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3ème édition des Journées du patrimoine de Casablanca
Sauvegarder l'âme de la ville
Publié dans L'opinion le 09 - 04 - 2011

La troisième édition des « Journées du patrimoine de Casablanca » se tiendra du vendredi 15 au dimanche 17 avril. Ces journées sont organisées à l'occasion de la journée internationale des monuments et des sites historiques de l'UNESCO. Les organisateurs sont l'association Casamémoire, l'Institut Français de Casablanca, la Délégation régionale du ministère de la Culture, le Conseil régional du Tourisme et la ville de Casablanca. La manifestation est sous l'égide de Mutuel Héritage, une ONG regroupant plusieurs associations locales de pays du pourtour de la Méditerranée et oeuvrant pour la sauvegarde du patrimoine architectural du XXème siècle avec un financement de la Communauté Européenne (Voir site http://www.mutualheritage.net/).
L'association Casamémoire et l'Ecole nationale d'architecture de Rabat en font partie.
Cette manifestation tente de faire découvrir les monuments et sites historiques, notamment le riche patrimoine architectural Art Déco, l'art néo-marocain ou néo-mauresque dans la ville de Dar El Beida qui fut un véritable laboratoire de recherche et d'invention architecturales au XXème siècle depuis les premières équipes d'architectes appelés par Lyautey autour de Prost. La sensibilisation autour du patrimoine est un pas important vers sa sauvegarde.
Selon les organisateurs, l'objectif des journées du patrimoine est de « sensibiliser le maximum de gens à la richesse du patrimoine architectural du XXème siècle à Casablanca, à sa vulnérabilité et surtout à l'obligation de conjuguer les efforts pour le sauvegarder et le protéger… ».
Guides médiateurs
Pas moins de 130 « volontaires du patrimoine » des jeunes, formés pour faire fonction de guides bénévoles durant ces trois jours, seront chargés de guider les visiteurs pour chaque site en prodiguant les informations essentielles en matière d'Histoire et d'architecture. En gros, ce qui s'était passé lors des deux éditions précédentes : toute personne ou groupes de personnes intéressés pour découvrir et s'informer de visu sur les monuments, leur histoire, les architectes qui les avaient conçus, les styles et courants artistiques qui les traversent et les sous-tendent, peuvent être guidées gratuitement durant ces visites dans des sites parfois difficiles d'accès dans leurs différents espaces intérieurs, comme c'est le cas pour les édifices institutionnels.
Toutefois, la nouveauté de cette troisième édition c'est le fait que la journée du 15 avril sera dédiée aux élèves des établissements scolaires de la ville, d'où un partenariat avec l'Académie régionale de l'éducation nationale et de la formation de Casablanca avec un « programme de visites et d'animation adapté à chaque projet éducatif».
D'autres partenariats sont tissés avec différentes écoles publiques et privées (architecture, médiation culturelle, tourisme) ainsi que des ONG.
Remontée de pente
Casablanca a été longtemps victime de son propre succès : son développement spectaculaire effréné à caractère spéculatif, le manque de vision à long terme et un grand retard au niveau législatif face à l'évolution du concept du patrimoine, ont fait qu'elle a été privée de nombreux monuments architecturaux sous divers prétextes souvent fallacieux. La liste est aujourd'hui bien longue de ces édifices marquants qui furent rasés sans autre forme de procès. Du coup, une partie de l'âme de Casablanca est partie en fumée sous les inexorables coups de pioche. L'extraordinaire richesse architecturale de Casablanca qui fut un laboratoire d'inventions diverses depuis le début du 20ème siècle lui donne la stature d'une ville pouvant rivaliser avec les grandes métropoles mondiales à condition de prendre en charge son patrimoine. Ce qui n'était pas le cas pendant de longues décennies. Il en est résulté un immense retard. Aujourd'hui en perspective une difficile et coûteuse remontée de pente. Plus on tarde, plus le plus de la réhabilitation augmente.
