Si Yves Bonnefoy définit la poésie comme étant « mémoire, mémoire de l'intensité perdue », l'acte de peindre, chez Abdelmalek Boumlik, semble être quête de la régénération de la part enfouie de la mémoire, de l'intensité de ses signes gravés dans la mémoire enfantine des êtres et des choses. Son œuvre est fermentation de la mémoire de sa terre natale, de son terroir. Elle est éloge des couleurs du sol qui n'est pas seulement un lieu, mais aussi, et fondamentalement, l'histoire multiple des temps qui ont coulé pour forger l'ici et le maintenant. Boumlik s'approprie, avec la force de l'autodidactie imprégnée d'une connaissance accumulée des piliers classiques et contemporains, marocains et internationaux, des arts plastiques, les paramètres esthétiques et techniques qui font d'une toile une œuvre d'art, et pas uniquement un vulgaire gribouillage assujetti aux critères mercantiles qui étouffent l'authentique liberté de créer et, avec elle, le droit du regard à l'émancipation du joug des marchands et des spéculateurs. La palette de Boumlik, ainsi que son recours à diverses matières, et l'architecture horizontale et verticale de ses œuvres, semblent être autant d'éléments générateurs de la paisible tension dont il fait offrande à notre regard. Tous ces éléments s'inspirent, en fait, d'une lecture spécifique des rapports entre le sol et la mémoire des êtres et des choses qui le hantent. Une lecture qui scande le droit à la liberté de créer autrement, librement, avec la fraîcheur et la spontanéité de l'enfance et en rupture avec les canons institués par certains « maîtres à peindre ». Si la couleur de la terre, génitrice et gîte, domine, elle se fait transpercer par des éclats de lumière et repose sur des motifs mûrement réfléchis et des signes régénérés de l'oubli. Des signes exhumés de la perversion qui affecte nos sens en raison de l'uniformisation régnante, épurés par la touche réfléchie, malgré sa spontanéité suggérée, de l'artiste et auréolés par l'intelligente économie caractéristique de l'œuvre de Boumlik. Nous voilà donc en la majestueuse présence d'une peinture polychromique de la mémoire, individuelle et collective, et des origines. Une peinture qui est quête du sens dans un monde devenu insensé. Une peinture qui rappelle fortement ce qu'attestait José Carlos Liop : « La mémoire, comme le rêve, dilue les couleurs, la mémoire est comme une photographie exposée au soleil. »