Il s'agit d'une rencontre à laquelle ont participé une centaine de congressistes, venus de divers pays comme : l'Australie, l'Italie, la Suisse, la Grèce, le Royaume-Uni, la France,Pérou, Yemen ... Des participants qui ont pour métier :l'architecture, l'archéologie, l'anthropologie, l'histoire, la science... mais aussi ceux faisant partie d' associations attachées à la défense du patrimoine rural. « Pierre sèche : Art de faire, Art de vivre », tel est le thème sous lequel les communes de Baunej, Talana et llbono dans la Province d'Ogliastra en Sardaigne (Italie), ont abrité ce Congrès International du 21 au 23 Septembre 2012. Michel Amengual, qui a représenté le Maroc à cet événement et qui est français d'origine, reste un pur jdidi de cœur. Ce dernier n'est autre que l'auteur du livre « El Jadida, capitale des Doukkala ». Un livre dont les 100.000 exemplaires édités l'année dernière ont été arrachés, en quelques jours à peine, au prix, tenez-vous bien, de 600,00 DH l'unité. Un livre offert à Sa Majesté le Roi Mohammed VI, lors de sa visite à la quatrième édition du Salon du Cheval et pour lequel l'auteur de l'ouvrage a eu l'honneur et le rare privilège de recevoir une lettre de félicitations de Sa Majesté. L'homme en question est passionné par plusieurs choses dans la vie et la mise en valeur du patrimoine culturel local fait évidemment partie de ce lot. En Sardaigne, il a choisi comme thème de son exposé : « les tazotas , lieux de vie, mais chefs-d'œuvre en péril »... « Pierre sèche : Art de faire, Art de vivre », qui est un rendez-vous, se déroulant tous les deux ans , a pour principaux objectifs, la diffusion des connaissances sur cet art traditionnel à savoir, la construction en pierre sèche. Construction, maintenance, échange d'expériences, recherche, facilitation... tels sont quelques uns des maitres mots devenus comme un leitmotiv lors de ce congrès. Une représentation positive, faut-il le rappeler, puisqu'El Jadida aura le privilège d'organiser la prochaine conférence internationale sur la pierre sèche, en 2014. Un vœu exprimé par le gouverneur de la Province, M. Mouâad Jamaï et exaucé à l'unanimité par les congressistes. Et least but not last, nous venons d'apprendre qu'El Jadida a pris à cœur d'entreprendre, entre autres démarches, de réussir l'inscription de cette architecture pastorale et rurale au Patrimoine Mondial de l'Humanité par l'UNESCO. Et c'est donc pour mieux cerner tout l'intérêt de ce congrès, et les principaux apports récoltés par cette présence, que nous avons rencontré Michel Amengual à son retour de Cagliari. - Il ya une semaine, vous étiez en Sardaigne, votre première impression « à chaud » ? Michel Amengual : -Je considère ce qui vient de se passer comme un honneur pour le Maroc et un hommage au travail de ces paysans qui ont su, avec des pierres entassés selon des règles très précises mises au point par des maâlems anonymes, en faire des chefs d'œuvre architecturaux qui ont séduit tous les participants ...Il convient de préciser que je me suis rendu en Sardaigne à titre privé, car je travaille sur le terrain des tazotas depuis plus de cinq années, je les ai presque toutes répertoriées, photographiées , j'en connais l'histoire à travers les récits de leurs propriétaires qui sont devenus mes amis. Et sur les lieux de la conférence, un panneau m'était réservé où j'ai pu fixer les photos d'une vingtaine de tazotas ; j'ai également présenté un album avec plus d'une centaine de photos où il était aisé de voir que si toutes ces tazotas se ressemblent, elles sont cependant toutes différentes...de la plus ancienne qui remonterait, selon les dires de son propriétaire, à l'époque de la fin du règne de Moulay Abdel Aziz, à la plus monumentale, construite sous Mohammed V, à la plus récente, bâtie sous mes yeux, en 2004. Mon exposé était également accompagné d'un diaporama musical, où la région des Doukkala était présentée dans ses divers aspects, avec les tazotas, bien sûr, et comme corolaire, les « toufris », ces abris sous roche qui jouxtent généralement les tazotas et qui, pour beaucoup,avaient les mêmes fonctions. J'ai saisi également cette occasion pour rappeler des moments d'histoire commune entre la Sardaigne et la région d'El Jadida : les Phéniciens auraient construit Cagliari, la capitale, comme ils auraient établi un comptoir à El Jadida, sous le nom de Rusibis. Les plans de la Cité portugaise d'El Jadida ont été réalisés par un architecte italien, Benedetto da Ravenna, à la demande du roi du Portugal. Des Sardes ont été incorporés dans les unités militaires portugaises qui défendaient la citadelle, pendant que d'autres guerroyaient aux côtés des troupes marocaines. Des bateaux sardes mouillaient dans le port de Mazagan pour le négoce. Le Royaume de Sardaigne avait même nommé un consul à El Jadida, dans les années 1820. On retrouve des motifs sardes dans la