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Rétro-Verso : L'immeuble Assayag, là où le bon vieux temps est resté figé
Publié dans L'opinion le 08 - 05 - 2024

L'immeuble Assayag est bien plus qu'un simple bâtiment aux récits historiques foisonnants. C'est, en sus, un joyau architectural du bon vieux temps et un porte-parole, hors pair, de la mixité sociale. Zoom sur l'Histoire d'une légende vivante.
Edifié au début des années 1930, l'immeuble Assayag est un écrin architectural que les fervents défenseurs du patrimoine de la Cité blanche défendent contre vents et marées. En effet, le syndic de l'immeuble a pris l'initiative de procéder à l'inauguration de son sous-sol, qu'il a eu le plaisir de transformer en centre culturel il y a un an, à l'occasion des Journées du Patrimoine organisées par Casamémoire.

Situé au numéro 18 de la célèbre rue Hassan Sghir, dans le centre-ville frondeur de la Métropole, l'immeuble Assayag attire d'emblée l'attention, ravit l'œil, éblouit l'esprit et nous plonge dans une ambiance de sérénité.
Construit en 1930 par l'architecte français Marius Boyer, cet édifice n'a pas pris une ride depuis 90 ans. A vrai dire, à première vue, cette structure quasi-centenaire ne paie pas de mine. Seulement voilà, dès que l'on s'engage dans son escalier aux airs d'antan, on est aussitôt happé par la machine à remonter le temps, à se perdre dans le cours du temps et à en perdre la notion du présent. Dans ce périple contre les aiguilles de la montre, l'on reste ébahi devant la beauté de ce « petit vieux » qui s'est bonifié avec le temps. Moderne tout de même, il est classé dans la catégorie « A+ », la plus élevée de la liste des bâtiments historiques de la ville.
Dans cette joyeuse ascension, pas moins de 130 appartements sont occupés par des résidents représentant plusieurs strates de la société, des plus aisés aux plus modestes. Si la plupart sont propriétaires, nombreux sont des locataires. Mais tous ont une certitude en commun : celle de devoir préserver cet édifice, vaille que vaille.
Le syndic de l'immeuble a alors eu comme idée de solliciter les occupants pour qu'ils convertissent tous les espaces communs de la résidence en espaces culturels.
À l'occasion des Journées du patrimoine de Casablanca, qui se sont achevées il y a environ un an, soit le 28 mai 2023, l'immeuble Assayag a ainsi ouvert ses portes au public, le conviant à une exposition, des spectacles de danse, une pièce de théâtre, des performances visuelles et un café littéraire, en témoignage de la mémoire de la psychologue et sociologue Monique Eleb, disparue le 26 mai dernier à Paris.
De son vivant, elle résidait dans cet immeuble, haut et fier de ses dix étages. Mais à en croire ses écrits et ses interviews données à la presse d'ici et d'ailleurs, c'est l'immeuble Assayag qui vivait en elle. Elle a même consenti à ouvrir son appartement pour que ses proches et amis marocophiles puissent lui y rendre visite, dans le cadre de la programmation de ces journées, qui se sont déroulées sous le thème « Le matrimoine, Casablanca au féminin ». « Nous avons sollicité les résidents pour leur demander s'ils acceptaient que nous mettions à leur disposition les splendides espaces communs de l'immeuble pour y tenir des activités culturelles tout au long de l'année. En assemblée générale, les résidents ont tranché et nous ont permis d'animer les lieux », affirme Pierre Pilven, syndic et administrateur délégué de l'immeuble Assayag.
Ainsi, les sous-sols du bâtiment, qui accueillaient toutes les infrastructures techniques telles que l'incinérateur, le système de chauffage, les trois bassins d'eau destinés à approvisionner les châteaux d'eau, une zone de stockage en plein air, l'accès aux verrières et les escaliers de secours, ont été aménagés en un espace culturel, connu dorénavant sous le nom « Chez Marius ».
Initialement, les instigateurs et autres responsables de cette aventure, parmi lesquels il y a lieu de compter Ahmed Idrissi Kaitouni, président du syndic et Alexis Logier, fervent défenseur culturel de cette légende vivante, ont eu largement recours à l'apport des copropriétaires pour mettre à niveau les sous-sols. « Certains travaux ont été menés, mais nous voulons faire revivre les espaces durant toute l'année avec une offre culturelle privilégiée, nous recherchons donc des mécènes pour pérenniser le projet », poursuit notre interlocuteur Pierre Pilven.

