Pendant longtemps, l'émigration féminine marocaine a été considérée comme une conséquence « évidente » de l'émigration masculine et de l'amplification, à partir des années 1970, du regroupement familial. Ce constat dévoile un a priori assez classique dans le champ des migrations, selon lequel « les femmes ne pouvaient se déplacer qu'en suivant un homme». Or de plus en plus de travaux analysant les trajectoires de ces femmes révèlent une grande diversité de situations (femmes chefs de famille, étudiantes, retraitées,…). Ils montrent que, même dans le cadre du regroupement familial, les femmes avaient une part active dans l'élaboration du projet migratoire familial et développaient des stratégies personnelles qui leur donnaient un véritable rôle d'actrices dans la migration, que ce soit d'un point de vue politique, économique, social ou culturel. Le phénomène de féminisation de l'émigration marocaine a pris un autre tournant durant les années 1990 avec une visibilité de plus en plus importante d'une émigration de travail autonome, notamment vers les nouveaux pays d'immigration (Espagne, Italie et pays du Golfe). Aujourd'hui, en France, en Belgique et aux Pays-Bas, les femmes représentent près de la moitié de la population marocaine, 33% en Espagne, 30% en Italie. Dans les pays du Golfe, ce pourcentage serait plus significatif. Cette migration correspond à une mutation de la société marocaine dans laquelle les femmes acquièrent de l'autonomie, y compris sur le plan économique. Mais également au développement de niches d'emploi dans des marchés de l'emploi de plus en plus internationalisés, à forte demande de main d'œuvre étrangère (secteurs de la domesticité et des soins médicaux, de l'agriculture, du tourisme et des loisirs,..). En France, on comptabilise 45% de Marocaines sur le marché du travail et 14% en Espagne. La migration féminine répond certes à une nécessité économique (précarité sociale, pauvreté, accroissement du nombre de femmes chefs de famille, etc.), mais représente aussi une réponse potentielle à une demande grandissante d'épanouissement personnel et d'émancipation face à des discriminations sociales et des inégalités persistantes dans les rapports de sexe. Ainsi, la migration féminine présente une multitude de statuts et de situations (femmes peu qualifiées issues de milieux populaires, mais aussi cadres et catégories socioprofessionnelles élevées) qu'il convient de prendre en considération dans une approche genre des communautés marocaines à l'étranger. Il est également indispensable de tenir compte des jeunes générations de Marocaines (la plupart du temps binationales) nées dans les pays d'immigration et qui présentent des profils encore plus diversifiés et des problématiques spécifiques liées à la multi-appartenance culturelle. Prenant en compte l'évolution sociodémographique de cette communauté, notamment dans ses principaux changements, à savoir la féminisation et le rajeunissement, le CCME a mis en place un groupe de travail transversal intitulé « approche genre et nouvelles générations ». Ce groupe a pour mission d'enrichir les travaux menés au CCME et veille tout particulièrement à ce que cette double préoccupation soit présente dans les autres groupes de travail de CCME. Pour assurer cette transversalité et veiller à ce que cette approche genre soit introduite dans toutes les réflexions, les membres et chargés de missions du groupe collaborent et participent systématiquement à toutes les réunions et activités menées par ces autres groupes de travail. Dans le même esprit, le CCME avait organisé l'année dernière sa première manifestation publique sur le thème : Marocaines d'ici et d'ailleurs : mutations, défis et trajectoires, qui avait regroupé près de 450 femmes. Cette manifestation, qui avait bénéficié du Haut Patronage de sa Majesté le Roi Mohamed VI et de la présence de Mme Zoulikha Nasri, conseillère de sa Majesté le Roi Mohamed VI et de plusieurs ministres (Mmes Nouzha Skalli et Mme Latifa Akerbach, MM. Mohamed Ameur et Jamal Rhmani), a constitué une première occasion de rencontres et d'échanges entre femmes du Maroc et de l'émigration. Conformément au vœu de la majorité des participantes qui avaient émis le souhait de renouveler et d'approfondir cette expérience et dans le cadre de sa démarche, le CCME a organisé la deuxième rencontre des Marocaines d'ici et d'ailleurs, à Marrakech les 18 et 19 décembre 2009. Le colloque prévu à cette occasion se donnait un triple objectif: Mettre en lumière des phénomènes existants mais jusque-là * « invisibilisés » : le vieillissement des migrants, le chômage, la discrimination et le racisme, le travail agricole, le secteur médical; * Mettre en exergue de nouvelles catégories d'émigré(e)s et divers profils : étudiantes, retraitées, migrantes hautement qualifiées, saisonnières,… ; * Contribuer à l'élaboration de nouvelles politiques publiques plus adaptées aux attentes et aux aspirations de l'ensemble des émigré(e)s. En outre, les communications présentées lors de ce colloque alimenteront le rapport stratégique que le CCME doit élaborer tous les deux ans. L'objet du colloque international inscrit dans le cadre de la 2° édition de « Marocaines d'ici et d'ailleurs » était de proposer un espace de réflexion et de débat scientifique autour de chercheurs marocains et étrangers. Ce colloque a été introduit en séance plénière d'ouverture par la présentation de deux études statistiques commanditées par le CCME : Le travail de M. Abdesslam Marfouk, économiste à l'ULB à Bruxelles a montré que les femmes sont une composante majeure de la communauté marocaine résidante à l'étranger. Il s'agit dans cette étude et en se basant sur des analyses statistiques de faire tomber un certains nombre de clichés (migrants passives, composante négligeable, faible niveau d'éducation, phénomène récent, faible