La deuxième phase des législatives qui s'ouvre en Egypte pourrait bien exposer au grand jour les divisions du camp islamiste, pourtant largement vainqueur du premier tour avec 65% des voix. Les Frères musulmans tentent d'améliorer leur image, appelant «à ne pas mettre tous les islamistes dans le même panier», alors que les salafistes du parti Al-Nour, fort de leur succès, durcissent le ton et multiplient les déclarations en faveur d'un islam rigoriste. La deuxième phase des législatives qui s'ouvre en ce début de semaine en Egypte pourrait bien marquer un tournant. Alors que les listes islamistes ont survolé le premier tour, organisé dans un tiers des gouvernorats, notamment les deux plus grandes villes, Le Caire et Alexandrie, en recueillant un total de 65% des voix, le bras de fer s'annonçait déjà rude pour les deux jour du second tour du scrutin, lundi et mardi, au sein du camp islamiste pour la quasi-totalité des sièges attribués au scrutin uninominal. Un duel serré est notamment prévu entre les Frères musulmans et les salafistes sur 22 des 56 sièges. Au premier tour, les Frères musulmans ont remporté 36,62% des voix, le parti Les deux mouvements s'affrontent pour une vingtaine de sièges dans un tiers des gouvernorats d'Égypte concerné par ce second tour, dont les deux plus grandes villes du pays, Le Caire et Alexandrie. Ce deuxième tour, qui se poursuit mardi, est destiné à pourvoir les sièges attribués au scrutin uninominal (un tiers du Parlement). Les bureaux de vote ont fermé à 19H00 après une journée calme et sans incident. Le taux de participation du premier tour la semaine dernière, initialement annoncé à 62%, a été ramené à 52% par la commission électorale «après contrôle du dépouillement». À Alexandrie, un duel particulièrement serré est prévu entre les Frères musulmans et les salafistes. Cette ville côtière a vu naître le parti salafiste Al-Nour, peu après la chute du régime de Hosni Moubarak, mais la confrérie y est également implantée depuis longtemps. «Cela ne fait que dix mois qu'on est là et on est déjà en deuxième position», se félicite Jihane, une mère de quatre enfants qui porte le niqab (voile couvrant tout le visage à l'exception des yeux), devant un bureau de vote dans le quartier Al-Montazah. «Je vais voter pour Al-Nour car je suis très pieuse et ce sont eux qui représentent le mieux mes idées», ajoute-t-elle. «C'est un vote vraiment serré, je pense que pour le moment nous sommes à 50/50», dit une jeune militante de la confrérie. Devant les bureaux de vote et dans les rues d'Alexandrie, les partisanes des salafistes sont reconnaissables à leur niqab noir alors que celles de la confrérie ne portent que le voile. Les législatives sont organisées sur trois zones géographiques qui se prononcent l'une après l'autre. L'élection des députés se déroule jusqu'en janvier, puis celle des sénateurs jusqu'en mars. Un tiers des sièges de l'Assemblée du peuple seront pourvus via un scrutin uninominal à deux tours, les deux tiers restants étant attribués à des listes élues à la proportionnelle. Largement en tête, les Frères musulmans et les salafistes d'Al-Nour avancent donc leur stratégie. Les premiers tentent de donner des gages de modération à la société égyptienne pour renforcer leur crédibilité. «Nous représentons un islam centriste et modéré, nous n'imposons rien par la force», a assuré Mahmoud Ghozlane, porte-parole des Frères musulmans, appelant «à ne pas mettre tous les islamistes dans le même panier», en référence au parti Al-Nour. Ce dernier au contraire s'estime conforté dans son rigorisme. Adoptant une ligne diamétralement opposée, un de ses dirigeants Abdel Monem Chahat a assuré pour sa part que les romans de l'écrivain égyptien et prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz «encourageaient le vice car ils portent sur la prostitution et la drogue». Une autre personnalité de ce courant, Hazem Abou Ismaïl, a estimé qu'il fallait «créer un climat pour faciliter» le port du voile, et dit que s'il était élu président, il «ne permettrait pas à un homme et à une femme de s'asseoir ensemble dans un lieu public». Dans cette première étape du scrutin, les libéraux, qui apparaissent comme les grands perdants, vont tenter de compenser leurs pertes, en particulier au Caire. «Le deuxième tour met fin à la lune de miel entre les Frères et les salafistes», écrivait ainsi dimanche le quotidien Al Akhbar, évoquant en particulier le cas d'Alexandrie, deuxième ville du pays, où le parti salafiste Al Nour est né après le soulèvement qui a renversé Hosni Moubarak en début d'année. La bataille opposera également les deux mouvements à Doumiat, dans le Delta du Nil, où ils étaient au coude à coude au premier tour. Obligés de se contenter des miettes, les libéraux, jusqu'à présent les grands perdants des premières élections depuis la chute du président autocrate, tenteront pour leur part de batailler, en particulier au Caire, pour faire entrer leurs candidats au futur Parlement. Le vote des autres gouvernorats pour l'Assemblée du peuple (chambre des députés) s'étalera jusqu'en janvier, avant l'élection de la Choura, la chambre haute consultative, étalée jusqu'en mars. Le Bloc égyptien, principale coalition libérale, a ainsi obtenu 13,3% au premier tour. L'ensemble des libéraux, répartis sur six listes, atteignent 29,3%, mais ils restent toutefois trop divisés pour représenter un groupe homogène face au raz-de-marée islamiste. Dans le quartier huppé de Zamalek au Caire, les espoirs reposent sur le candidat libéral Mohamed Abou Hammad, qui fait face à un candidat des Frères musulmans. «J'ai voté pour Hammad. S'il ne gagne pas ici, je ne sais pas où les libéraux vont gagner», a affirmé Amr al-Gidawi, un avocat. Les deux prochaines étapes se tiendront dans l'Égypte profonde et laisseront peu de chance au camp laïque. «Les forces révolutionnaires ne se sont pas occupées des élections», explique Moustapha Hussein, médecin et blogueur actif durant la révolte contre Moubarak.