Dans le cadre des efforts visant à faire face au changement climatique et son impact macroéconomique, Bank Al-Maghrib (BAM) a organisé, le vendredi 2 février à Rabat avec la Banque centrale espagnole, une conférence axée sur le climat et ses répercussions. "Les manifestations du changement climatique sont tangibles, et prennent souvent la forme d'événements extrêmes". C'est avec cette mise en garde que Abdellatif Jouahri, Wali de la Banque centrale, a inauguré son allocution à l'occasion d'une rencontre sur le climat organisée avec son homologue espagnol, le vendredi 2 février à Rabat.
Selon Jouahri, la persistance de la sécheresse et le manque de précipitations au Maroc pourraient provoquer la régression du PIB du Maroc de 6,5%, et entraîner l'exode rural d'environ 2 millions de Marocains à l'horizon 2050. "Dans le cas du Maroc, la Banque Mondiale estime les besoins d'investissement entre 2022 et 2050 à environ 78 milliards de dollars", a alerté le Wali.
Dans ce sens, d'après le Wali, cette conférence devrait permettre d'évaluer le gap de financements verts et d'identifier les mesures et mécanismes à même de permettre au secteur financier national, ainsi qu'aux institutions financières étrangères, de massifier leurs contributions à la finance verte et climatique.
Cette stratégie, a-t-il soutenu, s'accompagnera de l'adoption d'une taxonomie financière verte nécessaire pour canaliser les flux financiers et prévenir le "greenwashing", c'est-à-dire le recours par certains organismes à une communication fallacieuse sur leur responsabilité écologique
Evoquant les efforts déployés par le Maroc pour faire face aux effets du changement climatique, M. Jouahri a passé en revue les conventions internationales en matière de climat ratifiées par le Royaume.
Le Royaume a lancé plusieurs programmes et stratégies sectorielles d'envergure, notamment le "Plan Climat National 2020-2030", la "Stratégie Nationale Bas Carbone à l'horizon 2050"et le "Plan National de l'Eau 2020-2050", a-t-il rappelé.
Quant au secteur énergétique, les ambitions sont également élevées avec comme but de porter à 52% la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique d'ici 2030, a indiqué M. Jouahri, notant qu'en novembre 2021, le Maroc s'est fixé un objectif ambitieux de réduction de 45,5% de ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030.
Politique budgétaire
En matière de politique budgétaire, la loi-cadre sur la fiscalité adoptée en 2021 inclut, parmi ses objectifs, la promotion de la protection de l'environnement, notamment à travers l'instauration d'une taxe carbone, a-t-il dit. "Au niveau de Bank Al-Maghrib, nous nous sommes inscrits depuis plusieurs années dans ces efforts nationaux et mondiaux de lutte contre le changement climatique et ses conséquences", a fait remarquer M. Jouahri.
Ainsi, la Banque centrale a édicté en 2021 une directive sur la gestion des risques financiers liés au changement climatique et à l'environnement, et se penche actuellement sur de nouvelles directives réglementaires.
Cela permettra de fournir aux banques des orientations sur les données à collecter et les indicateurs et métriques à mettre en place pour mesurer les risques climatiques émanant des grands emprunteurs et évaluer la part verte et durable de leurs portefeuilles.
Sur le plan de la gestion de ses réserves de change, Bank Al-Maghrib intègre le principe de durabilité dans sa directive d'investissement, et ce, en favorisant les placements à caractère durable et responsable.
Investissements verts
Le Wali de la Banque centrale a, en outre, affirmé que le Maroc augmentera ses investissements en obligations vertes, sociales et durables pour représenter 10% des réserves de change. Jouahri a rappelé qu'en 2016, BAM a investi 100 millions de dollars (92 millions d'euros) dans des obligations vertes émises par la Banque Mondiale.
"Plus récemment, en 2023, BAM a réalisé un investissement similaire à hauteur de 200 millions de dollars (185 millions d'euros). Ses investissements en obligations vertes, sociales et durables représentent actuellement 7% des réserves de change, l'objectif ultime étant d'atteindre 10%", a-t-il annoncé.
Le partenariat avec la Banque centrale d'Espagne
La Banque d'Espagne et la Banque centrale marocaine ont insisté, lors de cette conférence, sur "l'importance" de leur contribution dans la lutte contre le changement climatique et la sécheresse pour préserver la stabilité financière.
