Du jamais vu dans les annales de la justice militaire algérienne. Un officier supérieur du grade de colonel lance une offensive contre les magistrats du tribunal, qui le jugeait pour complot contre l'Etat, en exigeant la présence du général Saïd Chengriha, le chef d'Etat-major de l'armée algérienne. Dimanche 11 février, au tribunal militaire de Blida, le colonel Boualem Bennacer, alias Hamza, officier de la Direction Générale de la Documentation et de la Sécurité Extérieure, ancien consul à Alicante en Espagne, est accusé d'avoir comploté contre le conseiller du président de la République, Boualem Boualem, aujourd'hui, directeur du cabinet de la présidence. Un bel homme, à la silhouette élancée, universitaire formé dans les grandes universités européennes, Boualem Bennacer est le fils du défunt général-major Larbi Bennacer, l'ex-directeur de la justice militaire au ministère de la défense nationale, assassiné le 1er septembre 2005 à Aïn-Defla (140 Km au sud-ouest d'Alger), par des éléments de l'escadron de la mort que commandait le général Abdelkader Aït-Ourabia, alias Hassan, pour avoir manifesté son opposition à la charte de concorde civile qui absout les criminels de la décennie sanglante de leurs forfaits. D'une grande compétence et intégrité morale que lui reconnaissent ses pairs et ses responsables, le colonel Boualem Bennacer a été nommé en septembre 2019, consul à Alicante dans le cadre de la militarisation du corps diplomatique algérien. Auparavant, il était désigné au consulat d'Algérie à Bobigny en qualité de chef du bureau de sécurité. Au mois de mars 2021, il est relevé de ses fonctions et affecté au centre avancé de combat dit Hammaguir, dans la région de Bechar, au sud-ouest du pays, à la frontière algéro-marocaine. Un poste qui ne convient guère à son profil et à sa formation. On y affecte par mesure disciplinaire les officiers et sous-officiers récalcitrants des services secrets. Quelques temps après son affectation dans cette zone où les conditions de vies, dont le moins qu'on puisse dire, sont inhumaines, il sera mis aux arrêts. On lui fabrique de toutes pièces un dossier dans lequel il sera accusé de complot contre de hauts responsables proches du président de la république. Une accusation qui n'a pas manqué de se retourner contre ses auteurs le jour de l'ouverture de son procès le dimanche 11 février. En réalité, durant son séjour à Alicante, et cela a continué même après, des fuites d'informations dites secrètes sont organisées par un réseau de la DGDSE manipulés à partir d'Alger par Hocine Boulahia et Souahi Zerguine alias Mouadh, agissant sous la conduite du général Djebbar, le patron de la sécurité extérieure algérienne. Les fuites sont destinées à un youtubeur installé à Londres, connu sous le sobriquet de « rat de Londres », aujourd'hui en fuite en Europe. Le colonel Bennaceur alias, Hamza, invité à joindre le réseau, refuse de signer un faux témoignage contre le fils du conseiller du président de la république, Boualem Boualem. Au procès des « comploteurs » le colonel Bennacer devait, initialement, assister comme témoin. Mais, en s'emmêlant les pinceaux, les scénaristes du procès ont fini par lui faire porter le chapeau de l'accusé en lui trouvant des acolytes qui n'ont rien à voir avec son affaire. C'est ce qu'il dénonça, avec force, dès l'ouverture du procès, ce dimanche 11 février. Il employa, courageusement, un ton inhabituel dans ce genre d'enceintes militaires. Selon des témoins présents, l'ancien consul à Alicante a, vite, fait de démonter le scénario élaboré par l'accusation en donnant les noms des véritables comploteurs que sont le général Sid Ali Zmerli, l'ancien directeur central de la sécurité de l'armée et son frère le colonel Omar, les colonels Mouadh et Hocine Boulahia, Madame Assia Melhani qui fait partie des PCA (Personnel Civil Assimilé) et le général Djebbar Mehenna, tous « des protégés du général Chengriha » insista-t-il. Désarçonné, le procureur de la république, le colonel Farid Boukhari, passé, lui-même, par la case prison début 2020, dégradé et ensuite réhabilité, tenta, vainement, de le calmer en l'invitant à user d'un ton mesuré. Il lui indiqua de ne pas évoquer les noms de ces officiers qui ne sont pas cités dans le dossier. Pour le faire sortir du sujet, il lui demande de revenir sur ses précédentes déclarations et de se limiter à citer le colonel Amirat Tarek, alias, Ramel, l'ancien chef du bureau de sécurité de l'ambassade d'Algérie à Paris, en détention à la prison militaire depuis quelques mois après avoir été réhabilité une première fois et innocenté de l'accusation d'intelligence avec puissance étrangère. Le colonel Boualem Bennacer refusa de le suivre sur ce terrain en indiquant que le co-responsable du clan des conspirateurs est Hocine Boulahia protégé par le général Chengriha. Il exigea avec insistance la présence du général Saïd Chengriha, chef d'état-major de l'armée algérienne pour le défier en prouvant qu'il est le protecteur du clan des comploteurs. Devant l'obstination de l'accusé, le président du tribunal a vite fait de lever la séance. Le lendemain, lundi 12 février, selon des sources généralement bien informées, le trio composé de Hocine Boulahia, Assia Melhani et Souahi Zerguine s'est réuni dans le bureau du dernier nommé durant plus de trois heures. A l'ordre du jour : révision du scénario du procès du colonel Bennacer. Et il fut décidé, également, à l'issue de cette réunion que Hocine Boulahia et Assia Melhani ne se présentent pas à l'audience du mardi 13 février. Effectivement, le mardi, à l'ouverture de l'audience à 10 heures, les deux acolytes sont absents malgré l'insistance du colonel Boualem Bennacer. Il réclama, également, la présence du général Chengriha. En se montrant agressif et insistant l'accusé a, encore une fois, contraint le tribunal à lever la séance sans parvenir à ses fins. Du coup, ce tribunal a montré ses limites, aux yeux des conspirateurs scénaristes du procès. On s'attend, donc, au changement de la composition du tribunal en faisant appel à de nouveaux juges. Affaire à suivre.