Gare de Sidi el Aidi, jeudi 10 mars, 9 heures du matin. Le train en provenance de Marrakech et à destination de Casablanca est à l'arrêt depuis plus d'une heure. Une partie des passagers, lassés d'attendre le départ du train dans les wagons, sont descendus s'enquérir des nouvelles. Une petite foule s'est agglutinée devant la locomotive et les échanges sont tendus ave les employés de l'ONCF sommés de répondre aux questions des voyageurs, mais leurs réponses ne semblent pas convaincre les protestataires. - «Un train de marchandises est tombé en panne et bloque la voie», explique un jeune étudiant, qui s'est informé auprès du chef de train. - «Ils auraient pu nous prévenir plus tôt. Au moins, j'aurais pu prendre dès lors un taxi pour aller au travail. Avec ces retards répétés, j'ai honte d'avoir encore une fois à me justifier auprès de mon patron», réagit vivement une jeune dame, employée dans une entreprise à Casablanca. - «Moi, je prends ce train chaque jour et j'en ai marre de ces retards. De plus, ils ne nous ont même pas encore dit à quelle heure le train va partir», renchérit une autre jeune femme, qui s'est littéralement assise sur un rail devant la locomotive. «Cette fois, je ne bouge pas d'ici. Pour l'arrivée à l'heure au travail, c'est, de toute manière, foutu. Alors, autant régler une fois pour toute cette histoire de retards». - «Oui, ils font peu de cas des contraintes des usagers. J'avais un rendez-vous important ce matin et je sais maintenant que je l'ai raté. Ils doivent apprendre à nous respecter un peu plus». Les voix protestataires s'ajoutent les unes aux autres, le ton monte crescendo, la foule gronde. «Nous voulons une solution définitive à nos problèmes. Soit les responsables de l'ONCF règlent ces problèmes, soit on ne bouge pas d'ici. Ils n'ont qu'à faire appel aux autorités. Nous aussi, nous avons des plaintes à leur adresser». Puis la foule compacte se dirige vers le bureau du chef de gare, qu'elle envahit. Un immense tapage secoue la petite gare rénovée de Sidi el Aidi, d'habitude d'un calme plat. La gendarmerie est présente, mais les gendarmes se contentent de regarder un peu à l'écart la foule des protestataires. Un vent de liberté souffle sur le pays et les citoyens entendent bien en profiter pour faire valoir leurs droits. Mais point d'actes irresponsables. Il est évident que tout le monde a compris que liberté et démocratie signifient également responsabilité du comportement. A l'intérieur du bureau du chef de gare, M. Ali Aichaoui, Directeur Régional Infrastructure et circulation Sud de l'ONCF et M. Mohamed Yazid Zellou, wali de la région Chaouia-Ouardigha et gouverneur de la province de Settat, tentent de ramener le calme dans les esprits. Faute de pouvoir s'entendre avec une nuée de protestataires qui les chapitre de tous les côtés, ils demandent à discuter avec une délégation restreinte s'exprimant au nom de tous les voyageurs. La foule se regroupe en dehors du bureau et cinq représentants furent aussitôt désignés. La démocratie représentative à base d'élections spontanées ! La presse ne pouvait, bien entendu, manquer d'assister à cet exercice en miniature de la démocratie en action. La délégation des voyageurs entre au bureau du chef de gare, où l'attendent MM. Zellou et Aichaoui. Les négociations peuvent commencer. Une liste de revendications, préalablement dressée avec la foule des voyageurs, est présentée au responsable de l'ONCF, le wali se contentant d'assister, n'intervenant que rarement pour apaiser les tensions. - Les billets doivent être remboursés ! - Accordé. - Et pour les abonnés ? - Une formule va être trouvée pour qu'ils soient également remboursés. - Les tarifs sont trop élevés par rapport à la qualité des services. - Concernant les tarifs, il n'est pas question que j'en discute avec vous, la politique tarifaire est décidée par la direction. Par contre, concernant la qualité des services, je peux vous répondre. Notre office est actuellement entrain de mener un programme de rénovation des voitures. C'est un investissement de 220 millions de Dirhams. Nous avons fait appel à un designer, qui a élaboré un nouveau concept pour ce faire. Nous travaillons actuellement sur le prototype. Le programme de rénovation a déjà été entamé, avec la ligne Fès-Tanger et le train inter-city. SM le Roi a apprécié le résultat. Nous en sommes aujourd'hui à la troisième phase de ce programme, qui porte sur les trains navettes du réseau, de Settat à Kénitra et de Casablanca à El Jadida. Il y a 14 rames à rénover. L'axe Casablanca-Settat est devenu réellement important, avec une importante fréquentation. Nous nous efforçons de répondre au mieux aux attentes des usagers de cet axe en terme de qualité de service. - Il y a longtemps déjà, vous avez mené un audit à ce sujet. Mais depuis lors, nous n'avons rien vu venir. - La rénovation des voitures ne dépend pas de ma direction. Je ne peux donc honnêtement pas vous donner de date quand à la réalisation de ce programme. Mais je sais que le programme de réhabilitation va prendre une année à une année et demie. - Et les retards fréquents ? - Monsieur le wali a toujours insisté sur le respect des horaires des trains. Nous avons un dépanneur à Settat pour les trains qui tombent en panne et nous veillons à ce qu'ils ne tombent pas en panne. Mais nous ne pouvons éviter que ça n'arrive. Le train de marhandises qui est tombé en panne aujourd'hui, entre Nouaceur et Berrehid, il ne nous a pas fallu plus de 30 minutes pour le réparer et le remettre en marche. - Le problème, c'est qu'entre temps, les voyageurs qui étaient à bord du train à Berrechid qui avait forcément pris du