A la Maâmora, il existe un cimetière de paperasse anonyme, érigé en hommage posthume à des dizaines de chercheurs, qui ont payé de leurs poches des milliers de documents polycopiés, livrés à la souillure du temps. Les Aouita, Nawal, Nezha Bidouane, Hicham El Guerrouj, les frères Achik, les générations mondialistes 86, 94 et 98 et autres Trois Mousquetaires ne sont en rien le produit du hasard, contrairement au lieu commun largement véhiculé et qui cautionne la version de « la table rase ». DERRIERE CHAQUE CHAMPION UN FORMATEUR OUBLIE On ne va pas rappeler les noms de tous ceux qui ont favorisé la naissance de stars, dans un espace devenu subitement, mais jamais accidentellement, un champ fertile de production de champions de haut niveau. Pourvu qu'on reconnaisse la personnalité de base, les formateurs directs et indirects, le savoir sportif inné, le savoir sportif acquis, etc. Et on retiendra que tous ces efforts ont fini par faire du sport marocain, un produit culturel par excellence. Oui, l'élite des formateurs a fait du Maroc une spécificité sportivo-culturelle, liée au Marocain, perçu sous un angle anthropologique, c'est-à-dire un corps produit de son temps et de son environnement. Cette question, certains chercheurs anglo-saxons l'ont posée et essayé d'y répondre à propos du Kenya et de l'Ethiopie, en essayant de savoir si être champion n'impliquait pas d'être « Noir » ? Bien sûr beaucoup y verront un préjugé idéologique, mais l'approche n'est pas fausse à cent pour cent, puisqu'on a réussi à s'en inspirer pour l'exporter ailleurs, partout où on veut avoir des Lemaître. D' ailleurs, le discours médiatique et les commentaires eurocentristes n'hésitent pas à faire le parallèle, à l'occasion de toute sortie du champion français, très applaudi lors du dernier Meeting Mohammed VI à Rabat. Tous ces efforts, qui ont assuré une grande accumulation, à travers des expériences riches, ont été sacrifiés par une nouvelle élite de gestionnaires. Les grandes écoles de com. et de gestion, dont certaines se revendiquant du sport et de la bonne gouvernance, ont proliféré au détriment de la caste des techniciens. La présence de grands champions mondiaux, en terre marocaine, a favorisé une nouvelle vision du sport, sous des prétextes académiques mais plus soucieux de gains faciles que de savoir epystémologique. Ainsi donc, nos Aouita ou El Guerrouj n'auraient pas profité des retombées de leur image. Certains parlent même d'image de marque en allant jusqu'à imaginer un champion comme une vulgaire marchandise, à troquer au premier sponsor arrivé dans les couloirs télévisuels. Et que vive le marchandising ! UNIVERSITE SPORTIPHOBE, SPORTIPHILE OU MERCANTILE Au Maroc, on sait que l'université a longtemps ignoré le sport, que ce soit en droit, en économie, en politologie voire en sociologie, en médecine, en psychologie ou en sciences de l'éducation. Ne parlons pas de la psychanalyse, car il n'y a pas de « psy » dans les stades, ni de littérateurs, car le sport en serait indigne aux yeux de beaucoup de nos écrivains. Mais si on connaît plus ou moins les causes des dysfonctionnements du savoir institutionnel, par rapport et contre le sport, on ne doit pour rien au monde cautionner l'approche facile qui exploite le vide académique, pour lui substituer un discours généraliste, sans véritable emprise sur le réel sportif. Au lieu de s'armer de modestie, face à des décennies de rejet, le sport marocain est devenu a-historique et donc susceptible de toutes les interprétations subjectives. Et c'est le risque qu'il encourt, avec des Rahala nommés Christophe Colomb, qui ont découvert le Continent Sport et qui croient facile d'en ignorer les habitants autochtones, qui ont un cœur, une histoire et qui, en plus, parlent le langage du sport, leur pratique de prédilection. On doit pourtant prendre la crise du sport au sérieux, en réclamant le respect de la rigueur universitaire, le travail d'enquête et de terrain, plutôt que de valoriser les approches empiriques et la consommation de gros à propos des discours élaborés à la hâte. EST-CE QU'IL Y A UN JURISTE DANS LA SALLE ? Le football, sport le plus populaire est confronté à des problèmes majeurs, dont celui de l'absence d'une démocratie adaptée aux choix proclamés par ses animateurs, son mercato noyauté par certains agents mercenaires qui ont favorisé une inflation sauvage, sans aucun contrôle, ni clubiste, ni fédéral et encore moins étatique. Le star-system typiquement marocain favorise désormais une élite de joueurs super-rémunérés, au moment où les jeunes espoirs n'ont aucune chance de profiter d'une véritable alternance. On risque de souffrir du vieillissement des élites, au moments où des générations de jeunes vont être sacrifiés sur l'autel du mercantilisme. Cette évolution hypertrophiée est le produit de ce vide où l'université a déclaré forfait, sans produire ni juristes du sport, ni économistes, ni historiens, ni gestionnaires (ces derniers ont proliféré lors des dernières années, mais on a expliqué pourquoi), ce qui se répectue négativement sur un secteur gravement affecté. Il n'y a qu'à voir comment l'affaire CODM, KAC et RBM est traitée pour constater la démission de la fédération et les simplismes qui caractérisent les divers discours, tenus par des dirigeants en mal de publicité et pauvres en arguments. Et plutôt que d'aborder ces phénomènes, avec un esprit critique, on produit des discours de légitimation destinés à valoriser le chercheur contre la vérité des faits. Statistiques à l'appui !