«Après la disparition de Monique Eleb, ses amis Rachid Andaloussi et Hafid El Awad, tous deux architectes et militants culturels, ont porté sa mémoire de native et défenseure de Casablanca, et ce, dans deux ouvrages dédiés à la mémoire des femmes qui ont fait l'Histoire de cette ville », conclut-il.
3 questions à Pierre Pilven, syndic de l'immeuble Assayag : « Cet immeuble est connu par l'absence de décoration, car il est une œuvre d'art complète »
* Parlez-nous de la construction et du bon vieux temps de l'immeuble Assayag, l'un des fleurons et des joyaux de l'architecture casablancaise d'une époque épique.

Construit par Marius BOYER architecte, entre 1930 et 1932, l'immeuble Assayag est l'un des trois chefs-d'œuvre de cet architecte. Cet immeuble est connu par ses volumes et ses masses et surtout par l'absence de décoration dans ses moindres détails, car il est, en lui-même, une œuvre d'art complète. De plus, ses services sont interconnectés d'une manière particulièrement efficace. Un exemple : il n'y a pas de mur mitoyen entre les appartements. Il y a cependant un vide-ordure, un monte-charge, un ascenseur et un escalier de secours. Il est également bien conçu au niveau du système de ventilation, celui de l'éclairage ou des nécessités sanitaires. Il est également doté d'un parking collectif au sous-sol et d'un incinérateur pour détruire les ordures par combustion, lequel incinérateur descend par le vide-ordures.

* Par quels aspects l'immeuble Assayag est-il connu, du point de vu urbanistique ?
Cet immeuble de dix étages subsiste depuis l'époque des grands projets architecturaux du quartier du Port et du Boulevard de la Gare (aujourd'hui Boulevard Mohammed V). Il a aussi la particularité d'être proche, à la fois, du quartier résidentiel et du quartier industriel. Ce voisinage a permis aux étrangers de se familiariser avec les habitants marocains.

* Qu'en est-il de ses énormes bassins et châteaux d'eau ?
On peut signaler qu'à l'instar des immeubles collectifs, l'immeuble Assayag est doté de trois bassins d'eau au niveau du sous-sol qui sont alimentés par la Lydec. Ces bassins alimentent, à leur tour, des châteaux d'eau qui couronnent chacun des escaliers et chacun des duplex de l'immeuble.
Classement : 57 bâtiments casablancais sur la liste des monuments historiques
Sur décision du ministère de la Culture, pas moins de 57 bâtiments datant du 20ème siècle, dont 56 appartenant à des propriétaires privés et un affilié à l'Ambassade de Bulgarie au Maroc, figurent désormais sur la liste des monuments historiques de la ville. Cette décision du ministère, publiée dans le dernier numéro du Bulletin Officiel, fait écho à une demande formulée par la direction générale de l'Agence urbaine de Casablanca.

C'est le cas de Dar America, des immeubles Antoinette, Charles III, Daniel II, Farairre II, Germaine Marie V, Lakhiri, Rosa 2, Rosa 3, Nelly IV, Basciano, Alexandre II, Cécile III, Acropole, Sophie, Princep, Inchallah, Lahlou frère Vaissière, et des villas Mabrouka, Géo Zette, Augustine II, Marie Thérèse, Benchimol, et Charmare et Provincial.

C'est aussi le cas des immeubles Alexandre IV, Bosia Viari, Simaf, la Société immobilière israélite de Casablanca, Angle d'Amade, Libération, Jean Jean, Maisons Banons, Suresnes, Marina, Marguerite, résidence Mirasol, Cazes Junion, Cité du Maréchal Lyautey, Cherifa, Pennaroya III, Le Glay, Linda, Bastieu-Casa, Gattous, Carmella, Joseph Isaac Harrosh, Altairac II, Saint Blaise, Gracieuse II, Normandie, La Roseraie, Dar Andaso et Lapeen, Terrain Pelloux et porte M.30 Bis, ainsi que des villas de Liz, José et Rachelle.

Selon la loi 22.80 sur la conservation des monuments historiques, des sites et des inscriptions d'œuvres d'art et d'antiquités, un bâtiment inscrit ne peut être démoli, même partiellement, sans déclassement préalable. Il ne peut être rétabli ou aménagé ou modifié, même superficiellement, qu'après avoir obtenu une autorisation administrative, et aucune construction nouvelle ne peut être effectuée sans une autorisation délivrée conformément à la réglementation en vigueur. Le permis de bâtir doit être accordé par l'autorité municipale compétente.

