«Innombrables sont les récits du monde ». Ainsi, Roland Barthes commence-t-il son introduction à l'analyse structurale des récits. Innombrables sont les récits en effet, mais nombreux sont aussi les genres que l'homme, dans un soucis de clarification, cherche à définir et à classer depuis qu'existent les récits du monde. Le problème ne se pose plus aujourd'hui seulement pour les textes littéraires, mais aussi pour d'autres types de discours et notamment de discours cinématographique. Loin de nous cependant l'idée de nous attaquer ici à une quelconque théorie des genres cinématographiques. Le western, au demeurant, appartient sans doute au genre le moins discutable qui soit, même si quelques tentatives marginales le font ressortir parfois à d'autres genres en souillant sa pureté originelle. S'il ne nous paraît donc pas nécessaire de définir plus précisément le western, il convient de remarquer que ce genre très particulier, intimement lié aux progrès de la civilisation américaine, peut également ressortir à des modes de récit plus généreux. Ainsi, peut-on appeler aux mythes et aux légendes. Certaines légendes ont pu être détruites sans que le mythe en soit pour autant touché. Ceci explique, par exemple, une phrase écrite par André Bazin et abondamment citée depuis : « L'histoire n'était que la matière du western, elle deviendra souvent son sujet »… L'erreur de Bazin, qui peut, d'ailleurs, s'expliquer par son humanisme chrétien, consiste à confondre mythe et légende. En l'occurrence, l'histoire qui sert de toile de fond au genre tout entier, ne triomphe pas du mythe mais de la légende. Les mythes de l'Ouest, qui ont la peau dure, ne sont pas morts avec les légendes et le western mais réapparaissent ailleurs dans certains films noirs par exemple. « Je suis du prolétariat. Je sors d'une famille de paysans. Ils sont venus ici et ont reçu une éducation. Ils ont bien servi ce pays. J'aime l'Amérique. Je suis apolitique ». Tout Ford tient dans ces quelques courtes phrases. Toute son idéologie, toute sa philosophie, toute sa raison d'être. Tout son cinéma aussi et singulièrement tous ses westerns. On peut d'ailleurs aisément remarquer que les westerns de Ford suivent intimement l'évolution du pays qui les nourrit. Ceci depuis ses premières œuvres qui exaltent la conquête de l'Ouest, jusqu'à ses dernières, plus graves, qui trahissent chez ce pionnier la perte de ses illusions. Appartenant donc comme Walsh ou Hanks, à la première génération des auteurs de westerns, Ford exalte dès ses premiers essais l'esprit de la conquête à travers les pus belles œuvres des pionniers. Ainsi, en 1918, dans « Du sang dans la prairie », il met en scène un groupe de pionniers en proie à des calamités de toutes sortes mais que rien ne peut finalement freiner dans leur marche. Un bon nombre de westerns que Ford signa, illustrent des thèmes voisins et alimentent les légendes des hardis pionniers. Souvent d'ailleurs, les mauvais et méchants garçons eux-mêmes s'affirment prêts au rachat et au sacrifice. Pour s'en convaincre, il n'est qu'à voir « Les trois sublimes canailles » (1927), où trois bandits faisant partie d'une caravane de pionniers se sacrifient pour sauver un jeune couple. Rachat, conquête, sacrifice, l'œuvre de Ford se veut positive et célèbre la conquête d'une terre à travers des épisodes essentiellement constructifs. Un monde de bâtisseurs où le contre point à l'épreuve présente la beauté, la noblesse de l'Amérique de demain. Cependant, au contraire De Mille qui aime à embrasser les foules, Ford s'attache à de simples individus qui, au hasard de leurs pérégrinations, vont former de petites communautés. Celles-ci, qu'il s'agisse des pionniers de la guerre d'indépendance ou des Mormous, gardent toujours leurs spécificités, symbolisant toute la richesse et la diversité d'un peuple dont elles sont les représentants microcosmiques. Ce que Ford veut montrer par là, c'est qu'à travers les pionniers de l'Ouest se laissent deviner ceux qui vont transformer le début en un jardin d'éden. La vision que Ford a de l'Amérique est en effet une vision pionnière. Dans ses films, le déplacement va toujours vers l'Ouest : de l'Europe vers l'Amérique, c'est le rêve de l'immigrant. Et en Amérique, d'Est en Ouest, c'est le but du pionnier. Symptomatiquement d'ailleurs, le premier film réalisé par Ford : « The Tornado » (1917), se termine par un trait d'union entre le vieux continent et le nouveau monde : un justicier de l'Ouest utilise l'argent d'une récompense pour faire venir sa mère d'Irlande.