Le tritel. Ce mot vous parle-t-il ? Il s'agit des trois jours les plus sanglants de l'Histoire de Fès du début du XXème siècle. Retour sur la conjoncture sanitaire qui a fait déborder le vase... Nous sommes en 1912. Du 17 au 19 avril, des manifestants ont pris d'assaut les rues de Fès-Jdid. Soit la partie sudouest de la Capitale spirituelle du Royaume. Des Juifs, des Musulmans et des étrangers ont, malgré les restrictions sanitaires exigées par les agents du Protectorat français, marché pour la fin de la misère, de la disette, de la peste, du typhus, du choléra et de la variole. Ne l'ayant pas vu du bon œil, les autorités françaises ont sorti les armes et les mitraillettes. Le reste est facile à deviner. Au cœur de ce climat miné et carabiné, l'hôpital Cocard recevait les victimes dont le nombre est estimé à plus d'un millier par jour. En moins d'une semaine, le nombre d'habitants des quartiers du sud de Fès a baissé d'une manière non-négligeable. Des épidémies et des victimes... Il fut un temps où Fès était dotée de plusieurs dispensaires. Jugés délabrés par les médecins militaires du Protectorat français, il était donc nécessaire de songer à la construction d'un grand hôpital, moderne et pluridisciplinaire. Un hôpital qui serait à même de maintenir en vie les survivants du choléra qui a frappé le Maroc en 1895, venant s'ajouter aux épidémies de la variole, la peste et le typhus qui ont ôté la vie à des centaines de milliers de citoyens. C'est d'ailleurs un secret de polichinelle : les pandémies et épidémies étaient dévastatrices dans un Maroc en proie à des soubresauts politiques et sociaux graves. L'on découvre sans grande surprise que les historiens appellent la période de 1912 à 1938 « les années des épidémies ». En effet, à en croire les archives de la Vigie marocaine, la variole a, dès 1912, fait des ravages à Fès, en tuant entre 7 à 10 personnes par jour. Mais dans cette ville du Royaume, le typhus était de loin le fléau le plus redouté, quoi que la mortalité générée par ce dernier était moindre que celle occasionnée par la peste qui a frappé une large population à l'échelle locale et régionale. Un humaniste nommé Dr Cristiani Au début du XXème siècle, alors que la peste et le typhus ravageaient Fès, un médecin de convoi nommé Léon Cristiani, affecté au 4ème Goum de la Kasba militaire Ben Ahmed, organisa une collecte de fonds pour construire l'hôpital Cocard. Sorti des limbes en 1912, après quelques années de dur labeur, et portant ce nom en référence à un infirmier français qui a rendu l'âme à Fès, cet établissement a rendu à l'exercice professionnel toutes ses lettres de noblesse. Et pour cause, l'on peut lire dans les récits historiques et littéraires français et marocains que ce médecin a honoré le sermon d'Hippocrate comme il était rare de le faire, en s'abstenant de toute discrimination fondée sur la couleur, la religion ou la politique, dans l'exercice de sa profession. Nommé Chevalier de la Légion d'honneur, titulaire de la Croix d'officier et de la Cravate de Commandeur, sa démission en tant que médecin-chef de l'hôpital Cocard n'interviendra que le 31 décembre 1936, en raison de la limite d'âge imposée par l'Ordre professionnel. À sa retraite, il a continué à pratiquer la médecine à son domicile situé au quartier Dar Debibagh, où il recevait encore de nombreux patients marocains qui ne tardaient pas à le trouver et venaient souvent le consulter. Aussi longtemps que sa santé le lui permettait, il descendait dans la médina ou le mellah pour rendre visite à ses anciens patients. Il était également le «médecin de famille» d'une petite clientèle européenne. Aujourd'hui, l'établissement Cocard est connu en tant que l'Hôpital Ibn al Khatib qui est, depuis son inauguration en 1912, le chef-lieu du Centre hospitalier régional. Il a été un Centre hospitalier provincial (CHP) de 1998 à 2007 avant d'être érigé en CHR en 2007. Placé sous la tutelle du ministère de la Santé, il demeure, comme à ses débuts, un établissement géré de manière autonome (SEGMA). Avancées / La Constitution de 2011 reconnaît le droit à la santé Le système de santé marocain est composé d'un secteur public et d'un