de la neige à 5 606 mètres d'altitude ? Non, presque pas. Le col de Khardung La, dans le district du Ladakh, au nord de l'Inde, a beau être la route carrossable la plus élevée du monde, le blanc n'y règne pas. L'air est rare, le ciel immaculé, et les militaires qui surveillent ce passage qui conduit au col de Karakoram, vers la Chine, scrutent avec patience des pentes dénudées et silencieuses. Mais, comme dans tout le Ladakh, les montagnes sont brunes et sèches, leurs flancs rarement couverts d'une fine couche de neige poudreuse. Et le glacier de Khardung La ? Ah, le glacier, il est plus loin, explique-t-on, sur la route de Nubra. «Les gens qui ont de la mémoire disent qu'il était beaucoup plus grand auparavant, dit Tundup Ango, de l'association d'origine française Geres. Mais est-ce dû au changement climatique, ou au trafic sur la route de construction récente qui le traverse ?» Cette question sans réponse définitive, il semble qu'on puisse la poser à propos de tout le massif himalayen : les glaciers fondent-ils massivement, ou pas ? La question est d'une importance vitale pour plus d'un milliard d'habitants en Inde, au Pakistan, au Bangladesh, au Tibet et en Chine. Recouvrant près de 3 millions d'hectares, les 15 000 glaciers himalayens forment la troisième masse glaciaire de la planète après les pôles. Avec la neige accumulée, le massif montagneux stocke 12 000 km3 d'eau douce, et constitue le réservoir des grands fleuves Indus, Gange, Brahmapoutre, Yang-Tse, Fleuve jaune et Mékong. En 2005, un rapport du WWF (Fonds mondial pour la nature) alertait sur la menace que faisait peser le réchauffement sur cette masse glacée. Une alerte reprise en 2007 dans le rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) : «Les glaciers de l'Himalaya reculent plus vite qu'en aucun autre endroit du monde, et si cela continue au taux actuel, la plupart d'entre eux auront disparu en 2035», y lisait-on. Ampleur incertaine Mais l'affaire est plus compliquée qu'il n'y paraît, parce que la situation n'est pas identique en tout point du massif. Des petits glaciers, comme à Gangotri et à Kafni, dans l'Etat d'Uttarakhand, bien étudiés par les chercheurs soutenus par le WWF, fondent rapidement. Mais d'autres, comme le très grand glacier Siachen, situé à une centaine de kilomètres de Khardung La, semblent stables (Current Science, 10 mars 2009). «Les données sur lesquelles s'appuyait le GIEC étaient très peu nombreuses, dit Syed Iqbal Hasnain, un glaciologue indien réputé. Sur les quatre glaciers que nous suivons régulièrement, on observe un retrait. Mais il est difficile d'extrapoler.» Plusieurs facteurs incitent à la prudence. D'abord, la masse même du massif, qui signifie que ce qui est vrai dans un endroit peut ne pas l'être ailleurs. Ensuite, il n'est pas encore possible de bien articuler les données de terrain, trop éparses, et les observations par satellites, encore peu nombreuses et pas toujours fiables. Autre problème : les équipes chinoises et indiennes ne peuvent pas bien collaborer, à cause des préoccupations militaires. «Mes collègues de Pékin sont pessimistes, affirme M. Hasnain : ils prédisent une réduction de 45 % de la masse des glaciers en 2070. Mais il faudrait qu'on puisse mutuellement visiter nos glaciers.» Si l'ampleur prévisible du retrait des glaciers est incertaine, le mouvement est cependant assuré. Et d'autres indices le confirment, comme le réchauffement observé par les habitants du Ladakh. «Nous avons fait une étude sur la perception du changement climatique en interrogeant des anciens et des paysans réputés pour leur savoir-faire, dit Tundup Ango. Tous témoignent d'une réduction des chutes de neige dans les dernières décennies, et d'un recul des petits glaciers des vallées.» Le manque d'eau, dans un pays déjà très sec, devient très préoccupant. Des événements jamais vus de mémoire d'homme adviennent aussi, comme des inondations à Leh, la capitale du Ladakh, en 2004 et 2005 ou une invasion de criquets en 2005. Quant à la cause du changement, elle reste à préciser. Le réchauffement planétaire joue un rôle, certes, mais aussi le «carbone noir», ces particules de suie émises par le diesel et par les foyers domestiques usant de bois ou de bouses. Leur importance a été mise en évidence par un autre savant indien, V. Ramanathan : «En tombant sur la neige, explique-t-il à New Delhi, le carbone noir l'obscurcit, la neige reflète moins le soleil, et elle se réchauffe et tend à fondre.» Cette cause de réchauffement pourrait être assez simplement contrôlée, dit M. Ramanathan, en posant des filtres sur les moteurs diesel et en changeant le mode de combustion des foyers. Un vrai défi pour l'Inde, qui l'obligerait à agir chez elle, sans se contenter de reporter la responsabilité du changement climatique sur les pays du nord. Mais c'est sans doute son avenir qui se joue sur les hauteurs de l'Himalaya.