Un carnaval de couleurs, une variété de senteurs et de produits qui ne laisse pas indifférent, c'est la sensation qui envahit chaque visiteur du marché central de Rabat, un marché pas comme les autres, qui résiste au défilement des années. Cette bâtisse de 1920 représente encore, en effet, une destination prisée pour les courses de tous les jours ou pour un achat singulier. Les saisons changent et la clientèle reste fidèle, parfois par habitude, parfois par exigence de qualité. Tout le monde est néanmoins d'accord pour qualifier le marché central d'»incontournable». Orné de cinq portes et d'une architecture arabo-mauresque, le marché central surprendra à coup sur le visiteur qui sera partagé entre l'observation des étalages ou des piliers savamment disposés, seul bémol, une ligne rouge a été tracée devant les magasins pour dissuader les marchands de la dépasser avec leurs étalages. «Je n'habite pas très loin, mais ce n'est pas la proximité qui m'amène ici, mais la qualité! Je suis exigeante et je sais que j'aurais une réponse à mes caprices au marché central», assure Fatiha, femme au foyer, qui, se faufilant entre les magasins, témoigne de la qualité de son lieu favori pour les courses. Ali, poissonnier, est lui dans un autre état d'âme, et pour cause, il n'a rien encore vendu de la journée. Il ne fait que se rappeler les bons souvenirs de l'époque. «Celui qui cherchait du poisson dans le passé devait venir au marché central, maintenant ça se vend partout. La rue, à même le sol, sans aucun respect des règles d'hygiène ou de contrôle». La concurrence, mais surtout la concurrence qui n'est pas à la hauteur des exigences sanitaires, le préoccupe. Il ne s'arrête pas là pour expliquer la baisse de ses ventes, mais souligne que l'expansion de la ville est aussi responsable de la baisse de l'affluence au marché central. «L'affluence n'est plus la même, les gens venaient vers un marché aux étalages diversifiés, et aussi, l'expansion de la ville a fait que les gens les plus éloignés font leurs courses dans les marchés proches de leurs quartiers», lança-t-il avec soupire. Pas loin de lui et du vacarme du marché de poissons, un magasin retient l'attention, parsemé de toiles et de peinture, un marchand d'art au milieu des légumes et des viandes, une scène inhabituelle mais qui n'est pas étrangère au carnaval de couleurs du marché central. Mustapha, marchand d'art depuis 1970, est l'un des doyens du marché. Il est, lui aussi, déçu de la baisse de l'affluence, mais relève d'autres remarques sur l'état du marché. Il martèle que «l'hygiène, le loyer et le parking, ce sont les problématiques du marché central», ajoutant que ces problèmes font de plus en plus fuir les clients. Selon lui, le marché a besoin d'être restauré et entretenu en vue de renouer avec l'esprit de l'époque. Hamid, lui, est un cadre quadragénaire, qui table sur la vitesse quand il faut faire les courses. «Je viens ici parce que je n'ai pas trop le temps de tourner et de chercher le meilleur produit. Je viens rapidement et je prends ce dont j'ai besoin, aucune discussion sur la qualité, je suis fidèle à ce marché et je fais confiance à ses marchands». Mais ce ne sont pas les propos de Hamid qui vont convaincre les marchands du marché mythique de repousser leurs craintes sur l'aggravation de la situation. Le doyen des professionnels du marché central, c'est Mohamed, le contrôleur des prix, retraité depuis deux ans. Il est toujours sollicité pour faire les taches qu'il accomplissait avec brio pendant 35 ans. Son expérience et l'unanimité qu'il fait auprès des marchands font que son travail est routinier et sans encombres. «La fierté de ma carrière, c'est que je n'ai jamais eu de problèmes avec les marchands, les nouveaux comme les anciens respectent le contrôle des prix». Lorsqu'il est interpellé sur la raison des prix élevés pratiqués au marché central par rapport aux autres marchés, il n'hésite pas à répondre que «le marchand présente des produits de grande qualité qui méritent bien leur prix». Pour lui, la clientèle d'il y a trente ans était majoritairement composée d'étrangers et de représentants diplomatiques établis à Rabat. Ils se font de plus en plus rares, et les Marocains ne suivent pas le rythme, car ils ne sont pas disposés à payer le prix cher pour un produit de qualité. Mais pour réhabiliter le marché, Mohamed n'y va pas par trois chemins. Restauration, hygiène et professionnalisme du personnel sont les conditions pour redorer le blason du marché mythique. Le marché central de Rabat reste un lieu incontournable et indispensable et rappelle sensiblement le passé. Avis aux intéressés d'assurer son «lifting» pour le faire perdurer.