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Restauration, sauvegarde et numérisation Entretien avec Lahcen Taouchikht, chef du Pôle Gestion des Collections et Service aux publics à la BNRM
80 mille documents dans le fonds de manuscrits anciens au Maroc
Le Maroc, un des rares pays arabo-musulmans disposant d'un fonds de manuscrits important avec des documents de qualité unique Programme de restauration et sauvegarde: le parcours du combattant 80 mille manuscrits anciens de toutes les époques depuis le 9ème siècle se trouvent dans les bibliothèques marocaines, dont une bonne partie dans la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc (BNRM) à Rabat, le reste est réparti sur des bibliothèques régionales relevant des ministères de la Culture ou des Habous et aussi des bibliothèques privées ouvertes au public. Ce riche patrimoine, parfois très ancien, témoigne de l'importance historique du Maroc comme centre de transmission du savoir et des connaissances dans les différentes villes comme Fès et Marrakech et plaque tournante des manuscrits entre Occident (Andalus), Afrique subsaharienne (Tombouctou) et Orient. Ce patrimoine requiert des soins pour sa sauvegarde. A la BNRM un laboratoire est dédié à la restauration pour sauver dans les règles de l'art les vieux manuscrits qui ont traversé les siècles et dont un certain nombre sont fragilisés par le temps et dégradés du fait des conditions de conservation inadéquates. Ils exigent des soins très particuliers pour les sauver in extremis d'une perte certaine. Autre mesure de sauvegarde, la numérisation, un grand projet pilote de la BNRM est en cours avec un million d'images, projet finalisé d'ici 2013. Un tour d'horizon du domaine des manuscrits ancien avec Lahcen Taouchikht, professeur d'enseignement supérieur chef du Pôle Gestion des Collections et Service aux publics à la BNRM. Entretien : L'Opinion : Quelle est l'importance du fonds manuscrit national en tant que patrimoine ? Lahcen Taouchikht : Le fonds manuscrit constitue un patrimoine national dans lequel se manifestent notre identité culturelle et les spécificités de notre civilisation. Son importance réside dans sa valeur historique, scientifique, artistique et esthétique. Une importance considérable puisqu'il s'agit d'un fonds manuscrit marocain très riche (plus que 80.000 titres et 200.000 volumes) conservé dans des bibliothèques spécialisées publiques et privées. Le fonds manuscrit de la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc est constitué d'environ 34.000 volumes et 14.000 titres. Ce fonds s'enrichit grâce au Grand Prix Hassan II et à quelques dons jusqu'à aujourd'hui encore timides. Quelle valorisation de ce patrimoine ? La valorisation de ce fonds nécessite plusieurs actions comme le nettoyage permanent, la désinfection, la préservation et la restauration des manuscrits dégradés, et, enfin, la numérisation qui remplace de plus en plus le microfilmage. La fragilité des manuscrits ainsi que leur valeur, qu'elle soit historique, artistique ou esthétique, rendent la diffusion des originaux très limitée, voire interdite, à l'exception de l'exposition de quelques-uns lors des grandes manifestations culturelles. Quelles disciplines sont couvertes dans les manuscrits anciens au Maroc ? Dans le fonds manuscrits de la BNRM par exemple, toutes les disciplines sont traitées : de la théologie à la médecine, en passant par les mathématiques et les sciences humaines. Parfois plusieurs thèmes sans rapport les uns avec les autres sont traités dans un seul et même ouvrage. La calligraphie marocaine se caractérise par des éléments de syntaxe très particuliers, et elle se répartit en trois catégories : la calligraphie citadine, la calligraphie rurale et la calligraphie de type andalou ou celle dite orientale. Quels sont les supports des manuscrits qui ont permis la traversée des siècles jusqu'à nous ? Le support d'écriture se répartit entre le parchemin, le papier de soie et le simple papier qui ne présente presque jamais de filigrane. Le format des manuscrits varie entre: 15cm x 15cm ; 18cm x 25cm ; 21cm x 27cm et 24cm x 31cm. Les pages sont d'origines diverses et de qualité tout à fait exceptionnelle, avec une épaisseur et une porosité de nature à leur permettre de défier les siècles. Les deux types d'encre coexistent parfois dans un seul et même manuscrit : l'encre au carbone n'ayant aucun effet nocif sur