secteur privé. Le secteur public comprend près de 2700 centres de soins de santé primaires et 144 hôpitaux à différents niveaux : local, provincial, régional et tertiaire. Le nombre total de lits hospitaliers est, quant à lui, de 22.146. Le secteur privé est, pour sa part, composé de plus de 6.700 cabinets privés et de près de 450 cliniques, concentrées dans les zones urbaines et dans la partie nord de la côte Atlantique. Le système de santé connaît une pénurie de ressources, en l'occurrence en matière de ressources humaines : la densité est de 0,68 médecins et 0,84 infirmiers et sages-femmes pour mille habitants. Par ailleurs, malgré une augmentation du budget de la santé, l'investissement dans le secteur de santé reste faible (moins de 6% PIB) et les dépenses directes des ménages élevées (autour de 54%). Le système de santé marocain est en pleine réforme de régionalisation avancée, avec l'institutionnalisation de 12 nouvelles régions. Avec la généralisation de l'assurance maladie pour les populations pauvres et vulnérables (RAMED) en 2012, 8,5 millions de personnes supplémentaires ont accès à des services de santé gratuits dans le secteur public. Les employés des secteurs publics et privés sont couverts par l'Assurance Maladie Obligatoire (AMO). Le gouvernement travaille à l'assurance maladie des indépendants, qui représente 1/3 de la population. Les citoyens marocains ont cependant exprimé un manque de satisfaction envers le système de santé, en particulier la qualité des soins et l'iniquité d'accès aux services, notant une différence importante entre les zones urbaines et rurales. Actualité : Vers la réhabilitation du système de santé Il y a quelques mois, soit en janvier 2024, Khalid Ait Taleb, ministre de la Santé et de la Protection sociale, a inauguré neuf structures sanitaires à Fès-Meknès dans le cadre du programme national de réhabilitation du système de santé. Ces nouveaux centres de soins de proximité en zones urbaines et rurales visent à améliorer l'accès aux soins, à répondre aux besoins croissants de la population et à concrétiser la couverture santé universelle prônée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Cette démarche s'inscrit dans le cadre d'une politique globale de modernisation des infrastructures de santé publique afin de garantir une couverture sanitaire globale et de répondre à la demande grandissante en matière de soins médicaux. Sur le plan régional, un programme de mise à niveau des centres a été lancé avec un budget de 336 millions de dirhams. Cette initiative couvre toutes les préfectures de la région, à l'exception d'Ifrane qui possède son propre programme. Au total, ce sont 274 centres de santé qui bénéficieront de cette importante mesure, dont 38 dans la seule préfecture de Fès. En marge de la visite du ministre, trois nouveaux centres de santé ont été ouverts dans la province de Taounate, dont le centre de santé urbain de niveau 1 de la ville de Taounate, ainsi que deux centres en milieu rural, «Ain Khamis» et «Béni Oulid». L'objectif est d'améliorer l'accès aux soins, notamment dans les zones urbaines et rurales. La province de Taza bénéficie également du centre de santé urbain de niveau 1 «Sidi Ali Bourguiba», ainsi que de deux dispensaires ruraux, «Asrir» et «Bishin», desservant les localités éloignées. À Moulay Yacoub, le centre de santé urbain de niveau 2, les urgences de proximité «Moulay Yacoub» et le centre de santé urbain de niveau 1 «Dar Dbagh» à Fès ont été inaugurés afin de répondre à la demande locale grandissante. Dans la province de Sefrou, l'hôpital provincial Mohammed V s'est enrichi d'un service d'urgence et d'un laboratoire rénovés. Le centre de santé rural de niveau 2 «Ain Chekak» a également été mis en service. Ces infrastructures viendront consolider l'offre de soins. Ces nouvelles structures, en phase avec la politique de proximité prônée par le ministère, bénéficieront d'un personnel dûment formé pour dispenser des soins de santé primaires de qualité. Elles couvriront une large gamme de services : services médicaux, infirmiers, maternels, infantiles et scolaires, ainsi que des activités de sensibilisation et de suivi