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Entretien avec Ahmed Laghrissi, potier céramiste
Remettre en valeur, recréer l'héritage traditionnel
Publié dans L'opinion le 21 - 09 - 2012

Travaillant sur la Colline des potiers de Safi dans l'atelier de son père potier céramiste safiot de renom, feu Abdelkader Laghrissi (1926-1995), Ahmed Laghrissi, né en 1962 dans la médina de Safi, est par la force des choses un continuateur en charge d'un legs. Il est appelé à assurer une relève en prenant en compte un riche héritage de l'artisanat marocain sans se détourner des exigences du développement moderne qui requiert de s'aligner sur des normes de qualité prônées par le ministère de l'Artisanat dans un monde de la poterie et céramique appelé à préserver et mettre en valeur les racines de la tradition de sensibilité esthétique véritable atout portant empreinte d'une identité marocaine. Entretien :
-Quels ont été vos débuts et comment vous
positionnez-vous par rapport aux autres artisans
dans la colline des potiers ?
-Je suis installé dans l'atelier de mon père feu Abdelkader Laghrissi qui avait lui-même hérité le métier de mon grand-père. Une partie de mon éducation s'était effectuée dans cet atelier. En sortant de l'école, dès l'âge de 9 ans, je regagnais l'atelier pour assister mon père. Après il y avait eu la peinture et la sculpture car j'avais des dons dans ces deux domaines. Par la suite mon père commençait à m'appeler pour l'aider. J'ai fini par devenir son bras droit pour le dessin (zwaq) et même au niveau des formes des pièces de poterie. Avec le peu d'argent de poche que je recevais, j'achetais des livres. J'avais cette manie d'acheter surtout des livres d'art. J'avais en plus mon oncle paternel qui était enseignant à la Qaraouiyyine, je passais les vacances chez lui et je lisais dans la bibliothèque. Par un heureux hasard j'ai pu effectuer un stage de céramique chez le plus grand céramiste d'Europe Jean Thomas. J'ai aussi participé à une grande exposition. Ses promoteurs étaient venus spécialement à Safi pour choisir des artisans représentatifs d'une sensibilité du terroir. C'était en 1997. Après il y a eu d'autres expositions. J'avais lié amitié avec des céramistes français, je travaillais en compagnonnage avec eux. Après je commençais à aller au Four Solaire de Mont-Louis où je travaillais pour affiner mon style.
En 2003 la conservatrice du musée d'Amsterdam pavillon islamique après une tournée en Turquie, Egypte, Espagne en quête de céramique islamique, est venue à Marrakech. C'est l'historien Hamid Triki qui l'a orientée vers moi. Elle m'a demandé de réaliser deux pièces de céramique en me fournissant les thèmes. J'ai été formellement averti de prime abord que si les pièces ne correspondaient pas au résultat souhaité je ne serais pas payé. J'ai accepté de relever le défi. Au lieu de deux pièces j'en ai réalisé trois. La troisième c'était pour travailler en toute liberté selon ma propre conception. Non seulement les deux pièces ont trouvé satisfaction mais aussi la troisième a été acquise. C'était pour moi une grande expérience et un grand pas en avant dans mon parcours personnel.
Avant il y a eu certes des participations dans des compétitions internationales comme Carouge en Suisse en 1992 où il y avait 270 participants mais 55 pièces seulement ont été choisies dont la mienne. Le thème était le flacon de céramique. La dernière compétition c'était dans une exposition en Corée du sud. Je participais avec deux autres artisans marocains. Ma pièce a été sélectionnée.
-Quelles impressions avez-vous gardé des contacts avec les artisans coréens ?
-Je n'ai pas été invité à faire le déplacement, uniquement les pièces étaient envoyées par le ministère de l'Artisanat. Ils ont peut-être peur que les artisans décampent ! (rires).
-Quel a été le moment fort de votre parcours plus ou moins récent ?
-C'est quand j'ai commencé à connaître les designers. J'ai commencé à réfléchir par rapport à ce courant. Je faisais des choses qui puissent plaire aux gens, en cherchant mon inspiration dans l'héritage ancestral. Je travaillais beaucoup et j'ai toujours trouvé que plus il y a la touche marocaine authentique, plus il y a de l'intérêt, de l'admiration. Même s'il y a intervention du design pour innover, le charme de la touche ancestrale reste préservé.
L'Occidental qu'il soit européen ou autre quand il vient dans un pays par exemple l'Egypte il est impossible qu'il achète un produit d'artisanat chinois quel que puisse sa beauté ou son prix modique. Ce qui l'intéresse c'est plutôt quelque chose de spécifique au pays visité. Au Maroc ce qui est aberrant c'est de trouver des vases avec des dessins de raisin et autres fruits, on est dans le toc en croyant pouvoir vendre des articles. Le danger de l'artisanat marocain c'est de dévier de ce qui est propre à nous plutôt que de le développer avec respect et amour.
