Parler du médecin généraliste, chercher à comprendre qui il est vraiment, ce qu'il fait, quelles sont ses compétences, son domaine d'action, sa place dans le système de santé, c'est soulever et poser mille et une question, auxquelles il n'est pas aisé de répondre. Mais eu égard à l'importance que revêt ce sujet, qui faut – il le rappeler est d'actualité, nous avons rencontré pour nos lecteurs le docteur Rachid Choukri, un médecin généraliste engagé , président du syndicat national de médecine générale ( SNMG), qui nous a livré à cœur ouvert son expérience riche de plus de 30 années de services, mais aussi et sans ambages, son sentiment à propos de la situation sanitaire actuelle et des défis et enjeux de santé futurs concernant notre pays. Soulever toutes ces questions nous invite à revenir un peu en arrière pour mieux comprendre la place et le rôle du médecin généraliste, plus particulièrement au niveau du secteur public où le médecin généraliste était toujours considéré comme un notable, un personnage incontournable, respecté, admiré, parfois craint. A Séfrou jusqu'aux années 70, il y avait un seul médecin généraliste. C'était un Français, le docteur Almagran. L'image gardée de ce praticien est celle d'un homme toujours aux côtés des malades. Il faisait des consultations de jour comme de nuit et n'hésitait jamais à se rendre aux domiciles de celles et ceux qui souffraient. Il remettait les médicaments, le tout avec le sourire et gratuitement. Cette image du médecin généraliste est toujours vivace et démontre si besoin est qui était ce professionnel de santé. Notre propre expérience dans le domaine permet aujourd'hui d'apporter un témoignage objectif, sincère sans partie pris, depuis prés de 40 ans. Le médecin généraliste est au centre du système de santé, que ce soit au niveau des dispensaires, au centre de santé en milieu rural ou urbain. Il est le seul qui assure une prise en charge globale des patients. Il dépiste, diagnostique, éduque, prévient, soigne et traite. Il fait ses consultations sans jamais se départir de la tache, il est toujours aux côtés de ses patients. Le médecin généraliste fait aussi le lien entre les patients et les autres professionnels de santé, et entre la famille et les patients. Tout ceci démontre la place qui doit être celle du médecin généraliste, c'est-à-dire être au cœur de notre système de soins. Aujourd'hui au niveau du secteur public, le médecin généraliste est le médecin du premier recours, celui à qui on s'adresse en premier lieu, que ce soit pour des problèmes de santé physiques ou psychiques, somatiques, tous les problèmes de santé d'une manière générale. Ce qui est important , c'est de reconnaitre ce rôle , de respecter tout ce qu'il entreprend dans des conditions souvent très difficiles , que ce soit au niveau des centres de santé, des urgences ou des services hospitaliers, surtout que c'est un praticien irremplaçable. Suite aux évolutions et mutations qu'ont connues et que connaissent les systèmes de santé à travers le monde, le Maroc s'apprête à son tour à restructurer son paysage sanitaire, en effectuant la mise à niveau de l'Hôpital, en régulant le secteur libéral et en mettant en place l'assurance maladie des indépendants, après l'AMO et le RAMED. Jadis, toute personne détentrice du diplôme de médecine passait non seulement pour être compétente, mais aussi pour avoir une vocation spéciale. En contrepartie de cet engagement, le médecin jouissait d'un statut social privilégié au sein de sa communauté. Ce fut le cas pendant longtemps, de la médecine générale et ce n'est que récemment, que cette dernière sera définie négativement comme une médecine par défaut car non spécialisée ; engendrant de grandes frustrations professionnelles pour bon nombre de praticiens généralistes. Pourtant, les premiers spécialistes du début du siècle dernier étaient avant tout des médecins généralistes qui, au cours de leur pratique, acquéraient en plus une compétence spécifique. La deuxième guerre mondiale achevée, nombre de technologies destinées aux champs de bataille vont trouver des applications dans le domaine médical (c'est le cas du sonar, ancêtre de l'échographe), favorisant le développement d'une médecine «restrictive» qui, si elle a favorisé des progrès scientifiques considérables, a eu également pour effet négatif une dissociation croissante entre la maladie et l'homme. Concurrence rude et déloyale