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Reportage dans la région d'Akka La caravane de soutien à Brahim Ennouhi s'invite dans une région en marge du développement
Découverte d'un océan de précarité
D'une action de soutien et de solidarité pour Brahim Ennouhi, initiateur du musée dédié à la mémoire de la Résistance et l'Armée de Libération à Akka au sud-est du Royaume, province de Tata, condamné pour «détention d'armes sans justificatif», la caravane de la Ligue Marocaine de Défense des Droits de l'Homme (LMDDH) présidée par Mohammed Zhari et de l'Instance Marocaine des Droits de l'Homme (IMDH) présidée par Mohammed Nouhi, organisée les 17 et 18 novembre, s'est transformée en de longues séances d'écoute des protestations et doléances des populations des oasis souffrant de précarité et de carences prononcées en infrastructures de base les plus élémentaires. L'exclusion énigmatique de la région est due à «des calculs politiciens qui ont empêché jusqu'à présent de satisfaire les doléances des habitants» selon le témoignage en public du vice président du conseil municipal lors d'une rencontre culturelle, le 17 novembre, autour de l'histoire d'Akka. Environ 770 kms séparent Rabat de la municipalité d'Akka, province Tata. Il faudrait, en comptant les différents arrêts pour se reposer et prendre une collation, plus de dix heures de route en autocar même s'il y a une bonne partie d'autoroute entre Rabat, Casablanca et Agadir, ce que d'aucuns appellent encore ironiquement «le Maroc utile». La caravane de la LMDDH et l'IMDH est partie de Rabat le vendredi après midi 16 novembre, pour arriver à Akka le samedi matin vers 8h. Le programme initial se limitait à la visite du musée de Brahim Ennouhi, ancien résistant membre de l'Armée de Libération, condamné le 17 octobre dernier par le tribunal militaire de Rabat pour détention d'armes à feu et, d'autre part, à la création de la section locale de la LMDDH à Tata. Le passage par plusieurs sit-in des habitants des bourgs de la municipalité d'Akka a fait que d'autres activités se sont ajoutées au programme initial comme la visite des sit-in des habitants d'Egdi, d'Oum Al Aleq, la visite de l'école El Kalaa dont un des directeurs avait été tué par le «Polisario» le 25 janvier 1980 et enfin une importante rencontre autour de la sauvegarde de la mémoire d'Akka animée notamment par un enseignant, Abdelkader Oulaich, qui est intervenu au nom de la Coordination d'Akka pour le changement qui regroupe plusieurs associations locales avec des jeunes qui veulent en découdre avec l'enclavement de la région et lui permettre un développement économique et social équilibré fait d'équité et de dignité. Oulaïch a évoqué, entre autres clichés coriaces d'exclusion, la folklorisation réductrice, l'effacement de tout un pan d'histoire d'Akka méconnu, dont la création de la première zaouia jazoulite qui a vu naître, sous la houlette du savant Sidi Mohammed Mbarek, la dynastie saadienne. 40 kms entre Oum Al Aleq et la frontière algérienne vers Tindouf Pendant toute la durée de la caravane il y a eu, présente à l'esprit, l'idée de la proximité de Tindouf et les répercussions qui ont suivi la guerre du Sahara où des familles des oasis avaient payé un lourd tribu comme ce fut en particulier le cas des familles de la localité d'Oum El Aleq, l'un des douars de la municipalité d'Akka. Là, des jeunes comme Faragi Maatallah, âgé aujourd'hui de trente ans, n'ont pas vécu ces évènements mais entendu raconter ce qui s'était passé. La mère de Faraji était enceinte de lui quand son père est mort tué par les éléments du «Polisario» qui l'ont criblé de balles, de sang froid, avec deux autres de ses enfants, un garçon et une fille. Le frère aîné de Faraji, âgé de 5 ans à l'époque, a raconté cet épisode hallucinant d'une matinée meurtrière de 1980 dont il a gardé un souvenir aigu, ayant lui-même été blessé. Les orphelins et les veuves sortis indemnes des massacres n'ont jamais été réellement dédommagés des tueries et des pillages perpétrés par les bandes des mercenaires comme cela allait être expliqué abondamment au cours de la visite d'Oum El Aleq dans la soirée du samedi. Des témoignages d'anciens prisonniers civils rescapés des bagnes de «Polisario» évoquent leurs souffrances ayant été