transfert, migration saisonnière). L'autre objectif de l'étude était de combler un manque de données fiables et précises. Les résultats de cette étude permettent de pointer les lacunes de la recherche concernant la présence des femmes dans la migration marocaines (réalité des transferts et des investissements productifs, qualification, inexistence d'études sur le Moyen Orient et l'Afrique). L'autre étude commanditée par la CCME est une extraction de l'enquête BVA qui a porté sur un échantillon de près de 3000 personnes marocaines ou d'origine marocaine, dans 6 pays européens et qui comme pour particularité d'avoir été conduite soit dans la langue du pays de résidence, soit en arabe soit en berbère. Pour la 2° édition des « Marocaines d'ici et d'ailleurs », le CCME a demandé à BVA de procéder à l'analyse des données concernant les femmes. L'exposé d'Elodie Jouanic a dressé un panorama complet de la situation et des aspirations des femmes, contrastées selon les pays, sur la vie quotidienne, la situation familiale, les sociabilités, éducation des enfants, pratiques de langues, les pratiques religieuses, l'intérêt pour la vie citoyenne, la perception dans les pays de résidences, les discriminations, les liens les images et les attentes par rapport au Maroc. Les principaux enseignements qui sortent de l'étude sont : - que les Marocaines résidant en Europe ont une nette volonté d'ouverture sur l'extérieur et d'insertion durable dans les pays de résidence ; - une perception mitigée de la pleine acceptation des Marocains en Europe (sentiments de discrimination plus prononcée que chez les hommes dans le domaine de la vie sociale) - une perception globalement positive du Maroc mais une expression très prudente et pondérée de critiques et d'attentes prioritaires (droits de l'homme et droits de la femme) Globalement on peut dire que les Marocaines d'Europe ont un attachement fort au Maroc mais également à leur pays de résidence et qu'elles expriment un besoin de reconnaissance. Les travaux du colloque se sont ensuite tenus en 3 temps : - une première après-midi qui a porté sur les dynamiques migratoires féminines avec une approche comparative (mise en perspective) : * Hana Jaber « les migrations féminines au Moyen Orient », * Don Flynn « la problématique des migrations féminines et les marché de travail dans un contexte de globalisation (femmes en Grande Bretagne) » * Gail Mummert : les lecons qu'on peut tirer de la diaspora mexicaines à travers l'études des familles transnationales (les effets sur les enfants et les personnes qui restent dans un contexte rural). - Le deuxième temps du colloque a permis de dresser un état de lieux de la migration des femmes marocaines * Angeles Ramirez : transformations de la migration féminine, Espagne, * Alcinda Cabral : stratégies, citoyenneté, Portugal * Adelina Miranda : Marocaines en Italie (installation, stéréotypes, domesticité, religion) * Nadia Bouras : Pays-Bas - perspective historique à partir des années 60, différences de modalités d'inscription de la société (rural/urbain, statut matrimonial) * Michelle Vatz Laaroussi : Québec, désillusion et stratégies d'émancipation des femmes qualifiées * Yahya Abou el Farah : Sénégal - Côte d'Ivoire, phénomène ancien 19 siècle , urbain, commerçant, mariage mixte et étudiante (Contradiction avec le modèle européen). - Le troisième temps du colloque été l'occasion de faire état des problématiques émergentes et des nouvelles figures des migrations féminines marocaines. * Mohamed Barrech : une étude en cours sur la violence à l'égard des femmes sur 9000 ménages qui ne doit pas nous faire oublier que la reconnaissance de la violence à l'égard des femmes doit être une préoccupation tant sur le plan des politiques publiques (prévention et pénalisation) que des droits humains tant au Maroc que dans les pays de résidences. * Nassima moujoud : migration autonome des femmes marocaines en France en situation irrégulière, quête d'autonomie et lutte pour la régularisation administrative, victimes d'un double contrôle étatique et social, reproduction des rapports sociaux de sexe, sociabilité et mobilisation collective. * Fatima El Guennouni : analyse psychologique des mères de deuxième et troisiéme génération en UK, construction d'une nouvelle identité autour de l'islam. * Marjo Buitellar : femmes diplômées au Pays-Bas, qui sont passées d'une quête d'autonomie financière à une quête identitaire (reconstruction de liens familiaux et communautaires, identité religieuse). * Houria Alami M'chichi : Marocaines saisonnières dans la province d'Huelva, critères de recrutement sexuées qui reproduisant un partage sexuée de rôle et qui sont chargées de stéréotypes, politique de migration choisie, soumission des femmes, impact sur le statut des femmes au Maroc. * Claudine Attias Donfut : femmes marocaines âgées en France, précarité des femmes, pas de droit à la retraite, forte solidarité familiale, existence de personnes isolées et choix de rester en France à la retraite. De ces différentes présentations et des discussions on ressort le fait qu'il reste encore des lacunes au niveau de la recherche et des thématiques à explorer ou aborder : * Nécessité de croiser les approches quantitatives et qualitatives, parce que les statistiques donnent des éclairages mais ne suffisent pas à rendre compte de la complexité et de la diversité des situations. * Nécessité de mettre en oeuvre des approches pluridisciplinaires, histoire, économie, droit, géographie, sociologie… * Les « boites noires » de la migration féminine marocaine : - la migration dans les pays du Moyen Orient et en Afrique - les effets psychologiques de la migration féminine (désillusion, dépression, sentiment de rejet..) - la prostitution - les effets de la migration sur les reconfigurations familiales (les enfants, les personnes âgées et les relations de couple)