broderie d'Azemmour, comme le paon, qui est l'emblème de la Sardaigne....jusqu'aux moutons sardes – les Sardis- race très prisée par les marocains particulièrement à l'occasion de l'Aïd el Kébir.etc... - Parlez-nous de la teneur du message du gouverneur de la province M.Mouâd Jamiî ? Michel Amengual : -C'est un message très fort qui constitue, en quelque sorte, la feuille de route de ce qui doit être entrepris pour donner à ce type d'architecture la place qui lui revient dans le caractère identitaire de la province. Un programme qui fait appel à la coopération internationale, mais aussi à la participation et à la sensibilisation des paysans marocains eux-mêmes vivant dans cette région, comme aux élus locaux. Les congressistes ont été très sensibles à ce message et ils ont apprécié la volonté pugnace du Gouverneur de valoriser ce patrimoine, afin de donner plus d'envergure à la province dont il a la charge, avec des retombées évidentes sur tout le Royaume. « Il nous faut, a dit notamment M. Mouâad Jamaï, procéder à l'inventaire des édifices, en assurer la préservation, la promotion, la protection, étudier la possibilité de formations de constructeurs en pierre sèche et, pour devancer le futur, mener des expériences d'architectures nouvelles à partir de pierres sèches ». Et là, il m'a été donné d'apprécier des réalisations architecturales exceptionnelles à partir de ce mode de construction en pierre sèche. Un imminent architecte italien, le Professeur Michèle Di Sivo a fait un exposé illustré éblouissant sur des édifices ainsi construits, d'une conception d'avant-garde. Il serait sans doute important de consacrer, dans les futurs espaces verts que la capitale des Doukkala envisage de réaliser, quelques structures ornementales en pierre sèche. M. Mouâad Jamaï a également fait des propositions d'une immense portée : « Nous souhaiterions, a-t-il dit, créer un Centre Maghrébin de l'Architecture Rurale, qui aurait pour mission de coordonner les diverses actions menant à la préservation de ce patrimoine architectural, car nous savons qu'il existe de telles structures en Algérie, en Tunisie, en Lybie, mais aussi en Mauritanie...Nous pourrions y adjoindre un Institut où serait enseignée l'architecture vernaculaire, qu'elle soit en pierre sèche, ou en pisé ( terre crue) afin que le savoir ancestral soit préservé mais aussi que de nouvelles techniques y soient développées et des métiers nouveaux inventés. Ce serait enthousiasmant pour notre jeunesse et générateur d'emplois. Nous pourrions y organiser des ateliers qui réuniraient des jeunes Maghrébins et des jeunes Européens pour restaurer les tazotas délabrées et abandonnées afin de leur donner une nouvelle vie. Et pourquoi ne pas construire en commun un village de jeunesse en pierre sèche, qui serait un lieu de vacances original pour nos jeunes de tous pays. Des échanges et des visites de spécialistes de la pierre sèche du Nord et du Sud pourraient également être régulièrement entrepris... ». M. Jamaï a donc bien l'intention de proposer d'instaurer de nouvelles approches de collaboration et de coopération par la création d'entités et de structures à rayonnement international. Le gouverneur va encore plus loin en souhaitant impliquer l'Union pour la Méditerranée, dont le secrétaire général est marocain, basé à Barcelone, dans des projets de coopération entre les deux rives de la Méditerranée. Tout comme il souhaite, vu les relations privilégiées que le Maroc entretient avec l'Union Européenne, s'insérer dans le Réseau Européen de Pierre Sèche (REPS) qui peut subventionner des projets porteurs d'avenir. » -Mais pensez-vous que nous avons les moyens de nos ambitions... ? M. Amengual : -Une chose est certaine, la province d'El Jadida a, à sa tête, un Gouverneur bâtisseur qui sait que la culture, au sens le plus large du terme, est génératrice de futur, dans une société où les jeunes en particulier pensent qu'ils n'ont pas d'avenir. « No future »...pas seulement la jeunesse marocaine d'ailleurs. Il suffit de suivre l'actualité pour s'apercevoir que la jeunesse du monde manque d'espoirs. « La tâche ne nous parait pas insupportable, ajoute le Gouverneur dans son message aux congressistes, surtout si nous pouvons compter sur votre expérience, votre savoir-faire et votre dynamisme. » et d'inviter les participants à tenir leur prochain congrès à El Jadida, dans cette province où l'histoire et la pierre y sont constamment présentes à travers les citadelles de Mazagan , de Moulay Abdallah ou d'Azemmour....La suite réservée à cette invitation n'était pas évidente au départ car cinq pays se portaient candidats : la France, la Suisse, l'Ile de Crète et la Grèce et bien sûr le Maroc. Même si la candidature du Maroc était la préférée, même si nous avions le soutien implicite du Président de la Conférence, l'éminent archéologue Pierre Guy Stephanopoulos,( qui a fait des