Le temps est venu de changer de regard sur la relation entre l'Afrique et ses diasporas, en allant au-delà du mythe des transferts d'argent. C'est en construisant des liens plus étroits et en valorisant pleinement le potentiel de ces diasporas que le continent pourra relever les défis de développement qui l'attendent. Comment faire pour que l'Afrique puisse profiter de sa diaspora, l'intégrer dans le circuit économique pour qu'elle contribue efficacement au développement des pays d'origine ? La question mérite d'être posée aujourd'hui à l'heure où le continent peine à mobiliser des fonds pour relever le défi du développement. Samir Bouzidi, qui pilote le programme Invest In Diaspora en collaboration avec l'association Internationale des Maires Francophones (AIMF), estime qu'au-delà des transferts d'argent, une stratégie proactive est nécessaire, pour mobiliser pleinement les compétences, réseaux et investissements des diasporas. Il cite les exemples des pays comme l'Egypte, le Maroc ou le Kenya qui montrent la voie. A la question de savoir comment se caractérise aujourd'hui la relation actuelle entre les diasporas africaines et leur pays d'origine ? Bouzidi est, on ne peut plus, clair : « face aux enjeux cruciaux du continent africain, il est temps de se pencher sur l'envers du décor concernant les transferts d'argent des diasporas africaines vers leurs pays d'origine ». En effet, ces transferts représentent une manne financière considérable, avec plus de 90 milliards d'euros reçus par l'Afrique en 2022, selon la Banque Mondiale. Cependant, cette réalité cache un autre visage que les diasporas connaissent bien. Car dans la grande majorité des Etats du continent, la mobilisation et la reconnaissance de la diaspora restent embryonnaires, voire inexistantes. Seuls quelques rares pays ont mis en place une véritable stratégie proactive pour engager leurs diasporas. Pourtant, ces transferts d'argent sont essentiellement destinés à couvrir les dépenses familiales courantes comme l'alimentation, la santé ou l'éducation. L'épargne et l'investissement ne représentent qu'une part très minoritaire, souvent inférieure à 10% dans la plupart des pays d'Afrique subsaharienne.
Déconstruire le modèle unidimensionnel Pourtant, la marge de progression des « Investissements Directs Diasporas » (IDD) en Afrique reste considérable. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder l'exemple de l'Inde, où 25% de ces IDE, soit 71 milliards de dollars en 2022, proviendraient directement de la diaspora ou seraient la résultante de son puissant soft power, notamment dans le secteur tech aux Etats-Unis. En Afrique du Nord, le Maroc s'en sorte bien. D'ailleurs, les Marocains du monde ont transféré dans leur pays d'origine près de 115,15 milliards de dirhams en 2023, soit une hausse de 4% par rapport à 2022. Il s'agit d'un nouveau record établi, dépassant même les prévisions de Bank Al-Maghrib. Conscientes de l'importance de la Diaspora marocaine comme levier des efforts de développement du pays, les autorités marocaines ont mis en place des mécanismes pour encourager et soutenir les initiatives d'investissement des Marocains résidant à l'étranger. L'objectif est d'identifier les secteurs clés dans lesquels les émigrés porteurs de projets et d'idées innovantes peuvent investir, notamment en dehors de l'immobilier. Qualifiés de « 13ème Région » marocaine créatrice de richesse, les MRE sont devenus un pilier incontournable dans le développement du Royaume. Pour revenir au cas de l'Afrique subsaharienne, les spécialistes avancent qu'il faut d'abord libérer le potentiel économique et diplomatique des diasporas. Mais dans l'ensemble, il y a une prise de conscience. Il y a une nouvelle génération de la diaspora qui entend déconstruire le modèle unidimensionnel du migrant captif, réduit à ses seuls transferts financiers. Il s'agit d'ouvrir la voie à un écosystème où les contributions multidimensionnelles de la diaspora dans sa globalité se rencontrent et profitent à tous : épargne, investissement, tourisme, soutien à l'export, transfert de compétences, philanthropie, soft power, e-influence...
Transferts de compétences Pour y parvenir, les Etats africains doivent développer de véritables stratégies de marketing diasporique, basées sur une connaissance fine de ces communautés, de leurs attentes et de leurs potentiels. Cela passe par la collecte et l'analyse de données, mais aussi par la mise en place de plateformes et d'outils numériques permettant d'interagir efficacement avec ces « clients » d'un nouveau genre. D'après Bouzidi, les nouvelles technologies offrent également des opportunités inédites pour mobiliser les diasporas, en facilitant les transferts de compétences, le mentorat à distance ou encore le financement participatif de projets de développement. Autant de leviers qui peuvent être activés pour faire des diasporas de véritables partenaires du développement de leur pays d'origine. En somme, explique-t-il, il est temps pour les pays africains de passer d'une approche passive et unidimensionnelle de leurs diasporas à une stratégie proactive et multidimensionnelle, tirant parti de toutes les ressources et potentialités de ces communautés. C'est à ce prix que l'Afrique pourra pleinement bénéficier de cette formidable richesse humaine et économique que représentent ses diasporas.