Une conscience de la nécessité de préserver le patrimoine architectural était née il y a quelques années, relayée par des associations comme Casamémoire ou Docomomo Maroc (Documentation et conservation du mouvement moderne de l'architecture, de l'urbanisme et du paysage du XXème siècle), la première intéressée par les actions de militantisme et de sensibilisation qui ont porté des fruits, la deuxième beaucoup plus intéressée par la recherche et la documentation.
Les journées du patrimoine sont donc le signe d'un éveil et l'expression d'un souci de sauvegarder l'âme de la ville. La lutte a été bien longue et n'est pas prête d'être terminée, loin s'en faut. A preuve, des immeubles de valeur esthétique, architecturale et historique indéniable tombent en ruine et tardent trop longtemps à être sauvegardés. Comme le cas, célèbre désormais, de l'immeuble Bessonneau abritant l'hôtel Lincoln, datant de 1917, construit par le grand architecte Hubert Bride. Cette bâtisse attend depuis 21 ans, plus exactement depuis 1989, et ses ruines bloquent la circulation sur le boulevard Mohammed V depuis une dizaine d'années sans susciter une réelle volonté des autorités de la ville de trouver une solution. Cette situation est due non pas seulement à un vide juridique comme on veut le croire, mais aussi au manque de volonté et de sensibilisation à l'idée du patrimoine de la part des pouvoirs publics et du Conseil de la ville car ne figurant pas parmi les priorités. Pour le Conseil de la ville actuel qui se débat dans d'interminables situations de manque de transparence et d'absence quasi-totale de régulation du travail des sociétés délégataires de services publique comme LYDEC, il a perdu toute crédibilité au niveau du Bureau dirigeant. Ce dernier a été écarté du grand projet de réhabilitation de la médina enclenché sur initiative royale, ce qui n'est pas fortuit.
Pourtant, sauvegarder le patrimoine bien au contraire devrait figurer parmi les priorités car il y va de l'identité de la ville et du droit des habitants à un environnement urbain esthétique adéquat, à la préservation de l'Histoire de la ville et des lieux de mémoire.
« Les grandes métropoles comme Lisbonne, Barcelone sont en compétition au niveau international pour attirer le capital grâce à la sauvegarde de leur patrimoine qui est aujourd'hui un puissant vecteur de développement et Casablanca, de par la richesse de son patrimoine, a une stature internationale qui devrait lui permettre d'être compétitive et lui conférer une bonne place dans le concert des grandes villes à condition de préserver son patrimoine bâti », déclare l'architecte marocain Ahmed El Hariri dans un entretien qu'il nous a accordé (Entretien à paraître dans une prochaine édition).
Tous les obstacles peuvent être enjambés. Mais rien ne sera fait si la législation ne rattrape pas le retard, si la réhabilitation du patrimoine privé n'est pas encouragée par des mesures incitatives. En attendant, le danger des spéculateurs qui détruisent le patrimoine pour tirer profit mirobolant du foncier reste grand. A preuve la destruction récente au quartier Oasis à Casablanca de la villa d'Auguste Cadet, cet extraordinaire architecte à qui la ville de Casablanca doit beaucoup pour le quartier des Habous, d'imposants édifices et un grand nombre de mosquées puisqu'il avait continué à travailler pour le compte du ministère des Habous jusqu'à sa mort. Un simple hommage aurait été la conservation de sa villa qui était un chef-d'œuvre de conception architecturale.