retard aussi, ont bloqué la voie et il a fallu les convaincre de la libérer, pour permettre la circulation des autres trains, comme nous le faisons maintenant avec vous, ajoute de son côté le wali de la région. S'il n'y avait que le train de marchandises qui était tombé en panne, il y a longtemps que votre train serait parti. Mais comme vous le faîtes à votre tour ici, les voyageurs à bord du train de Berrechid ont bloqué la voie pendant un certain temps, ce qui a entraîné encore plus de retard et votre réaction. - Je tiens aussi à préciser que les équipements de l'ONCF sont quelques fois mis à mal par des actes malveillants, qui provoquent également pas mal de pannes et de retards. Nous aussi nous voulons faire appel à l'esprit civique des citoyens, qu'ils sachent que ces actes de vandalisme coûtent beaucoup de temps et d'argent, poursuit M. Aichaoui. - Nous voulons aussi dénoncer le comportement peu respectueux de certains de vos employés, tel ce chef de gare qui a fuit le train dès qu'il s'est arrêté à Sidi el Aidi. - J'en prends note, indique M. Aichaoui. - La propreté des toilettes qui laisse toujours à désirer. - Les toilettes des trains ont le même système que ceux des avions, avec un mécanisme de rétention qui empêche de salir les gares et la diffusion des mauvaises odeurs. En outre, les voitures sont nettoyées de fond en comble dans les gares terminus et à chaque grande gare, une équipe de nettoyeurs monte à bord des trains pour un nettoyage rapide. Mais là encore, nous tenons à faire appel à l'esprit civique des usagers. Quand des objets destinés à être jetés à la poubelle le sont dans les toilettes, ça entraîne des dysfonctionnements qui nuisent à l'état des lieux. - Et la climatisation ? Vous chauffez quand il faut refroidir et refroidissez quand il faut chauffer ! - Nous ne chauffons pas. En fait, ce n'est qu'un ventilateur, qui fait circuler l'air ambiant. Par contre, toutes les gares sont correctement climatisées. Un accord a finalement été conclu, mais méfiants, certains délégués ont réclamé que toutes les questions abordées et les engagements pris soient écrits noir sur blanc, signé et cacheté par le responsable de l'ONCF. Ce à quoi il s'est plié de bon cOur. - «Un engagement est un engagement, avec ou sans ce papier, souligne M. Aichaoui. Maintenant, je crois qu'il est temps que vous libériez la voie pour que les autres trains de voyageurs puissent circuler également. Nous avons accumulé un gros retard et d'autres voyageurs comme vous sont entrain d'attendre à bord de leurs trains». Il a fallu pas moins de vingt minutes pour remettre tous les voyageurs à bord des wagons, après avoir convaincu les plus récalcitrants que des engagements ont été pris par le responsable de l'ONCF et qu'il fallait laisser les voyageurs qui attendent à bord d'autres trains, achever leurs trajets. «On va encore une fois leur faire confiance et remonter dans le train pour libérer la voie», lance la jeune dame employée dans une entreprise privée, avec qui il a fallu déployer moult arguments pour la convaincre de cesser son sit-in devant la locomotive. «Toutes nos plaintes sont restés jusqu'à présent sans suite. J'espère qu'ils tiendront cette fois leurs engagements». Mais le bon sens a pris le dessus et les voyageurs protestataires firent preuve d'une remarquable maturité d'esprit. Tout le monde est remonté à bord, le chef de train siffle le départ et le train s'ébranle doucement pour reprendre son chemin, après avoir bloqué pendant plus de deux heures une partie du réseau. Les voyageurs se sont fait entendre, les responsables ont pris note de leurs revendications et un ferme engagement a été pris pour répondre aux attentes des usagers. Tout est bien qui finit bien, quand le bon sens demeure maître de la situation. Les autorités ont su faire preuve de retenue et les voyageurs de sens de la responsabilité. La culture de la liberté et de la démocratie semble de mieux en mieux enracinée dans les esprits. A la direction de l'ONCF, on ne manque pas de faire remarquer que le taux de satisfaction de la clientèle qui emprunte l'axe Settat- Casablanca est de 93%, par rapport à une moyenne nationale de 81%. «Sachez que nous traitons le plus sérieusement du monde toutes les plaintes que nous recevons, même les plaintes verbales recueillies par les contrôleurs, ne manque pas de souligner M. Abdelghani Abdelmoumen, directeur commercial voyageurs de l'ONCF. «Mais les voyageurs doivent garder à l'esprit que les règles de sécurité prennent le pas sur toute autre considération à l'ONCF. Quand une panne survient quelque part sur le réseau, il n'est pas question pour nous de laisser circuler les trains sans être sûrs que toutes les conditions de sécurité sont remplies. Et pour déterminer exactement la cause d'une panne, il faut procéder à des vérifications minutieuses, qui prennent forcément un peu de temps. La sécurité des voyageurs est notre priorité». «L'ONCF est passée d'un volume de trafic de 14 millions de voyageurs en 2005 à 31 millions de voyageurs en 2010. Un tiers du parc de trains a déjà été rénové et le programme est toujours en cours de réalisation. Nos trains et le fonctionnement de notre réseau sont conformes aux standards internationaux, ce en quoi nous sommes les premiers en Afrique. D'autre part, nous sommes entrain de nous préparer à entrer dans l'ère du Train à Grande Vitesse, le TGV, et rares sont les pays qui peuvent prétendre pouvoir en faire autant. Nous avons donc toutes les raisons d'être fiers de ce que nous avons réalisés jusqu'à présent et l'avenir s'annonce encore meilleur, malgré toutes les difficultés qu'il reste à surmonter».