pendant des années maltraités, affamés et assujettis à des travaux forcés et se souvenant de beaucoup de leur compagnons qui n'en sont pas revenus étant morts dans d'atroces souffrances. On apprendra surtout que les habitants du douar Oum Al Aleq situé à une trentaine de kms de Tata et quarante kms de le frontière menant vers Tindouf, observent un sit-in depuis le mois de février 2012 pour réclamer des droits très simples comme le transport scolaire pour les collégiens et lycéens, soixante-douze élèves en tout dont une trentaine de filles qui doivent traverser 14 kms aller-retour à pieds ou à vélo pour atteindre l'établissement scolaire. Le projet, affirme-t-on, est bloqué par les autorités locales alors que le financement existe grâce à un don d'investisseurs émiratis de la région. Conséquence du bocage: l'aggravation du phénomène de déperdition scolaire. D'un autre côté, les habitants réclament l'ouverture du club féminin nouvellement aménagé grâce à l'INDH, ouverture entravée, arbitrairement disent les plaignants, par le président du conseil municipal. Par ailleurs, ils demandent les cartes de entraide nationale et appellent de leurs vœux la réalisation du projet d'un pont pourtant validé. Enfin, ils réclament la réparation du dommage collectif ou individuel des familles victimes des attaques du «Polisario», réparation non obtenue après tant d'années d'attente. La première étape de la caravane était Egdi. Les gens de ce douar faisant partie de la municipalité d'Akka, étaient en sit-in très tôt le matin samedi avec deux tentes de fortune, un assemblage de tissus hétéroclites que malmenait le vent. Quoique les rayons du soleil tapent dur, l'air est plutôt doux à l'ombre. Pendant les journées d'automne et d'hiver, on a droit à une température clémente dans une région aride où il pleut rarement tandis qu'à l'arrivée du printemps et l'été, la chaleur devient intolérable dépassant les quarante degrés à l'ombre. Cependant, même s'il fait doux à l'ombre, il est difficile de se tenir longtemps sous le soleil à cause du risque d'insolation. On raconte pour rire que les agents d'autorité et gendarmes viennent régulièrement démanteler les tentes de fortunes construites par les manifestants pour briser le sit-in mais ils finissent par repartir pour regagner leurs pénates à cause du soleil. Alors les manifestants reconstruisent les tentes à nouveau ! En cette matinée du samedi 17 novembre à Egdi, des essaims de mouches attirent l'attention par leur caractère touffu impressionnant. «C'est seulement en cet endroit et en cette période de l'année» rassure un jeune militant de la région. Des femmes, des hommes jeunes, des enfants observent un sit-in pour revendiquer des droits les plus élémentaires: réfection de salles de classes délabrées, une infrastructure sanitaire pour premiers soins etc. Des jeunes lancent des slogans au mégaphone. Rien n'arrête la technologie, pas même le désert comme on le voit à travers de nombreux jeunes qui prennent des photos, séquences vidéo en usant de leur téléphone portable. Un vieil homme, Naouchou el Houssine, ratatiné, portant jellaba, les yeux presque clos sous les rides des paupières s'approche et dit avoir plus de cent ans. En réalité, le document qu'il présente indique qu'il est né en 1928. C'est un ancien commerçant, il dit avoir laissé des propriétés à Tindouf après l'indépendance de l'Algérie où il n'a plus eu le droit de revenir depuis 1963. Il avait donc perdu pour toujours ce qu'il avait, jamais il n'a été indemnisé. Jusqu'à présent, il présente à qui veut l'écouter, des documents, vieux papiers jaunis, dans l'espoir hypothétique de rentrer un jour dans ses droits. L'un de ses fils, Lahcen, commerçant à Salé, confirme. Il semble qu'il a existé d'autres cas semblables nombreux tant les relations entre la région de Tata et Tindouf sont anciennes, étroites comme avec le pays du Soudan, le Mali, Tombouctou. «Tindouf c'était pour nous comme un feddane à côté» devait nous confier Brahim Ennouhi. Après Egdi, la deuxième étape fut Touzounine, un petit bourg, quelques kilomètres plus loin où fut organisé le petit déjeuner dans la maison traditionnelle de style architectural rustique dite Tadouarit ancienne demeure du Caid Belaid du sultan Hassan 1er vers la fin du XIXème