Le Maroc n'a pas échappé à la règle, même si la « floraison » des spécialités ne s'y est produite que plus tardivement, vers les années 80. Le médecin généraliste qui régnait jusqu'alors sans partage sur le paysage sanitaire national, va assister impuissant au déclin de son statut d'antan, pour se retrouver élément purement «virtuel» du système de soins et dont personne ne semble connaître la mission ou l'utilité. Les déboires du médecin généraliste libéral sont également d'ordre matériel. Il vit de sa seule consultation qui lui est « confisquée » au quotidien. Il est soumis directement ou indirectement, à une concurrence rude et déloyale aussi bien de la part d'autres acteurs de la santé qui sont sensés logiquement jouer un rôle complémentaire, comme le pharmacien ou le spécialiste ; que de la part d'organismes organisés comme les caisses, les fondations des œuvres sociales et les entreprises qui pratiquent de la médecine de soins au rabais, derrière le « paravent » du social et de la médecine du travail. Une discipline à part entière La valeur attribuée à la consultation du médecin généraliste par la convention tarifaire de 2006, reste symbolique, voire dérisoire eu égard aux efforts consentis en terme de formation, d'équipement, de disponibilité de sacrifices et de charges. Pour cette maigre compensation (80 dh !), il est fréquent que le médecin généraliste réponde à plusieurs problèmes de santé (deux, trois, voire quatre) au cours de la même séance de consultation ! La plupart des pays ont vécu cette situation où leurs systèmes de santé n'obéissant plus qu'à la loi du marché et la croissance démographique aidant, les besoins finirent par dépasser rapidement les moyens. Leurs pouvoirs publics se sont vite retrouvés confrontés au souci du contrôle de la dépense médicale. Commença alors une longue quête à la recherche de nouvelles solutions pour fournir et délivrer des soins de santé en fonction de ces changements démographiques, des avancées médicales, de l'économie de la santé, des besoins et des attentes des patients. Des organismes comme l'organisation mondiale des médecins de famille « Wonca », l'« Arab Board of Health Specializations » qui représentent la discipline de médecine générale – médecine de famille, ont ressuscité le fameux concept de médecin de famille que l'on n'aurait jamais dû abandonner. Ils ont individualisé la médecine générale – médecine de famille comme une discipline scientifique et universitaire à part entière, avec son contenu spécifique de formation, de recherche, de pratique clinique et ses propres fondements scientifiques. C'est une spécialité clinique à part entière, orientée vers les soins primaires. Ils ont démontré que les systèmes de santé basés sur des soins de santé primaires efficaces, avec des médecins généralistes/médecins de famille qui pratiquent au sein de la communauté, fournissent des soins plus rentables et plus efficaces au niveau clinique, que les systèmes moins orientés vers des soins de santé primaires. Pour la Wonca, il est vital que le rôle complexe et essentiel du médecin généraliste-médecin de famille au sein des systèmes de santé soit parfaitement compris par le corps médical, mais aussi par les professionnels associés à la médecine, les responsables de la santé, les économistes, les politiciens et le public. Ce que les patients attendent du médecin généraliste? Une enquête réalisée en Angleterre a révélé que les patients veulent des soins adaptés à leur cas et dispensés par un médecin qui les connait bien et se penche sur leurs problèmes. Les patients ont en fait besoin : d'un médecin qui les écoute, car c'est souvent à sa capacité d'écoute que le médecin peut mesurer et évaluer son aptitude à soulager ; d'un médecin qui soit en mesure d'hiérarchiser les problèmes et la possibilité de voir chaque fois le même médecin. Tout récemment, suite à l'adoption par la France de la loi cadre de réforme de 2004, le système de santé tricolore amorça son « virage ambulatoire » en plaçant le médecin généraliste au cœur du dispositif de santé, via ce fameux « parcours de soins coordonnés », en étroite collaboration avec les médecins spécialistes (« duo Médecin traitant- Médecin Consultant »). 