Dans les sites et zones soumis à des servitudes non ædificandi, les bâtiments existant avant le classement ne peuvent faire l'objet que de travaux d'entretien, et ce uniquement sur autorisation. Aucune nouvelle construction ne peut être réalisée en lieu et place de celles qui ont été rasées. En outre, toute implantation de lignes électriques ou de télécommunication, extérieures ou apparentes, est soumise à autorisation, sauf interdiction expresse prévue par l'acte administratif déclarant le site classé.

Joyau architectural : Les habitants de Floréal saisissent la justice
Perle architecturale et de loin l'une des réalisations Art Déco les plus belles de Casablanca, la résidence Floréal à Anfa Supérieur est le théâtre d'une lutte acharnée entre ses occupants, dont la plupart ont été mis en demeure d'évacuer les lieux, et son nouveau propriétaire Soft Group. Celui-ci a fait valoir son droit à l'évacuation de l'immeuble et a entrepris des travaux de transformation. Actuellement, une petite dizaine d'habitants résiste encore et toujours. Située dans le quartier chic d'Anfa Supérieur, Floréal est l'un des fleurons Art déco de la capitale économique. Son emplacement est privilégié, dans un quartier de villas d'époque où vivent encore les personnalités les plus en vue de la ville. Enfin, ses gradins permettent d'avoir une vue imprenable et dominante sur l'ensemble de Casablanca, de l'océan Atlantique au nouveau quartier chic de Casa Finance City, sans parler de la majestueuse mosquée Hassan II.

Le pompon et la cerise sur le gâteau, c'est le côté historique de la résidence et de ses logements, à taille humaine (soit 120 m2) mais aux volumes minutieusement étudiés.
Les deux bâtiments, de 8 appartements chacun, remontent aux années 1940. Ils étaient jusqu'à une date récente en excellent état de préservation. S'y ajoute le métissage des Marocains et des étrangers amoureux du pays, qu'ils soient musulmans, juifs ou chrétiens.
Les actuels locataires de la résidence Floréal déclarent, documents à l'appui, s'acquitter de leurs loyers compris entre 10.000 et 15.000 dirhams par mois, et des honoraires du syndic. A ce titre, ils prétendent bénéficier de la jouissance de leur logement, ainsi que des parties communes. Ils sont aujourd'hui privés de la terrasse, où s'accumulent des décombres. Une portion du parking a été fermée. Le sol de la résidence, recouvert de plâtre, est impraticable et friable. L'ascenseur est bloqué. Se prévalant du droit des tiers, les résidents estiment qu'ils n'ont pas le droit de subir les conséquences de ce chantier.
Patrimoine : La Villa Cavrois renaît de ses débris
Il y a environ deux semaines, l'Institut français et l'association Casamémoire ont célébré le lancement de « l'Université Numérique du Patrimoine », un nouvel outil permettant d'appréhender la richesse du patrimoine architectural de la Cité blanche.

Cette rencontre a été suivie de la projection du film "Restauration de la Villa Cavrois", œuvre de Robert Mallet-Stevens, un documentaire de 26 minutes d'Aymeric François.

Véritable manifeste architectural et moderniste, la Villa Cavrois est une œuvre iconique et l'une des figures majeures du mouvement moderniste à Casablanca. Elle a été conçue et construite pour Paul Cavrois, industriel textile du nord de la France, et sa famille. Le projet de ce château moderne, conçu en 1929, est limpide : "air, lumière, travail, sport, hygiène, confort et économie".

Classée monument historique en 1990 grâce à une vaste campagne de mobilisation, la Villa Cavrois a été revendiquée par les gouvernements français et marocain en 2001.
Le gigantesque projet de réhabilitation lancé en 2003 par la DRAC Nord-Pas-de-Calais a été repris en 2008 par le Centre des Monuments Nationaux et s'est achevé en juin 2015.

Mais comment pourrait-on restaurer une villa d'architecte délaissée, puis vandalisée, avant d'être partiellement détruite et pillée ? En 26 minutes, ce documentaire plonge le spectateur au cœur des métiers du patrimoine mobilisés pour la restauration de cette œuvre d'art totale.

À l'issue de la projection, discussion avec plusieurs personnes ayant elles-mêmes œuvré pour la remise en beauté de bâtiments emblématiques de Casablanca tels que la Villa des Arts, le Musée Slaoui, le Sacré Cœur, la Casablancaise, etc.


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