fouilles au Maroc et connait et aime bien le pays,) du président Michelangelo Dragone et de la secrétaire générale Adà Acovisioti-Hameau, de la SPS, la Société Scientifique Internationale pour l'étude pluridisciplinaire de la Pierre Sèche,( qui organise ces congrès) il fallait ne pas froisser les autres candidatures. Vite, la France et la Suisse se sont retirées. Et nous sommes arrivés à un compromis : le Maroc sera le prochain lieu de rencontre en 2014, la Grèce pour le congrès suivant, en 2016. Tout cela dans une grande fraternité qui a été applaudie par tous. -Et qu'en est-t-il de l'inscription de cette architecture pastorale et rurale au Patrimoine Mondial de l'Humanité par l'UNESCO. M. Amengual :- On m'avait fait l'honneur de me placer parmi les tous premiers intervenants et, dans les solutions possibles pour sauver les tazotas, j'avais souhaité une intervention de l'Unesco pour faire classer cette architecture particulière comme Patrimoine mondial immatériel...Un autre jour, une autre intervenante, Claire Cornu, chargée de Développement économique à la Chambre des métiers et de l'artisanat du Vaucluse et qui a mené, de son côté , un travail remarquable pour sauver des constructions en pierre sèche dans sa région, nous a dit qu'elle a déjà entrepris des démarches en ce sens auprès du Ministère Français de laCulture...Le congrès a donc décidé de mener à bien ce dossier...Pour le Maroc, ce serait un avantage très important, car c'est toute une région qui serait ainsi labellisée et il est aisé de comprendre le bénéfice économique sous l'angle du tourisme que cette classification entrainerait. -Que doit on faire ? lors du prochain rendez vous, pour concrétiser tout cela et être dignes de la confiance placée en nous ... ? M. Amengual : -Un congrès de cette envergure se prépare longtemps à l'avance et, sans trop tarder, il va falloir créer une cellule de travail et de réflexion pour mener à bien cette entreprise. Par ailleurs, il est nécessaire d'y inclure une association de défense de l'architecture rurale. J'ai, il y a trois ou quatre ans, mis au point les statuts d'une association que j'avais dénommée « Pierres et Racines ». Il suffirait d'en déposer officiellement les statuts et de recruter des membres, non seulement dans la région des Doukkala, mais dans d'autres provinces du Royaume, car des édifices en pierre sèche existent ailleurs au Maroc. Il y en a dans la région de Zagora comme dans l'Atlas, j'en ai également vus et photographiés dans la région de Safi. Ainsi, la cause ne serait plus locale ou régionale, mais nationale, avec une aura supplémentaire pour l'ensemble du Royaume. (Voici d'ailleurs mon mail pour plus d'informations sur cette nouvelle association : [email protected]) Je ne pourrais pas terminer cette interview sans remercier, au moins mille fois, la Sardaigne et les organisateurs de ce congrès qui nous ont accueillis de la façon la plus chaleureuse. Nous y avons vu également les restes d'une civilisation dont j'ignorais totalement l'existence : les Nuraghe...d'immenses constructions de roches qui n'ont pas fini de dévoiler leurs mystères...Cela met du baume au cœur à ceux qui aiment aller de découverte en découverte. ». Les tazotas Les tazotas ne se trouvent que dans la province d'El Jadida, à une vingtaine de kilomètres de la capitale des Doukkala et sont mal connues, des marocains eux-mêmes. Ces tazotas sont des constructions en pierre sèche, c'est-à-dire sans mortier ni ciment pour les assembler. Certaines sont utilisées comme habitation, d'autres comme grange, grenier, resserre ou étable... On en dénombre, par exemple dans la commune rurale d'Ouled Rahmoun, près de 400. Les paysans sont obligés d'épierrer les terres rocailleuses agricoles. Ces pierres sont utilisées pour l'édification de murets (Stara), d'enclos (Zriba), d'abris, de cabanes en pierre sèche à voûte d'encorbellement (tazotas), et de silos enterrés (toufris). Différentes hypothèses sont données quant à l'origine du mot tazota, mais celle la plus couramment répandue reste celle-ci. Dans le dictionnaire amazigh (berbère), Tazudea ou Tazoda signifie « bol », « écuelle renversée » et en effet, les cabanes ont une forme qui peut rappeler un bol renversé. Les tazotas sont connues pour isoler tant de la chaleur que du froid, sur la paroi très peu inclinée, la pluie glisse facilement et c'est la raison pour laquelle elles ont certainement été érigées. Concernant l'orientation, l'unique ouverture est la porte et se trouve toujours du côté de l'est (le soleil y pénètre très tôt). Des pierres plus grosses sont utilisées pour le tour des ouvertures et les chaînages ainsi que les marches des escaliers. L'entrée est étroite. Un couloir mesurant au maximum 2 m protège l'intérieur contre les vents et la pluie. Hélas! Un certain nombre d'entre elles sont abandonnées et le style de construction en voie de disparition.