-Aujourd'hui vous êtes designer ou artisan ?
-Je suis fier d'être considéré comme artisan, on peut ajouter un artisan créateur. (rires)
-Que dire de l'empreinte amazighe dans l'artisanat et la céramique?
-Elle est nécessaire, vitale. Pour ma part l'artisanat doit se développer, se moderniser en affinant ses procédés en travaillant davantage la matière mais jamais couper les ponts avec la tradition, l'héritage ancestral sinon c'est l'ouverture à un art de poterie et céramique bâtard, dépourvu d'origine. Je pense sincèrement qu'on s'est un peu fourvoyé dans ce chemin. J'ai remarqué que des artisans se plaignent d'un malaise dû à la mévente sans se rendre compte qu'ils se sont engagés dans des influences occidentales ou simplement sans évoluer ne faisant que marquer le pas en refaisant les mêmes articles qu'ils faisaient il y a de longues années. Ils ignorent que le touriste occidental ou autre quand il vient au Maroc il est en quête d'un art qui porte l'empreinte de l'identité profonde du Maroc qui reflète notre héritage culturel. Quand ils viennent au Maroc il faut qu'ils trouvent cette empreinte ancestrale remise en valeur, recrée, redécouverte avec application des normes de qualité et de sécurité d'aujourd'hui. Ce n'est pas étonnant si des artisans d'autres pays s'affirment. C'est parce qu'ils savent pertinemment et depuis longtemps ce qui compte le plus pour offrir une sorte de condensé de l'image du pays. Ce qu'il faut c'est prendre l'héritage ancestral comme une base fondamentale et l'améliorer par le travail et la recherche.
Le fléau pour l'artisan c'est la course effrénée pour l'imitation, le mimétisme. Au lieu que chacun travaille pour se confectionner son style propre, on copie ce que fait l'autre et on reproduit à l'infini. A quarante ans d'intervalle on peut retrouver les mêmes articles façonnés comme si le temps s'était arrêté.
-Quel avenir pour la poterie et céramique ?
-Il n'y a pas longtemps je voyais qu'il y avait défection de la part des jeunes qui étaient envoyés par leurs parents à l'école de la céramique de Safi qui relève du ministère de l'Artisanat. Peut-être que maintenant les choses vont commencer à bouger un peu. Ils ne sont pas rares les gens qui continuent à voir dans le potier une personne toute maculée de terre rouge comme une espèce de majdoub piétinant la pâte d'argile, qui n'a aucune couverture sanitaire, qui mène une vie précaire.
Quand voyais les apprentis je me disais que psychologiquement ils n'étaient peut-être pas vraiment convaincus que c'est parce qu'ils sont refoulés de l'école qu'on les orientait vers le domaine de la poterie. Il n'empêche qu'il est bien évident que ce n'est pas par amour qu'ils viennent vers ce métier. Peut-être quelques-uns apprendront à l'aimer à la passion par la suite en le découvrant, en s'y attachant.
Il y a un côté culturel qui joue chez nous au Maroc. C'est que l'activité de la poterie et céramique est socialement tenue pour une activité dégradante. Par contre les gens en Europe respectent beaucoup cette activité. Au Japon le respect est poussé encore plus loin comme s'il s'agissait de quelque chose de sacré.
Je crois que pour nous en plus du problème de l'image du potier dans la réalité, une personne démunie sans protection, il y a un problème d'éducation, car on n'apprend pas aux élèves à l'école l'importance des arts traditionnels pour les valoriser à leurs yeux. Il n'y a rien il me semble dans les manuels scolaires alors que c'est une grande richesse marocaine. Malheureusement la poterie souffre de jugements très réductibles, elle signifie toujours l'argile et la boue voilà où l'on réduit sa signification. Parfois c'est les mots employés pour dire que l'argile est dégradante. Je pense que quand le potier bénéficiera de certains droits sociaux comme la CNSS par exemple, la prise en charge sanitaire, son image pourrait être valorisée pour larguer une fois pour toutes l'image de la misère qui colle à la vie d'artisan.
C'est vrai nous avons eu au cours du XXème des modèles de potiers céramistes qui se sont enrichis. Les gens du commun ont été impressionnés à l'époque et ont envoyé leurs enfants à l'école de la céramique de Safi en pensant à un brillant avenir pour eux. Mais avec la décadence de la poterie qui avait suivi, les parents ne voulaient plus en entendre parler. Actuellement beaucoup de changements positifs sont intervenus au sein de l'école de Safi qui a été complètement rénovée alors qu'elle avait été soumise pendant longtemps à un état d'abandon extrême, soit l'expression d'une véritable déchéance.


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