épidémiologique. Notons que l'inauguration de ces projets marque une étape décisive dans la refonte du système national de santé, conformément aux Directives Royales visant à réformer en profondeur le secteur. Rétrospective : Le système de santé, il y a un siècle et demi Il fut un temps au Maroc où les maladies étaient soignées à l'ancienne, soit en ayant recours à la médecine douce: celle des herboristes et des fqihs. Parfois, ces derniers n'hésitaient pas un instant à exorciser leurs « patients » pour une simple migraine, car selon certaines légendes, la maladie ne peut être que l'œuvre du diable. De plus, il y a environ un siècle et demi, la famine qui sévissait au Maghreb provoquait des épidémies. Cette situation était d'autant plus aggravée que les notions d'hygiène les plus basiques n'étaient pas respectées dans certaines villes, et encore moins dans les campagnes. Il faut dire que le peu de médecins qui étaient, jadis, disponibles, en majorité des étrangers, se cantonnaient à la côte atlantique, servant en tant que médecins consulaires et militaires. L'on raconte même que le médecin et explorateur français Fernand Linarès avait officié comme médecin du Sultan Hassan 1er. Aussi, Dr Moncada, un médecin espagnol dont la Vigie marocaine s'est longuement fait l'écho, a longtemps exercé à Casablanca aux alentours de la première guerre mondiale. Mais une chose demeure certaine, le système de santé ne ressemble, aujourd'hui, en rien à ce qu'il était il y a environ un siècle. En tournée dans l'arrière-pays de Marrakech en 1911, le médecin R. Debré relatait dans son livre «L'honneur de vivre» certaines scènes atroces qui l'ont marqué : «plaies suppurantes, jointures gonflées, membres déformés par les fractures mal réduites, paupières bouffies, globes oculaires gravement lésés, tumeurs cutanées, beaucoup d'enfants à ventre enflé, vieillards boitant et marchant à peine...». Dans les grandes villes, les maisons de guérisseurs étaient dans un état de détérioration avancé et ne pouvaient prétendre traiter correctement les malades, en particulier les malades mentaux. En outre, certains médecins marocains avaient appris, notamment au Caire, que la médecine turque était tellement démodée qu'elle ne pouvait être une alternative à la seule médecine scientifique de l'époque, celle pratiquée en Occident, et notamment en Europe. Faits marquants : «Un médecin vaut un bataillon»... Aux termes de l'Acte d'Algésiras (signé le 7 avril 1906), la France a installé les premiers dispensaires et hôpitaux français au Maroc, principalement sur la côte atlantique, mais pas seulement. À Casablanca, Rabat, El Jadida, Fès, Marrakech, Oujda et Larache, des hôpitaux pluridisciplinaires offraient des soins et des services qui étaient, à cette époque, de l'ordre du révolutionnaire, puisque des prouesses médicales modernes telles que les vaccins et les opérations chirurgicales étaient, pour la première fois dans l'histoire du Maroc, pratiquées. Cependant, comme l'ont souligné plusieurs historiens les avancées de la médecine française au Maroc se sont faites à l'époque des troupes de «pacification». Après les émeutes de Casablanca de juillet 1907, au cours desquelles il y eut plusieurs morts parmi les ouvriers d'une entreprise française qui construisait le port. En d'autres termes, l'infrastructure mise en place à l'époque par les autorités du Protectorat visait essentiellement à fournir les soins nécessaires à la communauté européenne et à préserver le «capital humain» marocain, gisement sûr de maind'œuvre pour l'industrie et l'agriculture au service de la France, et de soldats pour l'armée française, en cas de conflit armé... C'est ainsi que l'armée française a fait son entrée. Rapidement, pour désengorger l'étau sur la ville, il lui fallut étendre son cercle de protection à toute la région de la Chaouia. Ainsi donc a été créée la première infirmerie à Settat, tandis que le célèbre docteur Cristiani a fondé l'hôpital du Cocard à Fès en 1912. Il sied cependant de préciser que le promoteur de la politique sanitaire au service de l'armée fut le Maréchal Lyautey, alors Général, qui affirmait à cet égard qu'un «médecin vaut un bataillon».