Après la nomination de l'ambassadrice du Maroc à Paris et le soutien de la France au Maroc au Conseil de Sécurité sur le dossier du Sahara, nombreux sont ceux qui ont commencé à parler de "prémices" d'une détente entre Rabat et Paris après plusieurs mois de crise diplomatique. Une hypothèse qu'examine Alexandre Negrus, président fondateur de l'Institut d'études de géopolitique appliquée qui donne sa lecture sur le futur des relations franco-marocaines à l'aune des récents développements. Entretien. Détails. -Le Maroc a nommé une nouvelle Ambassadeur en France après des mois de vacance du poste. En parallèle, l'ambassadeur français à Rabat a remis ses lettres de créances à SM le Roi. S'agit-il seulement de gestes protocolaires ou cela reflète-t-il un progrès dans les relations bilatérales entre les deux Etats ?
A mon avis, il faut prendre de la hauteur et analyser cette nomination à l'aune d'un contexte général, qui est celui de nominations « groupées » d'ambassadeurs marocains dans plusieurs pays du Moyen-Orient – aux Emirats Arabes Unis, en Jordanie et en Egypte - à l'aune de vives tensions dans la région. Lesquelles ont pris une nouvelle tournure depuis l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023. Cette séquence de nominations est significative du rôle du Maroc dans le monde arabe, qui cherche à demeurer un pays stable alors que les opinions publiques des pays de la région peuvent rapidement faire basculer des positions dans le contexte du conflit israélo-palestinien. Les trois pays cités sont des acteurs clefs du Proche-Orient et du Moyen-Orient. Le Maroc cherche à rester un acteur majeur du processus de paix au Proche-Orient et l'un des points d'attention pour les jours à venir sera le comportement de la rue arabe pour qui la cause palestinienne est très importante. La nomination d'une nouvelle ambassadrice du Royaume du Maroc en France n'est dès lors pas isolée et ne reflète pas un geste singulier. Toutefois, c'est une nouvelle à considérer à sa juste mesure, car elle constitue malgré tout une étape positive dans les relations franco-marocaines.
-Que pensez-vous du choix de la nouvelle Ambassadeur qui vient du monde médiatique et s'est faite remarquer en défendant le Maroc dans les plateaux télévision pendant la polémique sur l'éventuel refus par le Maroc de l'aide française après le séisme d'El-Haouz ?
Le Maroc n'avait plus d'ambassadeur à Paris depuis le 19 janvier 2023. La nomination d'une femme issue du monde des médias est également significative de l'importance de la communication entre la France et le Maroc, qui ont eu beaucoup de mal à s'entendre dernièrement et notamment par médias interposés.
La nomination d'une femme issue du monde des médias est également significative de l'importance de la communication entre la France et le Maroc -Jusqu'à présent, la crise perdure entre Rabat et Paris qui, pratiquement, ne se parlent plus. Pensez-vous que l'épisode du séisme a accentué la tension entre les deux pays bien que la polémique soit limitée aux médias ?
Pour beaucoup de détracteurs, chaque séquence, aussi dramatique soit-elle, est l'occasion de raviver des tensions. Seuls les Exécutifs des deux pays sont en mesure de confirmer ou infirmer l'état réel des relations entre Paris et Rabat mais je n'ai pas été surpris des réactions après le séisme. Prenons malgré tout du recul et ne faisons pas de toute situation un motif pour aggraver les tensions. Les deux Etats doivent réussir à nouer un dialogue et trouver des intérêts convergents pour définir un agenda mutuel qui engloberait la situation au Proche-Orient, l'Afrique de l'Ouest francophone et l'Afrique subsaharienne. Il est important que le Maroc et la France s'engagent dans une nouvelle dynamique.
-Catherine Colonna avait annoncé au lendemain du séisme que la visite du président Macron était toujours à l'ordre du jour avant d'être démentie par un communiqué du gouvernement marocain. Pensez-vous que cette visite est toujours possible dans le contexte actuel ? Seules les autorités françaises et marocaines sont en mesure de maîtriser cet agenda et de créer les conditions d'une nouvelle page de leurs relations. Si le Maroc invite formellement et officiellement le président français, il est évident que ce dernier devrait s'y rendre tout en ayant saisi, au préalable, l'agenda international marocain. Défendre les intérêts français n'est pas incompatible avec les ambitions affichées par le Maroc. Chacun, à son niveau, doit arrêter d'analyser cette relation de façon manichéenne. Une relation renouvelée, respectueuse des intérêts de chacun, est possible.
-Il est clair que le tropisme algérien de Macron est l'une des causes majeures de la crise silencieuse entre Rabat et Paris. Est-ce un pari raté pour le président français comme l'a dit l'ex-ambassadeur de France en Algérie ?
De mon point de vue, la crise avec Rabat est assez significative du « en même temps » d'Emmanuel Macron appliqué aux relations internationales. Si la France a évidemment des intérêts légitimes à défendre auprès de chacun de ses partenaires, elle ne doit pas le faire au mépris du respect de règles essentielles, notamment s'agissant du protocole. Je pense, par exemple, à sa visite en Algérie en août 2022, où au sortir de celle-ci le président français annonçait avec autorité qu'il se rendrait dans le Royaume chérifien. Or ce sont les autorités marocaines qui doivent être à l'initiative d'une telle invitation et à fortiori de son annonce. Emmanuel Macron ne peut pas s'annoncer lui-même, encore moins depuis le territoire algérien, et anticiper l'agenda du Maroc qui assume aujourd'hui un statut de nouvelle puissance régionale. Si les relations actuelles entre Paris et Alger sont fortement axées autour de la question mémorielle, la France serait perdante à négliger son partenaire marocain, avec qui les alliances peuvent s'avérer efficaces dans le cadre d'une vision stratégique de long terme. D'autant plus que le Maroc dispose d'une situation géographique avantageuse, en tant que façade atlantique et méditerranéenne. La diplomatie française aurait à gagner à analyser en profondeur son calcul entre alliances de circonstances et alliances historiques et stratégiques à horizon lointain. Le Maroc est également un partenaire dans la lutte contre le terrorisme, ce qui n'est pas négligeable à l'aune du nouveau cycle de menace terroriste en France.
Le Maroc est également un partenaire dans la lutte contre le terrorisme, ce qui n'est pas négligeable à l'aune du nouveau cycle de menace terroriste en France. -Comment vous voyez le futur des relations franco-marocaines pendant le reste du quinquennat Macron ? L'avenir de la relation franco-marocaine dépend de beaucoup de facteurs. La France doit d'abord reprendre pied dans son agenda africain de manière générale et je crois que les rapports avec le Maroc vont largement en dépendre. La France et l'Europe doivent regarder davantage vers le Sud et la Méditerranée pour des raisons sécuritaires, politiques et géoéconomiques. La relation franco-marocaine pourrait être le pivot de la relation Nord-Sud.