Le Maroc, allié majeur et partenaire privilégié des pays du Conseil de Coopération du Golfe ? Mieux encore, sur invitation des gouvernements de ces pays ! La nouvelle a surpris. Certains agréablement. D'autres, plutôt le contraire. Il est vrai que la concrétisation de cette proposition constituerait un chamboulement géopolitique d'une importance capitale dans le monde arabe. Analyse au premier degré des tenants de la théorie du complot. «Voilà donc les monarques du Golfe se souciant de leur sécurité en ouvrant grandes leurs portes au royaume du Maroc. Tous les observateurs s'accordent à dire que l'un de leurs principaux objectifs consiste à isoler l'Algérie », écrit le journal algérien «L'Expression.DZ» dans son édition du 16 mai. De manière plus diplomatique, l'ancien ambassadeur algérien, Hocine Meghlaoui, dans un article au titre révélateur,«Une «Sainte Alliance» contre qui ?», publié dans la même édition du même journal, essaye de trouver des arguments pour dénoncer ce rapprochement «maroco-khaléjite». «Le Maroc se situe à l'extrémité ouest du Maghreb. Il est très excentré par rapport aux pays du Golfe avec lesquels il n'a aucune continuité géographique. La majorité de sa population - on peut dire la totalité - est berbère et voit son avenir dans un Maghreb des peuples plutôt que dans un Machrek lointain et peu connu». Qui ne connaît pas bien la situation politique au Maghreb depuis plus de trois décennies et quelle partie entrave réellement la accomplissement de la volonté d'union des peuples de la région, pourrait être trompé par cette thèse qui semble tenir debout d'apparence. Même si l'accent mis sur l'aspect ethnique désavoue l'appartenance des deux voisins maghrébins, Maroc et Algérie, qui comptent tous deux une forte composante amazighe au sein de leurs populations, à la Ligue arabe. Et que cet ancien ambassadeur semble oublier que la dynastie Alaouite qui gouverne le pays depuis plus de quatre siècles est justement originaire d'Arabie. Mais ce n'est là qu'un détail pour détourner l'attention de l'essentiel. Voici plus crûment ce que l'on pense à l'est du Oued Isly du rapprochement maroco-khaliji qui se dessine. «Le royaume se retrouve soudainement doté d'une profondeur géostratégique unique dans le monde arabe. En plus de l'Afrique francophone où le Maroc est pratiquement dans son jardin, voilà qu'il s'ouvre les portes de l'un des clubs les plus hermétiques de la planète. Celle-là, on l'a pas vu venir à Alger», explique un général algérien à la retraite, cité par la revue online «Maghreb confidentiel», dans son édition du 19 mai. Toujours selon la même publication, généralement bien informée, Ahmed Gaïd Salah, le chef d'état-major de l'armée algérienne est entrain de se dépenser comme il peut «pour freiner le rapprochement entre le Maroc et le Conseil de coopération du Golfe». Ce général se serait même «rendu au Qatar en toute urgence pour inciter ce pays à faire en sorte que le CCG reporte aux calendes grecques l'invitation faite au Maroc d'adhérer à ses instances. Un autre haut gradé algérien a fait, lui, la même démarche auprès de l'Arabie saoudite». Bref, c'est le branle bas de combat à Alger ! Alors que les dirigeants algériens voient d'un mauvais il les changements démocratiques en Tunisie et sont toujours embarrassés par les révélations sur le soutien apporté au dictateur sanguinaire qui massacre son propre peuple en Libye, sous forme d'armes et de mercenaires polisariens, voilà qu'ils voient le Maroc se faire offrir l'opportunité d'élargir vers le Proche Orient ses horizons géostratégiques. Avec son statut avancé avec l'Union Européenne, celui de membre majeur non-OTAN, les accords de libre-échange avec les Etats-Unis et la Turquie, celui d'Agadir avec l'Egypte, la Jordanie et la Tunisie ainsi que celui avec les Emirats Arabes Unis, outre les relations privilégiées entretenues avec nombre de pays d'Afrique, la diplomatie marocaine peut se féliciter d'avoir réalisé d'indéniables succès. Mais pour ceux qui ont toujours rêvé d'isoler le Maroc dans la région, en y consacrant en pure perte d'importants moyens financiers et d'immenses efforts, l'échec est total, cuisant. Partie d'échec maghrébine «L'élargissement des perspectives de la coopération ne contraste pas avec le rôle géostratégique du Maroc au sein de la région», a déclaré récemment le ministre des Affaires étrangères, M. Taib Fassi Fihri, devant les membres de la commission des Affaires étrangères, de la défense nationale et des affaires islamiques à la Chambre des représentants. Car, effectivement, le rapprochement