Les magistrats sont de plus en plus enclins à opter pour des départs précoces plutôt que de mener carrière jusqu'à son terme, s'inquiète le Club des magistrats. Une tendance qui risque d'accentuer la pénurie de ressources humaines dont souffrent les tribunaux du Royaume. De quoi souffrent donc nos magistrats ? Réponses. Les tribunaux du Royaume connaissent une vague inquiétante de départ de magistrats. Que ce soit par démission, demande de contractualisation partielle ou demande d'arrêt avant l'âge de départ à la retraite, les juges cherchent à quitter le navire à tout prix. Une tendance qui est loin d'être rassurante du moment que les institutions de justice affichent un besoin permanent en ressources humaines. Ce constat alarmant a fait objet d'une alerte du Club des magistrats du Maroc qui, lors de sa dernière réunion, a décidé de soumettre la problématique à sa Commission en charge des affaires juridiques. L'idée derrière cette mesure est d'expliquer les causes du phénomène, et d'établir un rapport détaillé qui sera soumis au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. D'ailleurs, ce n'est pas la première fois que ce sujet fait objet de débat. Le ministre de la Justice, Abdelatif Ouahbi, lui-même a affirmé à plusieurs reprises que le secteur judicaire est en manque de ressources humaines plutôt que de tribunaux. Raison pour laquelle le ministre s'est engagé à revoir en profondeur les lois relatives à l'exercice des professions judiciaires, notamment la loi sur le statut des magistrats. L'âge de départ à la retraite inquiète les magistrats
La réforme du statut des magistrats s'est matérialisée à travers l'adoption, en janvier dernier, du projet de loi organique n°14.22 modifiant et complétant la loi organique n°106.13 portant statut des magistrats. Dans le cadre de cette réforme, l'âge minimal légal pour le départ à la retraite des magistrats sera de 65 ans, tandis que l'âge maximum a été porté de 70 ans à 75 ans, compte tenu du manque de magistrats et de compétences judiciaires. Seulement, cette nouvelle disposition conçue dans la vision de Ouahbi, comme un moyen de remédier au déficit des juges, n'est pas du goût du corps magistral. « Nous ne sommes pas favorables à une telle mesure. L'âge légal est de 65 ans sauf si un magistrat souhaite travailler jusqu'à 70 ans », avait répliqué le président du Club des Avocats du Maroc, Abderrazak Jebari, dans une déclaration à « L'Opinion ». Selon lui, le fait de maintenir un magistrat jusqu'à 75 ans est contre-productif ; bien plus, c'est une mesure inique, car elle coûtera autant la période durant laquelle il devra bénéficier de sa pension. Raison pour laquelle plusieurs magistrats optent pour une retraite anticipée. Ainsi, le fait d'acter le prolongement facultatif de l'âge de départ à la retraite ne résout pas la problématique du manque de magistrats mais ne fait que le compliquer. D'où la nécessité de recruter plus de ressources humaines surtout en raison de la charge de travail de plus en plus lourde. Outre le prolongement de l'âge de départ à la retraite, les mesures disciplinaires édictées dans l'article 97 de la loi sur le statut des magistrats, en cas de faute grave sont jugées « injustes ». En cas de faute grave, le magistrat renvoyé devant le Conseil de pouvoir judicaire, préfère opter pour un départ définitif de son travail, plutôt que d'exercer le droit d'appel auprès de la Chambre administrative de la Cour de cassation.
Des conditions de travail difficiles Après sa prise de fonctions dans un tribunal, le magistrat se trouve face à une charge de travail hors-norme, rendant son quotidien de plus en plus difficile. Les dernières données du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire en disent long ; les affaires en instance dans les différents tribunaux du Royaume ont connu une hausse de 10,48 % en 2022. Selon le Club des magistrats, avec les moyens humains dont disposent nos tribunaux, le juge est appelé à rendre en moyenne 7 jugements chaque jour, sans pour autant bénéficier des leviers de motivation au travail. Mais pas que. Certains juges se disent contraints d'exercer des fonctions autres que les leurs. Il s'agit, entre autres, du fait de consigner sur système informatique le détail des jugements qu'ils prononcent. Une tâche qui devrait en principe relever des activités d'un personnel administratif ou technicien auprès du tribunal en question. D'où la nécessité, selon le Club des magistrats, de sensibiliser les concernés sur leurs droits et obligations. Ceci a amené le Club à décider de mettre en place une commission en charge de la déontologie judiciaire, appelée à se pencher sur le suivi de la mise en œuvre du Code de déontologie. A cause de ces différentes contraintes, la représentation des magistrats fait valoir que les professionnels démissionnent de la magistrature pour rejoindre les rangs des avocats, en tant que profession libre offrant des incitations plus importantes.
Une accumulation de revendications Les démissions en cascade parmi les magistrats n'est pas une problématique qui date d'aujourd'hui. La tendance, selon la représentation des concernés, est le résultat d'une accumulation de facteurs de crise liés principalement à la situation économique du corps magistral. Elle cite aussi comme griefs, le retard observé dans la mise en œuvre de la réforme du système de rémunération des juges, en particulier les juges de l'échelon exceptionnel dont la situation financière n'a pas été réglée depuis près de deux ans. Dans ce sens, le Club des avocats rappelle la nécessité de procéder à une révision périodique des salaires des magistrats ainsi que la modification du décret relatif aux indemnités qui leur sont accordées.