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Droit de grève : Enfin le tant attendu cadre légal [INTEGRAL]
Publié dans L'opinion le 05 - 12 - 2024

Le projet de loi sur le droit de grève a été adopté au Parlement. D'importantes nouveautés y ont été introduites, suite aux amendements des groupes parlementaires, permettant ainsi au Maroc de se doter enfin d'une loi encadrant le droit de grève. Eclairage.
Le projet de loi sur le droit de grève a été adopté en Commission des secteurs sociaux à la Chambre des Représentants. D'importantes nouveautés ont été intégrées à ce texte grâce aux amendements des groupes parlementaires, permettant ainsi au Maroc de se doter enfin d'une loi régissant le droit de grève.

Le texte a été adopté, mercredi, lors d'une réunion marathonienne de la Commission des secteurs sociaux de la Chambre des Représentants, qui a duré de mardi soir à mercredi matin. Cette réunion a été décisive, car le ministre de l'Emploi et les groupes parlementaires ont dû se prononcer sur les 334 amendements apportés par le gouvernement, les divers groupes parlementaires et les députés non affiliés. Ces amendements concernent plusieurs aspects jugés répressifs de l'ancienne mouture formulée sous l'ère du gouvernement Benkirane.

En effet, le projet de loi tant attendu a été approuvé par 22 voix pour et 7 voix contre, sans aucune abstention. Ce vote marque la fin d'un blocage de longue durée et permet de doter le Royaume d'un texte législatif régissant de manière définitive le droit de grève, conformément à la Constitution. Le texte poursuivra désormais sa trajectoire législative en attendant son approbation finale par les deux Chambres.

A vrai dire, le projet a été entièrement révisé et a subi des amendements importants. Tout l'enjeu pour le gouvernement est d'instaurer un équilibre logique et juridique, garantissant ainsi une protection équitable des droits des travailleurs, tout en prenant en compte l'intérêt des employés et celui du pays, selon Younes Sekkouri. Cette vision est jugée essentielle selon la députée istiqlalienne Khadija Zoumi, dans un contexte où le Maroc cherche à encourager les investissements et à créer de l'emploi. La députée se réjouit d'un texte révolutionnaire garantissant la liberté de grève pour toutes les catégories professionnelles.

Un nouveau projet de loi en bonne et due forme

Le gouvernement a levé l'interdiction de la grève à des fins politiques, une disposition qui avait suscité des controverses dans l'ancienne mouture, dans la mesure où elle créait une ambiguïté pour les travailleurs et restreignait leur liberté de grève, d'après les syndicats. Cette restriction était problématique, car les grèves sont souvent une réponse à des politiques jugées répressives, a affirmé Khadija Zoumi. La nouvelle formulation de l'article est la suivante : "Tout appel à la grève contraire à cette loi est considéré illégal".

L'article 12, qui interdisait les grèves tournantes, a également été abrogé. Il sera désormais dédié à la définition des motifs et délais à respecter pour l'appel à la grève dans les secteurs public et privé, marquant une étape majeure dans la consécration du droit de grève.
Il en va de même pour le volet répressif du projet de loi de 2016, notamment les sanctions pénales et la peine privative de liberté, qui a été supprimée, tout comme la procédure de réquisition.

En ce qui concerne le délai de notification de grève, le ministre soutient un délai "logique" et "raisonnable", s'éloignant du délai de 30 jours, jugé irréalisable. Certaines situations urgentes ne justifient pas d'attendre un mois pour revendiquer ses droits, comme l'a souligné Khadija Zoumi.

Le délai a ainsi été réduit à trois jours en cas d'urgence, et à une période variant entre 15 et 30 jours pour le secteur privé, à condition qu'un dossier revendicatif soit déposé. Dans le secteur public, le délai reste de deux mois. Cependant, le délai pour le secteur privé devrait être réévalué lors des discussions à la Chambre des Conseillers, nous précise Khadija Zoumi.

Les syndicats représentés peuvent aussi appeler à la grève

La question de "qui a le droit d'appeler à la grève et sous quelles conditions ?" a enfin été tranchée, mettant fin à l'anarchie imposée dernièrement dans le milieu syndical. Le projet de loi réserve désormais le droit de grève aux formations syndicales représentées, au même titre que celles les plus représentées, afin d'aligner le texte avec les aspirations des jeunes, quelle que soit leur affiliation politique ou syndicale.
L'article 16 dudit projet de loi précise également les missions de l'entité appelant à la grève, qui incluent l'encadrement des grévistes avant et pendant le mouvement, la gestion de l'exercice de ce droit, et la prise de mesures nécessaires pour éviter la destruction des biens et équipements sur le lieu de travail. Tout l'enjeu est de garantir la santé et la sécurité au travail, ainsi que la sécurité et la vie des travailleurs, et de désigner les responsables de ces tâches.

Un autre acquis important pour les syndicats consiste en la possibilité d'exercer le droit de grève dans les secteurs vitaux comme la santé et les tribunaux, à condition qu'un service minimum soit assuré.