"L'impact négatif du changement climatique sur l'activité et les prix immobiliers, par exemple, pourrait entraîner une légère baisse des ratios de solvabilité bancaire", a expliqué Pablo Hernández de Cos, Gouverneur de la Banque d'Espagne.
De Cos a présenté l'expérience espagnole et européenne dans la lutte contre l'impact du changement climatique sur la macroéconomie, tout en déclarant que le rôle des Banques centrales est important et elles ont la légitimité d'analyser les risques macroéconomiques du changement climatique et maintenir la stabilité financière.
Les catastrophes naturelles, les longues périodes de sécheresse et les températures élevées sont quelques-uns des exemples cités par De Cos pour démontrer leur impact sur les secteurs de la banque et de l'assurance (garanties hypothécaires, prêts, etc.), de la construction et des transports, et de l'agriculture.
"La sécheresse affecte la ligne de crédit des entreprises espagnoles", a-t-il souligné comme exemple de cet impact.
Relevant que la lutte contre le changement climatique et la transition verte représentent l'un des plus grands défis de la société, le responsable espagnol a estimé que la transition vers une économie à faibles émissions de gaz à effet de serre comporte des risques importants, d'où l'impératif d'une transition bien planifiée avec un niveau élevé de coopération internationale.
Ainsi, il a démontré, lors de sa présentation, les effets de la sécheresse et des vagues de chaleur extrêmes sur les économies.
"L'analyse menée par la Banque centrale d'Espagne révèle qu'après une sécheresse ou une vague de chaleur extrême, l'économie connaît une décélération, entraînant une hausse de l'inflation et une baisse des prix immobiliers", a-t-il expliqué.
Ainsi, a-t-il poursuivi, l'impact sur la croissance annuelle du PIB réel pourrait atteindre -1,3 %, accompagné d'une chute de 4,2% des prix des logements et d'une augmentation de 1,5% de l'inflation, ajoutant que les secteurs les plus touchés en termes de valeur ajoutée brute sont la construction, l'exploitation minière, la sylviculture et la pêche, ainsi que les secteurs liés au transport. L'engagement environnemental de BAM
Abdellatif Jouahri a tenu à préciser que Bank Al-Maghrib (BAM) a renforcé ces dernières années son engagement environnemental, s'érigeant en axe majeur de sa politique de responsabilité sociétale. Elle a mis en place en 2019 une structure dédiée, pour une meilleure prise en compte du changement climatique dans ses missions et la réduction de l'empreinte environnementale de ses activités.
A cet égard, la Banque a réalisé en 2021 un bilan de ses émissions de gaz à effet de serre et a défini un plan de leur réduction comprenant principalement des programmes d'efficacité énergétique, d'utilisation des énergies renouvelables et de mobilité durable.
En 2022, elle a adopté une charte d'engagements pour une gestion responsable et durable des ressources en eau, contribuant ainsi à l'effort national en matière de rationalisation de cette ressource.
Dans le même sens, BAM participe activement aux travaux de nombreuses instances internationales telles que le NGFS (le Réseau pour le verdissement du système financier) dont elle est membre du comité de pilotage, et renforce la coopération dans ce domaine avec les Banques centrales partenaires et les institutions internationales, avec toujours pour objectif de mieux comprendre pour mieux agir.
Bank Al-Maghrib travaille actuellement sur de nouvelles directives réglementaires pour fournir aux banques des orientations sur les données à collecter et les indicateurs et métriques à mettre en place pour mesurer les risques climatiques émanant des grands emprunteurs et évaluer la part verte et durable de leurs portefeuilles.
Elles visent également la transposition des normes internationales de transparence en matière de durabilité pour renforcer la discipline de marché au sein du secteur bancaire. Rapport biennal sur les engagements climatiques
Le Maroc s'apprête à préparer son rapport biennal sur sa contribution déterminée à l'atténuation des effets des changements climatiques. L'étude d'élaboration de ce rapport devra être lancée le 20 février.
La préparation de ce document s'inscrit dans le cadre des engagements du Maroc à travers la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) et son Accord de Paris pour contribuer aux efforts internationaux dans la lutte contre le changement climatique. L'Accord incarne l'engagement des pays signataires à maintenir le réchauffement mondial bien en dessous de 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels, avec des efforts supplémentaires pour le ramener à 1,5 degré C dans un second temps.