avec les pays du CCG, quelque qu'en soit la forme, va non seulement ouvrir de nouveaux horizons pour le Maroc au Proche Orient, mais aussi et comme conséquence de ce rapprochement, dans la région maghrébine même et à l'échelle méditerranéenne. Un bref coup d'il à la carte. Au nord du Maroc, les alliés et partenaires européens, au sud, le voisin et allié mauritanien, outre les autres partenaires d'Afrique de l'ouest. A l'est, les dirigeants algériens, qui se complaisent depuis longtemps dans l'adversité envers le Maroc, commencent à se sentir de plus en plus isolés. A la crainte de la contagion de «l'élan démocratique» tunisien, s'ajoute la certitude qu'un nouveau régime libyen ne sera pas prêt d'oublier l'aide militaire accordée à Kadhafi. Au nord, des relations toujours mi-figue mi-raisin avec l'ancien colonisateur français et des relations avec l'Iran dissuasives pour plus d'un pays occidental, encore plus, d'ailleurs, pour les pays du CCG. A l'ouest, le honni voisin marocain. Au sud, les Mauritaniens et les Maliens en ont plus que ras le bol de ce que les derniers appellent franchement «l'AQMI/DRS». Quand aux vaines tentatives algériennes de prendre le contrôle de la lutte anti-terroriste dans la région du Sahara et du Sahel, en se faisant un point d'honneur d'en écarter le Maroc, elle a surtout fini par exaspérer les pays africains concernés, qui se tournent au contraire de plus en plus vers le Maroc pour ce faire. Le ministre espagnol de l'intérieur n'avait pas manqué de remercier le Maroc lors d'une visite à Rabat, en août 2010, pour la «précieuse assistance» pour la libération de deux otages espagnols, des travailleurs humanitaires détenus par l'AQMI. C'est d'ailleurs ainsi que l'opinion publique nationale a appris que les services de renseignement marocains étaient actifs au Sahel et que leur efficacité est reconnue à l'échelle internationale. Par ailleurs, pour la nouvelle édition des exercices militaires communs, baptisés African Lion», qui se déroulent actuellement à Cap Drâa, ce ne sont pas moins de 2.000 soldats de différents corps de l'armée américaine dont les fameux US Marine Corps, qui sont venus s'entraîner avec des soldats de nos glorieuses Forces Armées Royales et pour renforcer leur interopérabilité. Le Conseil de coopération des États arabes du Golfe, créé en 1981, dans le contexte des guerres du Liban et entre l'Irak et l'Iran, compte 35 millions d'habitants. Avec les 32 millions de Marocains et les 6 millions de Jordaniens, la population du CCG va donc doubler, se rapprochant ainsi de celle de l'Iran, qui est de près de 78 millions d'habitants. Depuis 1983, les pays du CCG organisent des manuvres communes appelées «Bouclier de la Péninsule». Et depuis la moitié des années 80, une « force de déploiement conjointe » a été créée, dont le quartier général se trouve en Arabie Saoudite et qui est commandée par un général saoudien. La première fois où cette force a été déployée, c'est au Bahreïn, le 14 mars dernier. Les ministres de la défense du CCG ont également réanimé le projet de l'Organisation des Industries Arabes, avec un volet consacré à la fabrication d'armement, avec la collaboration de l'Egypte. En 1991, au cours de la première guerre du Golf, le Maroc a envoyé un corps expéditionnaire de quelques douze mille hommes, militaires et gendarmes, pour soutenir l'allié saoudien, menacé depuis l'invasion du Koweït par les troupes de Saddam. Une capacité de dissuasion non négligeable Les pays du Golfe savent qu'ils peuvent compter sur leur ami et allié marocain dans les moments difficiles. Comme le Maroc a pu compter sur l'appui effectif de certains d'entre eux pour la défense de son intégrité territoriale. Et le Maroc n'a jamais joué double jeu dans cette région. Il a purement et simplement rompu ses relations avec l'Iran, en 2009, par soutien au Bahreïn. Selon des connaisseurs du domaine militaire, le Maroc et la Jordanie possèdent les forces terrestres les plus disciplinées et les plus fiables pour les pays du Golfe, en cas de conflit armé contre l'Iran. D'autre part, le Maroc, qui dispose d'une armée professionnelle très aguerrie, aurait la capacité de projeter jusqu'à 25.000 hommes si besoin est. Question armement, les pays du CCG sont plutôt bien dotés et continuent à s'équiper de très bon matériel, probant aussi bien en terme de qualité que de volume. La dernière commande de l'Arabie Saoudite, à titre d'exemple, d'un montant phénoménal de 60 milliards de dollars, a porté sur l'acquisition de pas moins de 84 avions de combat américains F 15, dans sa version la plus