La petite ville d'Amizmiz a subi de graves dégâts suite au séisme du 8 septembre, laissant derrière lui des dégâts significatifs. Dans cette interview, l'expert renommé en Géologie Structurale Abderrahmane Soulaimani, qui a consacré une grande partie de sa carrière à l'analyse géologique de cette zone, partage des informations sur le processus de sa reconstruction. - Votre expertise a porté sur la géologie de la région d'Amizmiz. Pourriez-vous nous présenter une vue d'ensemble de la géologie de cette région avant la survenue du séisme ? - Il faut dire que la région d'Amizmiz est située au sein des montagnes du Haut Atlas de Marrakech, à l'Est du côté occidental de celle-ci. Plus précisément, elle se trouve dans ce que l'on appelle le Massif Ancien, qui constitue un fragment de la croûte hercynienne marocaine. Autrement dit, cette région est le résultat d'une élévation de la croûte terrestre qui s'est produite lors de la formation de la chaîne de montagnes de l'Atlas au cours de l'ère Tertiaire (une ère géologique s'étendant de −66 millions d'années à −2,58 Ma), conséquence de la convergence des plaques africaine et européenne. Par conséquent, cette zone a subi une forte structuration lors de l'orogenèse hercynienne à la fin de l'ère Primaire, puis a été de nouveau affectée au Tertiaire au cours du Soulèvement de l'Atlas. Cela explique la richesse et la complexité de sa géologie ainsi que sa tectonique.
En regardant attentivement la carte géologique de la région, on note la présence de nombreuses fractures ou failles d'extension régionale qui jalonnent le massif. Ces failles mobiles sont plus ou moins profondes et délimitent des blocs plus ou moins importants. Cette mobilité s'est poursuivie depuis les événements hercyniens, lors de la construction de la chaîne hercynienne aujourd'hui disparue, puis au moment de l'expansion continentale contemporaine de l'ouverture de l'Atlantique au début de l'ère secondaire, et enfin lors du soulèvement de l'Atlas à l'ère Tertiaire. - En tant qu'expert de la région, quels sont les défis auxquels nous devons faire face en matière de planification urbaine ? Et quels sont les enseignements que l'on peut tirer de cette expérience pour la gestion des risques sismiques dans la région d'Amizmiz ? - Le message le plus important à retenir de la tragédie du 8 septembre est que les fortes ondes de choc ont été plus ou moins ressenties sur la quasi-totalité du territoire marocain. En d'autres termes, des normes de construction adaptées à cette réalité géologique doivent être adoptées au minima sur tout le Maroc, même en dehors des zones sismiques potentielles, le Rif et dans une moindre mesure la région des Atlas.
Fait remarquable, malgré l'intensité inhabituelle du séisme du 8 septembre 2023, les habitats les plus stables ont été à peine touchés, même dans les endroits les plus affectés par le séisme. Tous les bâtiments doivent adopter des normes antisismiques. - Quelles spécificités devraient être prises en compte dans le processus de reconstruction ? - Il est essentiel de comprendre la géologie de la région, y compris les failles et les caractéristiques sismiques locales. Cela aidera à concevoir des infrastructures résistantes aux séismes. La reconstruction dans les montagnes du Haut Atlas doit prendre en compte plusieurs paramètres pour éviter divers risques liés au milieu montagnard, tels que les glissements de terrain ou les effondrements de falaises, les inondations, et surtout l'intégration de constructions traditionnelles aux normes sismiques. Une autre chose importante est que la reconstruction doit intégrer les autres zones montagneuses du Maroc, même celles qui n'ont pas été affectées par ce séisme, car, en définitive, toutes les montagnes sont des zones sismiquement actives. Il ne faut pas, non plus, oublier de mettre en place des infrastructures de secours efficaces, comme des abris d'urgence, des routes d'évacuation et des moyens de communication, pour nous protéger des futurs séismes. Comment le séisme a-t-il affecté la géologie de la région d'Amizmiz ? Y a-t-il eu des changements significatifs dans la structure géologique après le séisme ? - Chaque tremblement de terre, dans les montagnes du Haut Atlas, n'est qu'une étape supplémentaire dans un processus de soulèvement qui a commencé il y a environ 20 millions d'années. Le séisme vécu est le résultat de la réactivation d'une ou plusieurs failles avec des déplacements allant du millimètre au centimètre. L'élévation de ces zones de l'Atlas ne doit pas dépasser une dizaine de centimètres. L'impact de ce séisme sur le paysage géologique est donc faible, voire imperceptible, mais c'est l'accumulation de plusieurs événements sismiques à l'échelle géologique qui entraîne des changements significatifs dans le paysage de la montagne. - Y a-t-il des particularités géologiques dans cette région qui la rendent plus sujette aux séismes que d'autres zones ? - Comme la plupart des chaînes de montagnes, les montagnes de l'Atlas sont tectoniquement actives. Cette activité est liée aux mouvements générés par les différentes failles agissant sous l'action des forces tectoniques. On a vu plus haut que cette région présente une histoire géologique complexe à l'issue de laquelle plusieurs fractures ou failles traversent ses différentes roches et peuvent subir des mouvements à chaque sollicitation tectonique.
