Représentant fièrement le Maroc sur la scène internationale, Rajaa Cherkaoui El Moursli est une chercheuse marocaine qui a contribué à l'avancement de la physique nucléaire. Récemment, elle a remporté le prestigieux Prix d'excellence international Women in Nuclear (WiN) 2023. Au cours de cette entrevue, nous explorerons l'impact considérable qu'elle a réalisé dans le domaine des sciences nucléaires au Maroc. - Vous avez été récompensée pour vos réalisations inspirantes dans le secteur nucléaire en remportant le Win Global Excellence Award 2023. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce Prix et ce que cela représente pour vous ? - Women in Nuclear (WiN) est une organisation à but non lucratif créée en 1992, regroupant des femmes travaillant professionnellement dans divers domaines de l'énergie nucléaire et des applications des rayonnements. Elle est ouverte aux personnes de tous les sexes et est légalement enregistrée à Vienne. Elle a été créée pour honorer et célébrer ceux qui produisent des résultats inspirants, significatifs et ayant un impact sur WiN Global, sur l'inclusion et la diversité et sur le secteur nucléaire. Cette année, j'ai eu le privilège de recevoir le Prix d'excellence international Women in Nuclear (WiN) 2023 en reconnaissance de mes contributions à l'éducation et à la recherche dans le domaine des sciences nucléaires, première femme arabe et deuxième femme africaine à avoir ce Prix. J'en suis extrêmement fière et profondément honorée. Je m'intéresse toujours très sérieusement à notre Afrique et à notre région arabe. Pour moi, le développement de l'énergie nucléaire et de ses applications est essentiel. En effet, les utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire peuvent apporter une contribution unique à la médecine, à la santé publique, à l'agriculture, à la sécurité alimentaire, à la gestion des ressources en eau, à l'énergie durable et à l'environnement, pour ne citer que quelques domaines. D'ailleurs, je participe à plusieurs actions et événements qui peuvent apporter un plus à notre continent. Chaque petite contribution de chacun peut nous mener très loin. - Pourriez-vous partager une de vos inventions qui a eu un impact significatif ? - En 1996, j'ai pris la direction du Laboratoire de physique nucléaire de la Faculté des sciences de l'université Mohammed V de Rabat (LNP). Cette opportunité m'a amenée à développer plusieurs projets liés aux applications nucléaires. J'ai été également un des précurseurs de la participation officielle du Maroc à la collaboration internationale ATLAS au CERN, l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire, l'un des centres de recherche scientifique les plus importants et les plus respectés au monde, à Genève. En 1997, un accord international de coopération (ICA) a été établi entre le Maroc et le CERN. Ainsi, un consortium d'universités marocaines fut intégré au sein de la collaboration ATLAS « Réseau Universitaire de Physique des Hautes Energies » (RUPHE). Les physicien(ne)s marocain(e)s ont joué un rôle crucial dans l'optimisation du système d'Argon Liquide du détecteur. Ce fut le résultat d'un travail minutieux sur des anodes d'une génération technologique avancée. 50,000 d'entre elles furent installées dans le sous-détecteur "Pre-Sampler". Grâce à mon expertise professionnelle, j'ai aussi créé et mis en œuvre plusieurs programmes de masters à l'université, l'un de mes rôles cruciaux a été de mettre en place et de renforcer le premier programme de master en physique médicale au Maroc. Plus d'une trentaine des diplômés de ce premier master occupent actuellement le poste de radiophysicien dans les hôpitaux et cliniques marocains. Concrètement, cela s'est traduit par la formation de radiophysiciens opérant au sein des nouveaux hôpitaux, dont le nombre est en continuelle croissance grâce à une stratégie nationale, en particulier la création de nombreux services de médecine nucléaire et de radiothérapie à travers le Maroc. Actuellement, une importante équipe travaille sur la simulation et l'imagerie en physique médicale (radiothérapie, radiologie et médecine nucléaire). Des jeunes ont ainsi pu développer leurs compétences liées au Grid Computing, améliorer la recherche et