moderne, le «Silent Eagle», la rénovation de 70 autres F-15, outre 178 hélicoptères d'attaque, dont des AH-64 Apache et des UH-60 Black Hawk. La livraison de ces appareils va s'échelonner sur quelques 15 à 20 ans. Les vieux F-14 Tomcat iraniens, dont il est difficile de dire combien sont toujours opérationnels sur les 79 livrés du temps du Shah, faisaient déjà pâle figure face aux 75 F-15C/D, les 71 F-15E, les 72 Eurofighter Typhoon et les 120 Tornado saoudiens. Et ce, sans tenir compte des flottes aériennes militaires et des arsenaux des autres pays du Golfe, dont les F-16 Block 60 des Emirats Arabes Unis, le plus moderne des Vipers, que ce pays est l'unique au monde à posséder. Les pilotes émiratis sont également les seuls du monde arabe à avoir participer à un «Red Fag», l'exercice de simulation de combats pour la crème des pilotes de F-16 qui se déroule annuellement aux Etats-Unis et auquel sont invités des pays étrangers. En espérant y voir aussi prendre part un jour les pilotes marocains, maintenant que les F-16 Block 52+ dont le Maroc s'est porté acquéreur ne vont pas tarder à être livrés. Le CCG, c'est également un PIB actuellement de l'ordre des 1100 milliards de dollars. A titre de comparaison, les cinq pays de l'UMA ne dépassent pas les 420 milliards de PIB. Mis à part les 10 milliards de dollars en numéraire que les pays du Golfe ont promis de verser au Maroc et à la Jordanie, selon la chaîne de télévision PressTV, les pays du Golfe disposent d'un potentiel d'investissement remarquable, qui ne manquerait pas de donner un sérieux coup de fouet à la croissance de l'économie marocaine. De quoi compenser, voir dépasser, les deux points et demi du PIB que le Maroc manque d'engranger chaque année en raison de la timidité des échanges intermaghrébins. Des investissements et des marchés Les pays du CCG, c'est également un marché de 35 millions de consommateurs, au pouvoir d'achat élevé, et qui absorbe beaucoup de produits importés. Le Maroc est déjà lié par un accord de libre échange avec les Emirats Arabes Unis en 2001 et une plus grande ouverture des marchés des pays du Golfe ne manquerait pas de donner plus d'opportunités aux exportateurs marocains, ainsi qu'un avantage attractif pour les investisseurs étrangers. Il va sans dire que la position du Maroc auprès de l'UE n'en sera, également, que renforcée. Déjà, le conseil des ministres saoudien «a mandaté le président exécutif de l'Autorité publique des produits alimentaires et des médicaments d'entamer des discussions avec les responsables marocains sur le projet d'un mémorandum de coopération bilatérale portant sur les produits d'origine animale et marine, le fourrage et les médicaments vétérinaires», rapporte l'agence MAP dans une dépêche datée du 16 mai 2011. D'autre part, comme le Maroc est un importateur net de pétrole, des prix préférentiels à l'achat d'hydrocarbures ne manqueraient pas de soulager la facture énergétique du Maroc, réglée en devises, ainsi que la pression sur une caisse de compensation qui supporte lourdement la subvention des produits pétroliers, de plus en plus chers. Tout en restant attaché à sa vocation maghrébine, comme la précisé le chef de la diplomatie marocaine, le Maroc se voit offrir, à travers cette invitation à renforcer et institutionnaliser ses relations avec les pays du CCG, une rare opportunité, sachant que le Yémen frappe à la porte du Conseil des Etats arabes du Golfe depuis une décennie, qu'il pourrait probablement rejoindre en 2016, et que l'Union Européenne a tenté de charmer les pays du CCG pour conclure un accord de libre échange, ce pour quoi ces derniers ne se sont montrés nullement intéressés. Avantages géostratégique et commercial, avec une ouverture sur le Proche Orient et, de là, toute l'Asie, avantages politique et diplomatique, le poids des pays du Golfe sur la scène internationale n'étant pas à négliger, avantages économique et social, avec la perspective d'un flux d'investissements significatif et d'embauches pour les milliers de chômeurs. Si le Maroc a réussi jusqu'à présent à mieux tirer son épingle du jeu, dans un monde arabe en pleine effervescence, tout en gardant bonne réputation auprès des pays arabes et occidentaux, c'est surtout grâce au pragmatisme politique de SM le Roi, qui a su faire des choix de politique socio-économique et diplomatique dont le Maroc a déjà commencé à recueillir les fruits. Et ce malgré les voix discordantes, réminiscences d'idéologies depuis longtemps en faillite. A l'est, l'horizon du Maroc va désormais s'étendre jusqu'aux rivages du Golfe persique.