Enfin, une nouveauté majeure dans cette nouvelle version du texte est l'inclusion d'un préambule, qui n'existait pas dans l'ancien texte. Ce préambule énonce les bases et principes généraux du projet, et sa rédaction consensuelle dans le premier article du texte. Selon Khadija Zoumi, cette étape est cruciale car elle fait référence à l'article 29 de la Constitution, qui garantit le droit de grève et stipule qu'il doit être organisé par une loi. Cette référence constitutionnelle est renforcée par les conventions internationales et les droits de l'Homme, qui garantissent également ce droit.
Trois questions à Khadija Zoumi : "La nouvelle mouture constitue une avancée significative dans la consécration des droits syndicaux"


- Comment évaluez-vous l'avancement actuel du projet de loi sur le droit de grève ?
- Le fait que près de 334 amendements aient été présentés concernant ce projet témoigne des insuffisances et de la non adaptabilité de l'ancienne mouture de 2016. L'essentiel des amendements a été approuvé, comme l'a promis le ministre Sekkouri, ce qui constitue une avancée significative dans la consécration des droits syndicaux. Les amendements proposés seront validés au niveau des deux Chambres du Parlement, permettant ainsi aux syndicats de participer pleinement au processus législatif.
- L'élargissement des catégories concernées par le droit de grève a constitué une exigence majeure pour les syndicats. Où en est-on par rapport à cette revendication ?
- La nouvelle mouture élargit les catégories concernées par le droit de grève, tout en maintenant un service minimum. L'ancienne mouture de ce projet avait limité le droit de grève des taximen, sous prétexte de l'existence d'une organisation professionnelle et de l'absence d'un lien employeur-employé formel. La nouvelle mouture étend ce droit à cette catégorie socioprofessionnelle.
Le droit de grève des agents de propreté, quant à lui, avait également été restreint, mais avec le nouveau projet, ces travailleurs pourront désormais recourir à la grève pour défendre leurs droits, avec des mesures organisant leur action. Les travailleurs non salariés et les personnes exerçant des professions particulières se sont vu accorder le droit de grève qui leur a été arraché, conformément à la législation internationale dans ce domaine. En outre, l'une des nouveautés de cette réforme est de garantir à chacun la liberté de choisir entre travailler ou faire grève, selon leurs priorités et selon la vision de leur syndicat.
- Certains acteurs dénoncent la constitutionnalité et déplorent une menace de restreindre le droit de grève. Qu'en pensez-vous ?
- Ce projet ne vise pas à restreindre le droit de grève, mais plutôt à l'organiser de manière conforme à la Constitution. Le gouvernement a fait preuve de courage et d'audace pour sortir ce projet du placard, permettant de le réécrire avec la participation des partenaires sociaux au vu du nombre d'amendements présentés. Ces acteurs manquent de représentativité pour s'opposer à ce texte. Ce dernier a été amendé par tous les groupes parlementaires, y compris l'opposition. Le Parlement ne peut rien laisser passer en dehors du cadre de la Constitution.
Projet de loi n° 97.15 : Consécration d'un droit constitutionnel fondamental
La protection de la grève a été consacrée par l'article 14 de la première Constitution du Maroc en 1962. Cet article stipulait que "le droit de grève est garanti", mais il n'a rien précisé à son sujet.
La loi n° 65.99 relative au Code du travail n'a pas organisé la grève, mais s'est limitée à la considérer comme une cause de suspension temporaire du contrat de travail, et en précisant qu'un salarié gréviste ne peut pas être remplacé par un autre.
Toutes les révisions constitutionnelles ultérieures ont continué à prévoir que « le droit de grève est garanti. Une loi organique précisera les conditions et les modalités de son exercice », et cela est resté inchangé dans la dernière Constitution de 2011, qui stipule que « le droit de grève est garanti. Une loi organique en fixe les conditions et les modalités d'exercice », mais sans que ce texte de loi organique ne voie le jour depuis environ 13 ans de la Constitution de 2011 et 62 ans de la Constitution de 1962.
L'article 86 de la Constitution marocaine oblige le gouvernement à adopter les lois organiques durant la première législature après l'adoption de la Constitution. Ainsi, le gouvernement a élaboré le projet de loi organique n° 97.15 définissant les conditions et les modalités d'exercice du droit de grève.
Ce projet a été renvoyé à la Commission des secteurs sociaux de la Chambre des Représentants à la veille des élections législatives du 06/10/2016, après son adoption par le Conseil de gouvernement le 28/07/2016, puis par le Conseil des ministres le 26/09/2016.
Cependant, le gouvernement actuel a décidé de le sortir du placard pour engager des rounds de dialogue avec les partenaires sociaux à ce sujet, donnant naissance à la nouvelle mouture adoptée en Commission parlementaire.

Droit de grève : Sortie par le haut d'une discussion périlleuse
Le projet de loi organique sur le droit de grève, tel qu'il a été adopté en Commission des secteurs sociaux, a fait objet de longues réunions entre le gouvernement et les syndicats, dans le cadre d'un round de dialogue dédié. Tout l'enjeu pour les deux parties était d'aboutir à une loi consensuelle garantissant l'exercice du droit de grève.
Les syndicats ont de même défendu l'idée que le droit de grève demeure indissociable du droit syndical et, par conséquent, les libertés syndicales doivent être respectées, dont le droit de grève, en conformité avec les dispositions de la Constitution et les conventions internationales.
De plus, ils ont souligné la nécessité que la loi doit garantir le droit à la grève et un équilibre entre les droits et les obligations tout en tenant compte de l'intérêt général de la classe ouvrière, sans pour autant prévoir de peines privatives de liberté.
Dans la foulée des consultations, le Conseil économique, social et environnemental a rendu un avis sur ce projet de loi organique qu'il a qualifié d'"équilibré". De même pour les groupes parlementaires dont l'essentiel des amendements ont été retenus pour consolider le droit de grève dans ce texte de loi.
Aujourd'hui, le nombre d'articles du projet de loi a été ramené de 49 à 35 après discussions à la Commission précitée, dans la perspective de le revoir à la baisse à l'avenir, selon Sekkouri.


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