l'enseignement en physique médicale au travers d'une formation leur offrant un excellent niveau scientifique et développant chez eux une certaine ouverture d'esprit. - Qu'est-ce qui vous a motivée à vous investir dans ce domaine et en quoi votre travail a-t-il influencé ce secteur au Maroc ? - Au début de mes études supérieures, je pensais choisir des études de mathématiques, mais après les deux premières années de la Faculté, l'intérêt et la curiosité que réveillait en moi la physique fixa mon choix et par la suite ma spécialisation en physique nucléaire. Après mon doctorat en 1982, je suis rentrée au Maroc où j'ai intégré la Faculté des sciences de Rabat. J'avoue que le changement et l'adaptation à un autre milieu de la recherche n'étaient pas évidents. Mais pour moi, j'avais une mission à accomplir. Je disais à mes collègues que j'ai reçu un vaccin pour continuer la recherche. Et c'est ainsi que l'aventure a commencé. Mes différentes initiatives ont eu beaucoup de répercussions sur mon pays. Au niveau de l'enseignement, plusieurs masters se sont développés sur la radioprotection, les applications de la physique nucléaire, la physique médicale, avec la création de groupes de recherche dans ces différentes spécialisations et ceci sur tout le territoire marocain, au sein des universités. Au niveau de la recherche, plusieurs laboratoires de recherche marocains ont pu intégrer plusieurs collaborations internationales grâce à la confiance établie avec les décideurs. - Pourriez-vous nous fournir une vue d'ensemble de la situation actuelle de l'avancement du secteur nucléaire au Maroc, ainsi que des projets et initiatives clés qui sont en cours dans ce domaine ? - Il est important de noter que les universités marocaines mènent de nombreuses recherches en étroite collaboration avec le Centre National de l'Energie, des Sciences et des Techniques Nucléaires (CNESTEN). Ce centre abrite un réacteur de recherche exceptionnel qui permet la production de radio-isotopes. Le Maroc a établi des accords de coopération avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Par ailleurs, il dispose d'une agence nationale, l'Agence Marocaine de Sûreté et de Sécurité Nucléaires et Radiologiques (AMSSNuR), qui relève directement du chef du gouvernement. Cette agence est responsable de la supervision de l'utilisation des radiations, que ce soit dans les hôpitaux, les universités, ou d'autres domaines. Il est également important de savoir que le Maroc dispose d'une main-d'œuvre qualifiée dans le domaine nucléaire, avec de nombreux jeunes professionnels formés. En ce qui concerne les réacteurs électro-nucléaires, le Maroc est prêt, et il existe même une réflexion en cours concernant l'éventuelle utilisation de petits réacteurs SMR à des fins telles que le dessalement de l'eau de mer dans le futur. - Quels sont vos projets futurs ou vos objectifs que vous avez fixés pour votre travail dans ces domaines de recherche scientifique et d'innovation ? - Les universités marocaines, avec ma contribution, sont en train d'organiser une conférence internationale de grande envergure axée sur les hautes énergies. Cette initiative marque une première en Afrique, avec une attention particulière portée aux pays africains. Dans le cadre de ma participation, j'apporte ma contribution à travers des recherches menées au sein de diverses collaborations internationales. Notre principal objectif est d'encadrer et de préparer les jeunes générations qui se préparent à prendre le relais. Je considère donc mon rôle comme étant à vie, car cela revêt une importance capitale pour notre pays.
Femmes et nucléaire : le poing levé Par le biais de cette initiative, Khadija Bendam, présidente de Win Maroc, a souligné que le Maroc était représenté de manière significative, donnant ainsi une voix aux femmes scientifiques et physiciennes marocaines. Cela a démontré que l'équilibre entre les hommes et les femmes dans le domaine nucléaire était respecté, en se fondant sur les données recueillies auprès de 400 femmes travaillant dans ce secteur. Selon elle, cet événement international a démontré l'engagement sérieux de la femme marocaine dans la contribution au développement actuel et futur du Maroc dans le domaine nucléaire.