90 % des français choisirent alors leur médecin de famille (médecin généraliste) comme Médecin Traitant. Le déficit de la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) chuta aussitôt, brutalement, de 11 milliards d'euros à 3 milliards d'euros ! Les sondages révèlent que 85 % des Français se déclarent satisfaits ou très satisfaits de leur médecin généraliste et que plus de 80 % d'entre eux ont le même médecin généraliste depuis plus de 13 ans. Cette continuité des soins sert de socle indispensable aux patients comme aux médecins, notamment dans la gestion des maladies chroniques qui constituent plus de 60 % des problèmes de santé de la population. Un meilleur usage des ressources médicales En France, le médecin généraliste, quand il est choisi comme médecin traitant, consacre un temps reconnu et rétribué par les caisses d'assurance maladie, indispensable à la coordination des soins autour de son patient ; notamment par ses relations avec les autres acteurs du parcours de soins (médecins correspondants, médecins hospitaliers, pharmaciens, biologistes, infirmiers, kinésithérapeutes, travailleurs sociaux, assurance maladie, médecins du travail, médecins conseil, etc.). Le médecin généraliste, parce qu'il connaît ses patients, est capable de percevoir de minimes changements dans l'état physique ou psychologique de ceux-ci. Le diagnostic précoce des maladies en est facilité : il repère par exemple plus précocement les patients souffrant de diabète, d'HTA, de troubles psychologiques ou psychiatriques (stress, angoisse, dépression). Sa capacité à suivre ses patients dans le temps et dans leur environnement réduit aussi le nombre d'hospitalisations non nécessaires. Pour information, seul 1 % des consultations nécessitent une hospitalisation et 5 %, un recours aux autres spécialistes (OMS). Les activités du médecin généraliste permettent donc un meilleur usage des ressources médicales et économiques pour répondre de façon médicalement adaptée aux besoins de ses patients et de la santé de la population. Le médecin généraliste marocain propose au quotidien toute une gamme de services, allant du conseil et de la prévention aux soins palliatifs, en passant par la vaccination et les soins curatifs. Médecin de premier recours, comme premier accès au système de soins, mais également médecin de deuxième ou troisième recours, lorsque le patient revient vers lui avec un suivi et enfin médecin de dernière ligne avec les soins palliatifs, ou futur médecin de famille ; le médecin généraliste est sur tous les fronts ! Quelle que soit l'appellation retenue, ce sont d'abord les différentes fonctions assumées par le médecin généraliste qui le rend indispensable. Indispensable pour les soins quotidiens de chacun, indispensable pour le maintien de toute politique de santé fondée sur l'accessibilité et l'efficience. Il serait temps de l'intégrer à la politique nationale de santé et de le repositionner en « porte d'entrée – ordonnateur » de l'assurance maladie dans notre pays ! La médecine est l'art de soigner, un art qui est plus que jamais nécessaire à notre époque où l'hyper spécialisation a pris le dessus sur la relation humaine. Mais comment ce médecin généraliste, actuellement lui-même souffrant d'identité, constamment en quête de gloire révolue, soumis au quotidien au dénigrement et à une rude concurrence de la part de ceux qui au quotidien empiètent sur « ses plates- bandes » ; peut-il sans couverture médicale et sans «parachute» (retraite), s'investir en toute quiétude et sérénité, pleinement dans cette entreprise qui est l'art de se substituer à celui qui, en face de soi, propose qu'on lise jusque dans le plus profond de son âme ? Le vieil adage chinois qui dit qu'il n'y a «qu'un homme bien portant qui peut soulager un homme malade», trouve dans notre pays, concernant les «fantassins » de la médecine, sa pleine illustration! Ouardirhi Abdelaziz
Le Dr Rachid Choukri défend depuis près de 30 ans, aux côtés d'autres «compagnons de route» généralistes, la médecine en général et la médecine générale libérale en particulier. Son parcours professionnel lui aura permis de pratiquer l‘exercice de la médecine sous divers cieux : en France, Benslimane en région semi-urbaine, dans le Rif, et enfin Rabat où il consacre depuis 1995, une grande partie de son temps à l'associatif médical. Il a fait différents voyages, à la recherche du modèle de Médecine Générale / Médecine de Famille. Il aura réussi, avec le recul, à façonner et à cristalliser sa vision actuelle de la médecine au Maroc, avec ce qui se fait de mieux en la matière, ailleurs dans le monde.