Dans les rues de la Métropole, une nouvelle page s'écrit : celle de la libération de l'espace public, afin de redonner aux trottoirs leur vocation première, celle de faciliter le mouvement des citoyens. Le souk Dallas de Hay Hassani, dont le nom flaire bon l'Amérique, se trouve au centre d'un défi bien complexe. Ici, depuis des années, l'informel a pris ses aises, grignotant centimètre après centimètre le domaine public. Devantures en plastique, façades de fortune en bois, étalages anarchiques sur les trottoirs : tout un écosystème commercial s'est développé, à la fois vital et illégal. Mais voilà que l'heure du grand nettoyage a sonné. Les autorités locales s'attaquent à ces excroissances qui défigurent la ville. Les engins de chantier grondent, arrachant les constructions arbitraires. Les fourrières de la ville s'emplissent d'obstacles hier encore ancrés dans le bitume. C'est tout un pan de l'économie informelle qui vacille sous les coups de boutoir de la légalité retrouvée. Pourtant, derrière la violence apparente de l'opération, l'on peut percevoir une certaine minutie dans le geste. Les commerçants, prévenus en amont, coopèrent pour la plupart. Ils savent que résister serait vain. Certains, peut-être, entrevoient déjà les contours d'une nouvelle manière de travailler, plus conforme aux exigences de la ville moderne. Cette campagne ne se limite pas au souk Dallas. Comme une onde de choc, elle se propage dans d'autres arrondissements de la métropole, et ce, jusqu'à Dar Bouazza et la province de Nouaceur. Partout, c'est le même mot d'ordre : rendre la ville à ses habitants, libérer les artères engorgées et permettre à nouveau la libre circulation des hommes. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : réinventer la cité. Dans ce grand chambardement, les charrettes à traction animale sont elles aussi promises à la disparition. Ces vestiges d'un autre temps, témoins d'une ruralité qui s'accroche au cœur même de la métropole, doivent céder la place à des modes de transport plus en phase avec les ambitions de Casablanca. Derrière l'apparente brutalité de ces mesures se cache une organisation bien plus rôdée. Comment concilier la nécessaire modernisation de la ville avec la préservation de son âme ? Comment offrir des alternatives viables à tous ces petits commerçants, à ces charretiers, dont le gagne-pain dépend de cette économie informelle ? Le souk Dallas, avec ses odeurs, ses cris, son désordre créatif, n'était-il pas aussi un lieu de vie, un espace de rencontres et d'échanges ? En le « nettoyant », ne risque-t-on pas d'aseptiser la ville, de lui ôter cette vitalité chaotique qui fait son charme ? Du côté des autorités, ces questions, qui taraudent l'esprit de tout progressiste qui se respecte, sont en phase d'étude. Ainsi, au-delà de la simple libération de l'espace public, c'est tout un modèle de société qui est en jeu. Houda BELABD Les pelleteuses, présage de bonnes nouvelles À Casablanca, les murs tombent, les structures s'effondrent, et le bruit des pelleteuses augure le renouveau. L'effervescence qui y règne depuis quelques semaines intrigue et fascine les passants. C'est un spectacle de démolition et de promesses qui se joue sous leurs yeux. Casablanca, à l'image du Maroc tout entier, est tiraillée entre tradition et modernité, entre le désir d'ordre et le besoin de liberté. Alors que les dernières baraques sont démontées, que les trottoirs retrouvent leur état original, une page se tourne. Reste à écrire la suite, à inventer une nouvelle urbanité qui sache concilier le respect de la loi et la préservation du lien social. C'est là, sans doute, le véritable défi qui attend Casablanca : non pas simplement d'aseptiser ses rues, mais réinventer sa façon de vivre ensemble.