Un coup de projecteur était mis, hier lundi à Paris, sur l'art moderne marocain dans le cadre de la traditionnelle vente aux enchères de tableaux orientalistes qui se tient en décembre chez «Artcurial», leader mondial sur ce marché. Des oeuvres de célèbres peintres marocains, à l'instar d'Ahmed Cherkaoui, Jilali Gharbaoui, Chaibia Talal, Mohamed Drissi ou encore Mohamed Ben Ali R'bati, figurent sur le catalogue de cette vente consacrée aux grands noms de la peinture orientaliste, dont l'artiste français Jacques Majorelle (1886 -1962) et ses contemporains, influencés par leurs séjours au Maroc, particulièrement à Marrakech. Autour d'une oeuvre inédite de Jean Léon Gérôme, Artcurial «remet les grands classiques de l'orientalisme à l'honneur dans une vacation importante estimée 2,3 à 3,2 millions d'euros», avec une collection riche de 55 tableaux «finement» sélectionnés par l'expert français Olivier Berman, indique-t-on auprès de la maison de vente parisienne. Présentés comme les «précurseurs» de la peinture moderne au Maroc, Cherkaoui (1934-1967) et Gharbaoui (1930-1971) seront représentés par des toiles portant le même nom: «Composition». Il s'agit de peintures à l'huile sur toile, réalisées respectivement en 1962 et en 1967, et dont la valeur est estimée entre 18.000 et 22.000 euros, pour le premier, et entre 22.000 et 30.000 euros, pour le second. Seront également mis aux enchères, les trois «personnages» ou «figures» peints à la gouache, de Chaibia Talal (1929-2004) dont les oeuvres «mettent en évidence une peinture libre, presque naïve». Dans ces tableaux estimés à 6.000-8.000 euros, on retrouve la touche de cette grande figure de l'art plastique marocain où «seule règne l'explosion de la couleur, aplats aux teintes vives qui rythment la composition». «Oeuvres intuitives et spontanées, elles établissent les fondements d'un art qui puise son inspiration dans ses racines marocaines mais qui, en redéfinissant les règles de la composition picturale en accordant une primauté à la couleur, devient résolument moderne et universelle», selon l'expertise de la maison de vente parisienne. La collection qui a fait l'objet ce week-end d'une exposition en prévision de la vente, comprend également des toiles de Ben Ali R'bati (1861-1939) et Drissi (1946-2003), intitulées «Devant les remparts» (acquise en 1970) et «Femmes aux trois visages» (1979), avec des valeurs approximatives respectives de 15.000-20.000 euros et 800-1.200 euros. Premier peintre marocain à rompre avec l'art traditionnel de miniature, de la calligraphie, ou des arts décoratifs, Ben Ali R'bati livre, «dans une peinture figurative chaleureuse et colorée, une chronique de la vie quotidienne, à Tanger au début du XX-ème siècle». Globalement, la sélection marocaine est constituée d'»un très bel ensemble de tableaux frais jamais mis en vente auparavant, venant d'une collection privée d'un client français ayant vécu au Maroc», a assuré le responsable du département orientaliste chez Artcurial, Olivier Berman. Il anticipe de «bons résultats» de vente pour ces oeuvres, eu égard aux «très beaux échos d'acheteurs potentiels, en provenance notamment du Maroc et du Moyen Orient», d'autant plus que les travaux d'artistes comme Chaibia, Charakoui et Gharbaoui sont connus sur le marché français de l'art et «se vendent bien». Le département orientaliste qu'il avait crée il y a quelques années est l'un des plus dynamiques chez Artcurial, avec 7 records du monde en 2 ans, «une première place mondiale dans la spécialité en 2011». L'un de ces records a été réalisé avec la fameuse toile «La Kasbah rouge de Marrakech» (1924) de l'artiste peintre-français Jacques Majorelle, adjugée à plus de 1,3 million d'euros, soit «presque deux fois» le montant espéré, à l'issue d'une opération de communication d'envergure rehaussée notamment par une exposition dans la Cité Ocre. Artcurial dont le département orientaliste mise depuis sur Majorelle espère renouveler l'expérience avec une grande exposition l'année prochaine à Casablanca, la ville du Maroc où «il y a le plus d'acheteurs et collectionneurs», a indiqué ce fin connaisseur de l'art orientaliste, qui fait partie du palmarès très sélectif de la Power List 2012 qui vient d'être dévoilée par la revue américaine spécialisée Art & Auction. Son département considère qu'il y a actuellement un marché «assez fort» sur Majorelle avec une clientèle internationale qui s'intéresse de plus en plus à ses oeuvres inspirées de la Cité ocre où il s'installe en 1919 et y acquiert un terrain qui allait devenir par la suite le jardin Majorelle. Le jardin, ouvert au public dès 1947, regroupe l'une des plus importantes collections de plantes de son époque et abrite aujourd'hui la magnifique collection d'art Islamique de Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, le célèbre couturier français qui a choisi ce cadre pour ultime demeure. Dans sa nouvelle vente, Artcurial présente quatre oeuvres inédites de l'artiste français dont «Souk à Marrakech» (1920), «Le souk aux tapis, Marrakech», «Vue d'Anemiter, circa 1940» et «Jeune garçon au turban rouge, Egypte, circa 1914», avec des valeurs variant de 15.000 à 160.000 euros, selon le prix du catalogue. Des oeuvres d'autres artistes orientalistes inspirées par les lumières, les couleurs et les paysages marocains figurent sur le chapitre «Majorelle et ses contemporains» du catalogue de la vente. On y trouve notamment la toile «Fez, 9 heures» du grand peintre français Bernard Boutet de Monvel (1881-1949) qui «laisse en un an et demi une vision singulière et puissante du Maroc, loin des clichés orientalistes, une vision s'attachant à dégager les lignes de force et les valeurs de cette architecture séculaire, une vision n'ayant jusqu'alors pas d'égal et ayant, pour cette raison, profondément influencé son ami Jacques Majorelle». La collection comprend également des créations des peintres espagnols Ulpiano Checa y Sanz (1860-1916) avec «Cavaliers à la sortie des remparts de Fez», et Carlos Abascal (1871-1948) avec «Jeune Mauresque». «Casbah dans l'Atlas enneigé», «Oued» et «Les porteuses d'eau» de l'artiste-peintre français Henri Pontoy (1888-1968) figurent également dans la sélection d'Artcurial qui met également en vente une encyclopédie, en deux volumes, d'André Paccard sur «le Maroc et l'art traditionnel islamique dans l'architecture».