Le mouvement de réforme que connaît le domaine de la santé au Maroc rend plus que jamais impératif le besoin de retenir et de motiver davantage les professionnels de la santé. Pourtant, ces derniers continuent d'opter pour l'étranger pour plusieurs raisons. Le Maroc perd annuellement jusqu'à 700 médecins. D'où la nécessité d'accélérer les réformes structurelles du système de santé dans un sens davantage inclusif. L'exode des compétences médicales continue, l'inquiétude aussi. Bien qu'il ne soit pas un phénomène nouveau au Maroc, la fuite des soignants devient plus pénalisante, surtout qu'elle intervient dans un contexte de généralisation de la couverture médicale, ce qui susceptible de fragiliser davantage le système de santé. Ce sujet est revenu sur la scène du débat ces derniers jours suite à la révélation par la Fondation des médecins-enseignants libéraux (FMEL) de chiffres alarmants. Selon son étude intitulée « Exode des compétences médicales au Maroc : Menaces ou opportunités ?», le Maroc perd encore 600 à 700 médecins chaque année, soit 30% des médecins formés actuellement. Selon la même source, « cet exode concerne toutes les catégories mais le taux le plus élevé est enregistré chez les étudiants, avec plus 61,6% qui déclarent vouloir partir à l'étranger. Le plus souvent, ils veulent s'installer en Allemagne, et même 34% d'entre eux rêvent d'y évoluer. Pis encore, « ce sont généralement les meilleurs qui partent, par conséquent l'impact de cet exode est double, quantitativement et surtout qualitativement ». Ce constat alarmant inquiète les acteurs du secteur de la santé, d'autant plus qu'il intervient dans un contexte où le Maroc affiche un déficit important en termes de médecins. Le Royaume ne dispose que de 25.000 médecins exerçants. De ce fait, il lui faut attirer 32.000 autres pour s'aligner sur les normes de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Docteur Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé, évoque, dans ce sens, l'expérience de la France qui, malgré qu'elle dépasse de loin les normes de l'OMS, souffre encore de « déserts médicaux » et de manque d'encadrement médical. Ceci dit, le Royaume se trouvera, dans les jours à venir, lourdement handicapé, et toute tentative de réforme visant à améliorer l'offre de soins reste hypothéquée à la mise à dispositif des effectifs nécessaires. A la recherche de nouveaux horizons, les compétences du domaine médical fuient le Maroc en quête d'épanouissement scientifique et de bonnes conditions de travail morales et matérielles. Ainsi, « même le secteur privé peine à fidéliser les médecins, sinon ils n'auraient pas quitté le Maroc pour exercer dans d'autres pays », déplore Dr Tayeb Hamdi. En plus de l'exode externe, l'exode interne n'est pas moins grave et menaçant pour l'offre de soins dans le secteur public. «Plus de 80% des médecins en formation (résidents) sont bénévoles et refusent d'intégrer le secteur public. Bien plus, presque 100% des médecins spécialistes du secteur public refusent de prolonger leur activité dans le secteur public après la fin de leur contrat. Ceci est dû, selon la même étude, aux conditions salariales ou pour des raisons familiales». Les spécialistes de la fondation des médecins enseignants expliquent, par ailleurs, le départ massif des compétences médicales des CHU vers le privé ou vers l'étranger par l'absence de démocratie et de méritocratie au niveau des CHU, d'autant plus que la promotion et la nomination obéissent plus au critère de l'ancienneté qu'à celui du mérite, outre l'absence de gestion collégiale des services et le monopole imposé par certains chefs de service. Ces constats déplorables questionnent, en effet, l'efficacité des politiques publiques, visant à instaurer un système de santé efficient et attractif. Bien que des efforts notables ont été déployés, un long chemin reste à parcourir pour éradiquer ce phénomène qui fait mal à tout un système. « Tout pays qui veut éradiquer complètement ce phénomène, serait prétentieux dans la mesure où la migration reste un phénomène qui s'impose dans le cadre de la mondialisation des ressources humaines », souligne Dr Tayeb Hamdi à ce propos, évoquant la nécessité de coordination entre les pays pour maîtriser les flux à l'échelle internationale. «C'est criminel de vider un sud qui est déjà très désertique en matière de ressources humaines et renforcer un nord plus médicalisé», dit-il. En attendant l'aboutissement de cette vision, le Maroc ne peut pas rester les bras croisés. En effet, en plus de l'augmentation du nombre de postes budgétaires de la santé à 5000 pour répondre aux besoins en termes de ressources humaines, le Maroc s'est engagé à apporter 3000 dirhams de plus au salaire de chaque médecin du secteur public, répartis sur trois ans. Cependant, malgré qu'il s'agisse d'un effort important, il reste insuffisant pour les professionnels. Preuve à l'appui, le docteur Jamal El Bouazaidi déplore que « le Maroc n'arrive toujours pas à retenir les médecins du public, d'où la nécessité d'améliorer davantage les revenus salariaux des médecins». Toujours dans le cadre des efforts déployés par le Maroc pour éradiquer ce phénomène, le gouvernement avait adopté le projet de loi n°09.22 relatif aux garanties essentielles accordées aux ressources humaines des métiers de la santé. Le texte consacre l'obligation de la mise en place de sessions et de programmes de formation continue tout au long du parcours professionnel, ainsi que l'obligation d'y prendre part, outre l'adoption d'un système permettant à certaines catégories des professionnels de la santé, dans le cadre du partenariat public-privé, d'effectuer certaines tâches pour le compte du secteur privé, en prévoyant un système de rémunération efficient et motivant. Toutes ces améliorations seront confortées par un nouveau texte, en l'occurrence le projet de loi relatif à la fonction de la santé, qui intervient pour honorer les efforts déployés par les médecins de la fonction publique. Ce projet de loi prévoit ainsi l'amélioration des conditions de travail des professionnels de santé, mal principal signalé par la fondation des médecins dans sa dernière étude sur l'exode des médecins. Il s'agit là d'un projet applaudi par les professionnels du secteur qui attendent avec impatience la mise en œuvre de ses dispositions sur le terrain.