siècle. La maison, aux murs épais construits en pisé est dotée d'un rez-de-chaussée avec patio environné de trois chambres en galeries portant un plafond en dôme pour adoucir l'air torride de l'été. Ce fut l'occasion de donner un aperçu historique sur la région. Un conteur, Ali Outsaghourt, doublé de poète d'ahouach, bibliothèque ambulante, est là pour réciter une somme impressionnante de récits oraux sauvegardés de mémoire dans la pure tradition de transmission orale évoquant la localité mythique de Tamdoult, ancienne de 1700 ans dit le conteur. Il évoque aussi l'histoire récente comme l'activité de la mine de plomb qui avait créé de la prospérité dans la région mais avait causé aussi de nombreux décés à cause de la silicose. Et puis quelques témoignages précieux comme ceux d'un ancien président de la commune, un vénérable homme noir de haute taille qui raconte le kidnapping de son grand-père vendu en tant qu'esclave. L'occasion de parler aussi de la particularité de la région où s'installèrent plusieurs populations en plus des Amazighs, des Subsahariens, des Arabes, des Juifs dont une importante communauté existaient jusqu'aux années 1960 vivant en parfaite harmonie avec le reste de la communauté musulmane. L'hospitalité est affichée avec un petit déjeuner abondant, dégustation de dattes, partage de pain, huile d'olive, galettes. Visite d'une autre demeure non restaurée qui doit être plus ancienne et des remarques fusent sur la question de la restauration des monuments de la région. Le ministère de la Culture aurait répertorié les monuments délabrés mais on attend d'avoir les moyens financiers pour intervenir Etape suivante: visite du musée du Cheikh Omar initié par le résistant Brahim Ennouhi. Le Cheikh Omar c'est le nom du grand-père d'Ennouhi. Le musée se situe dans le douar Ait Antar. La découverte d'un endroit humble avec vestiges du passé, coupure de presse, photos, vieux manuscrits et autres pièces de musée qui rappellent la spécificité de l'espace géographique de la vie des oasis. Depuis le début de la visite de la caravane, la silhouette frêle de Brahim Ennouhi qu'on appelle ici familièrement par tendresse Ammi Bouih, est omniprésente. Un homme de taille moyenne, corps d'une maigreur ascétique flottant dans une gandoura blanche avec une étoffe de tissu noir couvrant la tête. Ce vénérable octogénaire a la bougeotte on dirait, il ne tient pas en place, l'air plutôt joyeux à le voir sourire à ses hôtes. Pourtant que de tristesse et de colère à cause du procès qui lui tombe dessus sous prétexte qu'il exposait de vieilles armes, vestiges des années cinquante du XXème siècle au cours de la lutte pour l'indépendance. «Même le ministère public reconnait que ces débris d'armes sont inutilisables et pourtant le tribunal trouve le moyen de prononcer un jugement de condamnation» avait dit Mohammed Nouhi président de l'Instance Marocaine des Droits de l'Homme en rendant un vibrant hommage à Brahim Ennouhi parmi les nombreuses allocutions prononcées à l'occasion de la visite du musée. Etape suivante: la visite du collège El Kalaa pour évoquer la mémoire du directeur Abid Sougaghi mort le 25 janvier 1980 dans une attaque du «Polisario» alors qu'il essayait de sauver les élèves. On a émis le souhait que l'école porte au moins son nom en guise de reconnaissance d'un «cadre de l'enseignement exemplaire». Juste à côté de l'école, la salle de réunion du conseil municipal abrite la rencontre sur la sauvegarde de la mémoire d'Akka mentionnée plus haut et où les jeunes ont demandé à la Ligue et l'Instance de transmettre aux autorités centrales la marginalisation où toute la région est tenue. L'étape suivante a été Oum E Aleq avec une soirée organisée dans le douar comme détaillé plus haut avec les témoignages sur le désastre des attaques du «Polisario» contre des civiles, des femmes et des enfants. Il n'y avait pas que la tristesse car au cours de cette même soirée, on a eu droit à un poème en tarifit par le jeune poète Mohamed Boumcousi, poème mis en musique et chanté par le chanteur et guitariste Noureddine Naïm, ancien membre du groupe Ousmane. Le poète et le chanteur faisaient partie de la caravane de solidarité pour Brahim Ennouhi pour qui la chanson était dédiée. Une façon de terminer sur un note d'espoir.