le papier et l'encre métallogallique, laquelle engendre une oxydation et la formation d'acide attaquant le papier et provoquant les détériorations. La page de garde, se caractérise parfois par des inscriptions marquant la propriété, ce qui permet de situer l'ouvrage et de faire son histoire. Comment se positionne le fonds des manuscrits au Maroc par rapport à d'autres pays et quels manuscrits très précieux et célèbres peut-on citer ? Le Maroc est considéré comme l'un des premiers pays du monde arabo-musulman disposant non seulement de la grande quantité de manuscrits, mais aussi de manuscrits de qualité et uniques. Ces manuscrits se trouvent dans des bibliothèques publiques et privées, dans les zaouïas, dans les mosquées anciennes, chez des familles de notables, chez des particuliers et même chez certains bouquinistes et parfois chez des bazaristes. Ces manuscrits traitent de tous les sujets “domaines" sans exception et couvrent toutes les périodes depuis au moins le 9ème siècle jusqu'à nos jours. Parmi les manuscrits les plus prestigieux et célèbres on peut citer un exemplaire du Coran sur parchemin en écriture kufique ancien datant du 9ème siècle, aussi le livre de médecine de Zahraoui, manuscrit de la Muqadimat d'Ibn Khaldoun, Dala'ile al-khayrate de Sidi Ben Soulayman al-Jazouli, Dakhirate al-Ghani wa-l-Mouhtaj de Cherqaoui, etc... Quel l'état de conservation des manuscrits anciens et quelles retombées négatives ont-ils subi durant les années où l'intérêt pour la conservation de ce patrimoine connaissait un grand relâchement pour ne pas dire plus ? Je peux dire qu'à part la Bibliothèque nationale où se trouve des magasins de conservation qui répondent aux normes internationales au niveau de la température qui ne doit pas dépasser 18° et le taux d'humidité qui soit dans les 50 %, les manuscrits au Maroc souffrent des conditions de conservation anormales et souvent on utilise des solutions rudimentaires et dépassées comme le roseau ou quelques citations inconnues pour sauvegarder ce patrimoine précieux et très fragile. On peut parler aussi de la bonne expérience de la BNRM avant le microfilmage et, aujourd'hui, dans la numérisation afin d'avoir au moins une autre copie de sauvegarde et d'utilisation par le public au lieu de l'original. Qu'est-ce qui a été fait jusqu'à présent pour la conservation en vu de sauver un patrimoine très fragile ? Afin de sauvegarder les manuscrits à la Bibliothèque Nationale quatre méthodes ont été utilisées. La première, la plus ancienne consiste à reproduire l'ensemble des manuscrits en microfilm noir / blanc ou en couleur et en deux copies, une originale pour la sauvegarde définitive et un duplicata pour l'utilisation des lecteurs ou tirage en papier. Pour la seconde méthode, il s'agit de la création, depuis 1996, d'un atelier de restauration, ce qui a permis de préserver tous les manuscrits en les nettoyant avec mise en carton antiacide tout en restaurant ceux qui étaient détériorés. La troisième méthode consiste à conserver ces manuscrits dans des conditions favorables citées plus haut. La dernière méthode est celle de la numérisation de tout le fonds manuscrit avec un professionnalisme en matériel technique et en ressources humaines (expertise) ce qui a permis d'avoir une, deux copies de chaque manuscrit : une en TIFF pour la conservation absolue dans des serveurs très sécurisés, et, l'autre copie, en PDF ou JPEG pour l'utilisation soit en interne par l'usager, le lecteur de la bibliothèque, soit à distance via le portail de la BNRM. Quelles mesures prises pour éviter le pillage du patrimoine hors des frontières nationales où les histoires de contrebande du patrimoine n'ont pas manqué d'être souvent évoquées et y a-t-il des possibilités de récupérer ce qui a été détourné ? Malgré les contrôles douaniers et l'application de la loi contre le pillage du patrimoine national, les risques de ce fléau existent toujours, malheureusement, d'où la nécessité de revoir la loi en généralisant le contrôle rigoureux à tous les niveaux même sur la valise diplomatique. Il s'agit aussi d'enclencher des campagnes de sensibilisations permanentes sur l'importance de ce patrimoine en touchant toutes les couches de la population par le biais des media TV, Radio, presse écrite, les réseaux sociaux, l'école, les banderoles à la frontière etc. L'objectif c'est de faire que chaque personne morale ou physique soit