Trois questions à Tayeb Hamdi «Même le secteur privé ne répond pas aux ambitions des médecins» -Le Maroc perd entre 600 à 700 médecins chaque année, soit 30% des médecins formés actuellement qui partent ailleurs. Pourquoi, en fait, ces chiffres sont si inquiétants ? La migration des compétences médicales intensifie les maux dont souffre le système de santé. Nous passons par une transition épidémiologique et démographique de la population. Ceci dit, notre population est en train de vieillir et les maladies qui se répandent le plus sont les maladies chroniques. Chiffres à l'appui, quatre sur cinq patients décèdent des suites d'une maladie chronique. Chose qui révèle le besoin croissant en matière de professionnels de santé toutes catégories. Le contexte actuel est en outre marqué par le lancement de plusieurs projets royaux structuraux, notamment la généralisation de la protection sociale, la refonte du système de santé. L'exode des médecins retarde donc et handicape l'aboutissement de ces chantiers. -Le projet de loi relatif à la fonction de santé qui est en cours de discussion au Parlement. Est-ce vraiment la solution pour remédier à ce phénomène ? Ce projet de loi vient honorer les médecins du secteur de la santé publique. C'est un pas important dans la fidélisation et la motivation des acteurs de la santé. Néanmoins, pour donner ses fruits, il faut que ses dispositions soient mises en pratique avec l'engagement de toutes les parties prenantes. De plus, il ne faut pas oublier que si le médecin quitte le Maroc pour travailler dans d'autres pays, c'est aussi à cause du fait le secteur privé ne répond pas également à ces ambitions. D'où la nécessité de s'atteler à des réformes structurelles là-dessus. -Quel dispositif pour attirer au Maroc la diaspora médicale marocaine ? Je pense qu'il faut oublier cela pour maintes raisons. Il est connu qu'un médecin n'obtient son diplôme de médecin généraliste ou spécialisé que dans la trentaine ou plus. Donc une fois à l'étranger, il préfère fonder une famille et construire une carrière qu'il ne peut pas abandonner par la suite. Ceci dit, c'est difficile de décider de retourner à la patrie, sauf quelques exceptions sociales ou pour le cas des médecins qui veulent investir au Maroc. Néanmoins, ce qu'on peut faire, c'est de permettre à ces médecins de retourner à leur pays, en leur donnant la chance de pratiquer de manière provisoire, soit une semaine par mois, un mois par an. Les compétences marocaines à l'étranger représentent sûrement des atouts sur lesquels il faut miser encore plus pour la réforme de notre système de santé, notamment à travers la formation des futurs professionnels de santé et l'innovation du secteur, par le transfert du savoir scientifique et social. Nous pourrions également attirer des investisseurs dans le domaine de la santé au Maroc, et encourager les médecins marocains pour les retenir. Capital humain : Vieillissement de la génération des médecins «baby-boom» La pénurie de professionnels de santé avec la perspective du départ à la retraite de la génération des médecins «baby-boom», inquiète les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Au cours de la dernière décennie, dans de nombreux pays de l'OCDE, ces préoccupations ont justifié une augmentation du nombre d'étudiants en médecine avec des ouvertures relatives des différents systèmes de santé aux compétences étrangères, souligne le dernier rapport de la Fondation des enseignants médecins libéraux. Ainsi, le nombre total de médecins a continué d'augmenter dans la plupart des pays de l'OCDE depuis 2000. Selon le même document, on dénombrait en moyenne 3,5 médecins pour 1000 habitants dans les pays de l'OCDE en 2018, contre 2,7 en 2000. Les pays dont le nombre de médecins par habitant est inférieur à la moyenne de l'OCDE, comme la Corée, le Mexique et le Royaume-Uni, ont une croissance relativement rapide. D'autres pays se situent bien au-dessus de la moyenne de l'OCDE comme l'Australie, la Suède et l'Autriche.
L'info...Graphie Santé : Des défis et des pistes de solution dans le cadre du NMD L'écosystème de la santé au Maroc connaît plusieurs dysfonctionnements qui impactent négativement les prestations attendues par les usagers, selon la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement, qui a analysé le système de santé au Maroc. Le rapport sur le Nouveau Modèle de Développement a permis l'identification de nombre de dysfonctionnements dont souffre le secteur de la santé à travers les sondages réalisés auprès des différentes parties prenantes. Parmi ces lacunes, le fait que l'Etat n'investit pas assez dans la santé, que la couverture maladie protège peu, qu'il y a une pénurie générale de personnel soignant et que le parcours de soins est mal organisé, lit-on dans le rapport de la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement. Dans l'optique d'améliorer, à l'horizon 2035, l'accès aux soins, de renforcer la protection sanitaire de la population et permettre à chaque citoyen d'accéder à des soins de santé essentiels, abordables, opportuns et de qualité, la Commission recommande, entre autres, d'augmenter la part de la population couverte par les soins de santé essentiels, à 100% de la population à horizon 2025 contre 65% environ actuellement ; réduire les dépenses directes de santé des ménages : soit 30% des dépenses totales de santé supportées par les ménages en 2035 contre plus de 50% actuellement ; augmenter les effectifs médicaux et paramédicaux pour arriver à une densité de personnel soignant de 4,5 pour 1.000 habitants en 2035 contre 2 pour 1.000 actuellement, soit 54.000 médecins et +100.000 infirmiers formés entre 2030 et 2035.