Saïd AFOULOUS
Les sites à visiter pendant les journées du patrimoine
Place Mohammed V
Parmi les sites objets de visites guidées, il y a d'abord la Place Mohammed V avec l'édifice de la Wilaya, le tribunal, la Grande Poste, la Banque du Maroc. Cette place environnée par ces beaux édifices représente la première place administrative de la ville. Elle a été au début dénommée Grand'Place, ensuite Place de la Victoire, puis rebaptisée Place Lyautey, ensuite Place administrative, ensuite Place des Nations Unies et enfin Place Mohammed V. Dans les différents édifices entourant la place, il y a interaction entre l'art islamique et une vision de type moderne. Comme pour le quartier des Habous (les mosquées) il est fait appel à des artisans - maâllmine marocains - pour tous les grands édifices environnant la place, ce qui a permis la pérennisation des corporations d'artisans et un savoir-faire millénaire. Mais qu'en est-il aujourd'hui de ce savoir-faire ?
L'église du Sacré Cœur
L'église du Sacré cœur qui se trouve sur l'enceinte du Parc de la Ligue Arabe a été réalisée par l'architecte Paul Tournon. Sa construction a pris du temps : de 1930 à 1953. Dans les années 70, elle est désaffectée pour devenir notamment une annexe de la Faculté de Droit. Depuis quelques années, elle abrite des expositions d'art et autres événements artistiques. Construite en béton armé, sa voûte culmine à 30 mètres de hauteur. La construction est un mélange homogène du style moderne, l'Art Déco et le néo marocain.
La grande Poste
La Poste conçue par l'architecte Adrien Laforgue est le premier bâtiment construit sur la place entre 1918 et 1920.
La Wilaya
La Wilaya – Hôtel de ville bâtiment imposant avec sa façade qui servira comme décor au réalisateur Martin Scorcèse pour son film « Kundun » où l'on voit le Dalaï Lama rendre visite à Mao Zedong. Conçu par l'architecte Marius Boyer, sa construction a commencé en 1927 et a été achevée en 1937. C'est le dernier bâtiment à être construit sur la place au même titre que la Banque du Maroc. Marius Boyer est l'auteur de nombreux édifices spectaculaires du centre de la ville qui ont participé grandement à la réputation au-delà des frontières de Dar El Beida. On lui doit notamment l'hôtel Volubilis (1919) situé à proximité de l'hôtel Transatlantique. Certaines de ces réalisations comme le cinéma Vox, les villas Mokri et Houel, ont été malheureusement démolies.
Le palais de justice
Palais de justice situé à l'est de la Place Mohammed V est réalisé en 1922 par l'architecte Joseph Marrast. Comme d'autres constructions réalisées par les architectes suivant les directives de Lyautey, cet édifice impressionnant avec sa porte à perron monumental montre un style « néo-marocain » qui ouvre le bal aux riches expressions des arts traditionnels à travers les frises de zelliges, patios entre autres.
Banque du Maroc
La Banque du Maroc, dernier édifice construit sur la Place Mohammed V achevé en 1937, est une grande réalisation d'Edmon Brion. La façade surplombant la porte d'entrée est d'inspiration almohade avec des pierres de taille décorées de motifs sculptés. Brion sera le coéquipier de Cadet de 1920 à 1935 pour construire ensemble plusieurs immeubles et surtout le quartier des Habous. On lui doit l'immeuble Bendahan, les cités ouvrières Cosuma, Socica, celle de Khouribga, etc.
Ancienne médina
En ancienne médina, parmi les sites à visiter, il y a la Sqala, l'un des bastions réalisé par le Sultan Sidi Mohammed Benabdallah vers la fin du 18ème siècle, la synagogue Ettegui, l'église espagnole franciscaine et la mosquée Ouled El Hamra, le centre de formation UMT, ex-maison de la Résidence situé rue de Safi angle rue de la Marine, Bab Lmarisa et Dar Lmakhzen ou résidence du Caïd abritant actuellement le 1er arrondissement urbain à proximité de la mosquée fondée par Sidi Mohammed Benabdallah.
Quartier des Habous
Aussi Derb Lahbous ou quartier des Habous créé par Auguste Cadet en collaboration avec Edmond Brion de 1918 à 1950 pour le compte du ministère des Habous pour lequel Cadet travaillera toujours. Sa plus grande réalisation reste la Mahkama du pacha réalisée entre 1941 et 1952, sans oublier les kissarias, les mosquées Mohammadi et Moulay Youssef (1921), la Nidara des Habous.