concernée et impliquée contre le pillage de ce patrimoine qui constitue une composante vitale de notre identité et civilisation. Quel rôle joué par le Prix Hassan II pour révéler l'existence de manuscrits anciens de valeur et les conserver ? Le Prix Hassan II a vraiment joué un grand rôle non seulement pour révéler l'existence de nombreux manuscrits de valeur inestimable chez des particuliers, mais surtout en encourageant les propriétaires de ce patrimoine à le conserver en remettant une copie à la disposition de la BNRM sous format microfilm ou numérique, ce qui permet de sauvegarder ce patrimoine et de faciliter l'accès de son contenu au public. Où en sont les travaux de recherche sur le patrimoine des manuscrits anciens ? La recherche dans le domaine des manuscrits touche au moins trois champs de compétence, à savoir celui de catalogage qui est spécifique surtout quand il s'agit de connaitre l'auteur du manuscrit, le domaine traité, les dimensions et format, le support d'écriture, la reliure, genre d'écriture, le début et la fin du manuscrit, le copiste, la date d'édition, les sources bibliographiques... Le second champ concerne l'étude des manuscrits qui est très vaste et diversifiée, à savoir la codicologie, la philologie. Le troisième domaine s'intéresse à l'histoire des manuscrits et surtout de la calligraphie depuis son apparition jusqu'à nos jours. Quelles sont les manifestations organisées autour du fonds manuscrit pour le faire connaître ? Souvent sont organisées des activités culturelles autour du patrimoine manuscrit soit sous forme de tables rondes axées sur des thèmes comme la calligraphie ou les manuscrits de Zaouia al-Hamzaouiya, les manuscrits au Maroc réalités et perspectives, etc. Mais, il y a surtout des manifestations sous forme d'expositions avec des thèmes précis comme QALAM, Al-Massahif, les manuscrits et la science, Prix Hassan II... Par contre les campagnes de sensibilisation proprement dites autour de la problématique de sauvegarde du patrimoine des manuscrits restent plutôt timides et irrégulières. Quelle aide donne la BNRM pour la sauvegarde des manuscrits en péril dans les bibliothèques qui dépendent de la Culture et des Habous ? Comme vous savez la BNRM est le chef de fil, ou la locomotive, de toutes les bibliothèques au Royaume et surtout celles du ministère de la Culture. Du coup elle joue le rôle d'aider à la conservation du patrimoine documentaire national, à sa préservation et sa diffusion. Compte tenu de cette mission, la BNRM a beaucoup aidé les autres bibliothèques patrimoniales en particulier celle de la Qaraouiyine à Fès ou celle de Ben Youssef à Marrakech ou la Bibliothèque Générale et Archives de Tétouan afin de mieux sauvegarder leurs manuscrits, soit en les reproduisant en microfilm, soit en les nettoyant et les mettant en boites antiacides. Par ailleurs, la BNRM a signé une convention avec le ministère des Habous et des Affaires Islamiques en 2010 afin de préserver les manuscrits appartenant à ce ministère et qui existent dans des zaouïa ou Mosquées. La même aide est fournie pour des bibliothèques privées comme ce fut le cas pour la bibliothèque Sekkat à Casablanca. Quel rapport entretenu par le fonds manuscrit marocain entre, d'une part, Al-Andalus et, d'autre part, Tombouctou ? On sait que dans le passé, la circulation des savants et des manuscrits était libre. Ainsi, on peut trouver un manuscrit aujourd'hui à Fès ou à Marrakech, puis après on trouve une copie de ce même manuscrit soit à Grenade ou à Tombouktou ou encore à Fustat en Egypte. Etant donnée l'importance des manuscrits pour le savoir et l'éducation, les savants, les cherchaient, surtout les manuscrits de qualité et unique, ils les copiaient ou les achetaient. De même, il a été constaté le voyage des savants partout dans le monde musulman et surtout vers les lieux saints, Médine et la Mecque, afin d'être au courant de toutes les nouvelles dans le domaine des manuscrits, alors que la plupart de ces savants résidaient pour une longue durée et parfois permanente dans les cités centres de savoir et de civilisation islamique, telles que Fès, Cordoue, Kairouan, Médine, Bagdad, Koufa, Tombouctou... etc. En général, comme il y avait un circuit des produits commerciaux (artisanal ou agricole), on ne peut négliger aussi l'échange des manuscrits qui n'a pas cessé depuis le premier siècle hégirien (7ème siècle J-C) jusqu'à nos jours.