Il en est de la démocratie comme de certains produits. Ça ne s'use que lorsque on ne s'en sert pas. La liberté est aussi à l'image de certains organes du corps humain : ils s'atrophient dès lors qu'ils cessent d'agir. 20 février – 20 mars 2011. Mais aussi et surtout 9 mars 2011. Il faut rendre à César ce qui lui appartient et à Omar ce qui lui est dû. En un mot comme en mille, il nous faut procéder, chacun en ce qui le concerne, à une autocritique salutaire au lieu de nous abriter derrière les slogans soporitères ou des idées toute faites passablement hasardeuses. Des jeunes dans la rue ? Quoi de plus naturel puisque, autant que l'on sache, cela fait plus de sept ans qu'ils s'adonnent à cette pratique devenue presque sport domestique. Pour des raisons diverses et à la faveur de motivations éparses, des diplômés-chômeurs, des fonctionnaires sous-utilisés ou sous-payés, des ouvriers brimés ou exploités, des femmes agressées, minorées, voire soumises de facto à un droit de cuisage avilissant et médiéval, tout ce beau monde déambule stoïquement ou bruyamment et bat allégrement le pavé de la capitale avec une escale privilégiée devant le Parlement sans que qui que ce soit trouve à redire quoi que ce soit. Et qui pourra jeter la pierre à cette cohorte de mécontents qui expriment leur ras-le-bol dans des formes et des styles différents, mais toujours dans la légalité et la clarté. Personnellement, et ceci dit sans cynisme aucun, je me suis toujours félicité de ce genre de mouvements, lesquels m'apportent un certain baume au cœur. Ayant eu la chance et le privilège de servir notre Maroc depuis l'aube de l'Indépendance sous le règne successif de trois rois parmi ceux qui comptent le plus dans l'Histoire contemporaine de cette terre bénie, j'ai eu comme tout un chacun la latitude de vivre des hauts et des bas, à la fois sur le plan personnel et professionnel et chaque fois que j'assiste (ou participe) à un mouvement de foule, j'ai comme un pincement au cœur qui me transporte ailleurs. Plus précisément dans les années immédiatement antérieures au 16 novembre 1955… Sans encadrement méthodique précis, sans programmation étudiée, les Marocains, toutes générations confondues, savaient se mobiliser dans la ferveur et la cohésion pour lancer les messages adéquats qui devaient interpeller la conscience, « le bon sens » ou le réalisme du colonisateur. Aujourd'hui, l'enjeu est différent mais les règles du jeu restent identiques. Si dans le processus démocratique l'on ne peut que se féliciter de toute dynamique de groupe objective et productive, reflet par ailleurs d'une certaine prise de conscience et d'une maturité avérée, on ne saurait faire l'économie d'une vigilance élémentaire puisque, au regard de tout mouvement de foule, l'on sait toujours comment cela commence, mais on ne peut jamais savoir comment ça continue ni, encore moins, comment cela risque de finir ou de dégénérer. Car les glissements ne sont pas que virtuels. Pour mille et une raisons, ils sont même patents. Alors, qui osera logiquement jeter la pierre (au propre et au figuré) à ceux qui ont pour rôle de préserver la santé, la tranquillité et la salubrité des citoyens d'un Etat de droit digne de ce nom. Si les velléités de clientélisme, de prosélytisme, de surenchère ou même de subornation sournoise sont toujours à prendre en compte, à prévoir et si possible à prévenir, il n'en est pas de même à l'égard des provocations et dérapages en temps réel de la part de ceux qui n'attendent que la première occasion pour faire feu de tout bois (aux sens propre et figuré…), dénaturer la portée du message et usurper un événement qui procède le plus souvent d'intentions louables, en tout cas claires et sainement formulées. Ce sont là les écueils que, à tout prix, il nous faut à tous contourner et éviter pour continuer à livrer à la face du monde notre maturité et notre civisme. Un peuple éduqué, civilisé, mérite tous les égards et ce n'est pas parce qu'il entend préserver nos valeurs et nos institutions et, d'une façon plus terre à terre, le bien et la propriété de tous et de chacun qu'un Etat doit être affublé du vocable foncièrement injurieux et néanmoins injustifié d'Etat policier. On n'en est pas là. On n'en est plus là. Dieu merci. L'enthousiasme des jeunes est un capital précieux à la condition expresse qu'il ne dégénère pas. Nos jeunes - cette génération Mohammed VI – sont plus directement concernés par le devenir du pays que nous-mêmes, leurs aînés. Ils ont droit à un sens de l'écoute de la part des décideurs. Des passerelles de dialogue doivent être aménagées. Il y va de la cohésion et de la paix sociale sans lesquelles rien de concret ne peut être fait. 20 février : 1er épisode, 20 mars, acte 2. Mais pourquoi vouloir occulter et passer sous silence le 9 mars ? Car cette marche, c'est aussi celle d'un Roi, celle d'un peuple tout entier. Pour autant qu'elle ne déborde pas du cadre qui devrait rester le sien, elle est signe de bonne santé. Lorsqu'un Chef d'Etat décide de « vous-y-comprendre » par anticipation, convaincu des attentes de son peuple, de ses espérances et de ses aspirations, c'est le degré dix (le top ten) de la perspicacité et du réalisme. Alors de grâce, ne nous trompons pas de mode d'expression pour dire nos rêves envers ce Maroc nouveau que nous appelons de tous nos voeux. Méfions-nous des slogans faciles ou préfabriqués, des analogies et mimétismes trompeurs et des transpositions hypothétiques. Le Maroc est une nation multiséculaire qui n'a à recevoir de leçons de personne ou de quelque zone d'influence que ce soit. Dans leur marche des 20/02 et 20/03 nos jeunes n'étaient pas seuls. Le Roi-citoyen, par son cœur et son intelligence, par les ambitions qu'il nourrit pour le Maroc de Ses rêves et des nôtres, était aussi proche d'eux qu'ils ne sauraient le supposer et c'est la raison pour laquelle il leur incombe de mettre toutes les chances du côté de ce projet historique d'un Maroc à la fois en mouvement et éternel. Dans cette croisée des chemins où tous les possibles sont virtuellement accessibles, il nous faut à tous et à chacun jouer pleinement le jeu sans parti-pris ni arrière-pensée égocentrique avec pour seul credo et leitmotiv permanents, la participation volontariste collective à un projet sociétal digne de nous, à la hauteur des espoirs des générations montantes dont on ne saurait taire ou méconnaître les frustrations cumulées, nées des erreurs du passé immédiat de leurs aînés décideurs. Nous, en l'occurrence. C'est là notre devoir à tous ; la mission du Roi étant, à mon humble avis, celle d'inciter par tous les moyens que lui confère sa charge institutionnelle, toutes les composantes de la société à prendre ses responsabilités dans l'édification du Maroc de demain.