Boulevard Mohammed V
Parmi les plus beaux monuments architecturaux de la ville de Casablanca, c'est du côté du boulevard Mohammed V. Là, les sites à visiter c'est le marché central réalisé par l'architecte Pierre Bousquet en 1917, les ruines de l'hôtel Lincoln (1917) il s'agit de l'immeuble Bessonneau réalisé par Hubert Bride, avec une soixantaine d'appartements, des commerces et un hôtel.
Enfin, l'immeuble Assayag rue Hassan Sghir angle rue Allal Benabdallah, réalisé par Marius Boyer.
Programme d'animation
Parallèlement aux visites des sites, un programme d'animation intervient en appui se déclinant en rencontres, concerts, conférences, tables rondes, expositions.
Parmi les expositions, il y a « Patrimoines partagés », expo des photos du projet Mutual Heritage réalisée par les élèves de l'Ecole nationale d'architecture de Rabat (ENA), expos qui se tiendra à partir du 15 et se prolongera jusqu'au 30 avril à la cathédrale du Sacré Cœur, de même que l'expo « Mutual Heritage, cités et paysages de la modernité dans la Méditerranée ».
A la Coupole « Je vais vous parler de Casablanca » de Sébastien Verkindere à l'Ecole des Beaux-Arts de Casablanca, par Laurence Hassel.
Est prévue aussi une exposition de Liliane Danino au Musée du Judaïsme marocain organisée par la Fondation du patrimoine culturel judéo-maroain.
Exposition « Architecturales - murs, portes et fenêtres de l'âme » de Brahim Benkirane à Casa Del Arte, association Arts Métisses du 7 avril au 8 mai.
Expo « Architecture de terre » à l'Institut Cervantès de Casablanca.
Des conférences dont une samedi 16 avril à 11h par Ammara Bekkouch sous le thème « Quels rôles et quels usages pour les espaces verts au Maghreb ? Le cas du Parc Murdoch à Casablanca » organisée par Casamémoire et Lion's Club Casa Unité.
Le même samedi à 18h30, table ronde sous le thème « La genèse d'une nouvelle architecture marocaine au début du XXème siècle organisée par Casa del Arte.
Installations par des artistes italiens, boulevard Mohammed V en face du marché central, workshop dans le cadre de la Biennale des jeunes créateurs de la Méditerranée vendredi 15, samedi 16 et dimanche 17 avril de 11h à 17h.
Rencontre débats sous le thème « L'art dans la ville » en présence d'artistes italiens et marocains à l'Ecole supérieure des Beaux-Arts de Casablanca samedi 16 avril à 16h.
Visites guidées de sites
de la périphérie de Casablanca par l'association Docomomo
Maroc
Dans le cadre des mêmes journées du patrimoine, l'association Docomomo organise, parallèlement aux acticités de Casamémoire, des visites guidées de sites au profit des étudiants en architecture autour des travaux de deux architectes français : Jean-Françis Zevaco et Auguste Cadet. Pour les réalisations de Zevaco, des visites seront organisées d'une part à l'édifice du tribunal de première instance de Mohammedia, d'autre part à l'aéro-club de Tit Mellil et la maison de redressement pour mineurs relevant de la Jeunesse et Sports à Tit Mellil.
D'autres visites au quartier des Habous, agglomération réalisée principalement par Auguste Cadet au profit du ministère des Habous.
Le plus intéressant sans doute dans le circuit de l'association Docomomo c'est les visites qui seront effectuées à la périphérie de Casablanca avec le groupe Team-ten (groupe de dix) pour découvrir des constructions réalisées pour les habitants des bidonvilles dont le curieux immeuble Nid d'Abeilles à Sbata réalisé par les architectes Candilis et Woods et datant de 1952.


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