Au lendemain de l'indépendance, le Maroc devait affronter un vide laissé par les cadres techniques et administratifs français, sommés du rentrer chez eux. A l'instar des autres administrations, le CCM et les studios Souissi, ce dernier étant un organisme privé, devaient veiller à combler le vide. Ce fut la principale tâche de Omar Ghannam, nommé précipitement à la place du cinéaste Ahmed Belhachmi, trop préoccupé par sa vie d'artiste. L'accord passé entre les autorités marocaines et l'IDEC (Institut de Hautes Etudes Cinématographiques) à Paris, en fut légendaire, stipulant la formation de techniciens en cinéma, dans différentes options, notamment en réalisation, image, montage et décor. Nos futurs cinéastes reçurent une formation polyvalente incluant la gestion de la production, la régie, le son et l'écriture de scénario. Ils eurent l'occasion de côtoyer les grands noms du cinéma français à l'IDHEC, comme à la cinémathèque française, fief des cinéastes durant cette période et lieu de pèlerinage incontournable des cinéphiles. Sitôt rentrés, les cinéastes intègrent tout naturellement le CCM, presque unique lieu où s'exerce le cinéma. Rares sont ceux qui rejoignent les studios Souissi, et encore plus rares sont qui vont intégrer directement la RTM, dont la télévision a démarré grâce aux cadres du CCM. Jusqu'en 1956, le cinéma de propagande dominait la production cinématographique au Maroc. Situation un peu banale si on prend en ligne de compte le souci des Français à utiliser le cinéma, au Maroc comme en France, pour des fins idéologiques. Ce n'était pas une honte. Les Américains, les Soviétiques comme les Allemands sont passés maîtres dans ce domaine, et des centaines de films, ont été réalisés dans le monde, pour de simples fins idéologiques. On comprend donc le désarroi des cinéastes marocains fraîchement formés. Ils devaient exercer dans un cadre préétablie où le cinéma de propagande fait école avec un traitement ciblé des réalités et des personnages. Comment échapper au joug colonial dans ce cas précis ? C'est dans ce contexte que le cinéma de « vulgarisation » a été adopté, en remplaçant le cinéma de propagande, mais où l'on trouve de grandes affinités entre l'un et l'autre. On garde le concept et on change le contenu devient la voie royale à laquelle tout le monde s'accommode, administration et cinéastes confondus. Ces derniers n'en furent pas moins partagés entre le devoir de faire des films commandités et le désir de leur choix. Cette situation psychologique ne manque pas de se répercuter sur les films où l'on décèle des germes de création individuels dans des films institutionnels, c'est-à-dire des films établis en coproduction entre l'administration de tutelle et les départements ministériels les plus importants notamment la santé, la pêche, l'agriculture, l'habitat, l'artisanat et le tourisme. N'empêche qu'une grande partie de ces films, malgré leur caractère institutionnel, vont récolter des prix dans les festivals étrangers et bénéficier d'une critique appréciable, tout à l'honneur des cinéastes, ces «jeunes loups», situés entre le marteau et l'enclume.