A l'échelle globale, bien que les montagnes de l'Atlas ne soient pas situées le long de limite de plaque tectoniquement active, celles-ci ne se situent pas non loin et reçoivent par conséquent les effets de ces compressions tectoniques. Ce qui fait des Atlas, en général, des régions à activité sismique non négligeable. - Comment les données géologiques recueillies, avant et après le séisme, peuvent-elles contribuer à une meilleure compréhension de la sismicité de la région ? - L'infrastructure géologique, représentée prioritairement par l'établissement de cartes géologiques précises, constitue un préalable à toute compréhension de la constitution et du fonctionnement de la croûte terrestre superficielle. La région du Haut Atlas occidental a fait l'objet, ces dernières années, dans le cadre du Plan National de Cartographie Géologique (PNCG), d'une couverture géologique précise à l'échelle de 1/50.000, sous la direction du ministère de l'Energie et des Mines.
Outre ces cartes géologiques, des études thématiques, surtout structurales, sont nécessaires pour clarifier la cinématique des principales failles au cours des temps géologiques. De même, l'application de méthodes géophysiques permet de cartographier toutes les unités et structures en subsurface et en profondeur de la croûte. Après le séisme, bien que des changements significatifs dans le paysage soient minimes, l'examen des différentes failles permettra d'évaluer le taux de leur réactivation. Les GPS constituent aussi un outil géodésique qui permet d'évaluer le taux de remontée ou de déplacement latéral des terrains. Ils doivent être installés en nombre suffisant à l'échelle de tout le Maroc pour suivre en temps réel les différents mouvements. - Comment le travail réalisé dans cette région a-t-il contribué à améliorer la préparation et la réponse aux potentiels séismes ? - L'étude géologique d'une région permet de reconstituer son Histoire et son évolution au cours des temps. Elle permet aussi d'évaluer le potentiel sismique d'une région donnée et donc d'adopter les mesures nécessaires en termes d'infrastructures. Malheureusement, même dans une région bien étudiée et à fort potentiel sismique, on ne peut pas prévoir l'avènement d'un tremblement de terre ni son intensité. La seule attitude à prendre est d'adopter les mesures antisismiques adéquates pour éviter les pertes humaines.
Sur le plan de reconstruction et de réhabilitation Lors d'une présentation devant les membres des Commissions des Finances des deux Chambres du Parlement, le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, a exposé la stratégie du gouvernement pour mettre en œuvre le programme de reconstruction et de réhabilitation des régions affectées par le séisme. Ce plan ambitieux couvre 163 communes et 2930 villages et bénéficie d'une allocation budgétaire de 120 milliards de dirhams. Ce programme vise principalement six régions fortement impactées par le séisme, à savoir Marrakech, Al-Haouz, Chichaoua, Taroudant, Ouarzazate et Azilal. Une feuille de route claire a été établie, dans ce sens, pour la reconstruction et la réhabilitation des zones touchées par le tremblement de terre, sur une période de cinq ans (2024-2028). Ce projet repose sur deux piliers fondamentaux : la reconstruction et la réhabilitation de l'infrastructure endommagée par cette catastrophe naturelle ainsi que le développement ambitieux et intégré des régions du Grand Atlas par le biais de projets structurés.