Après avoir hissé le drapeau marocain sur les hauts sommets du monde, la première Marocaine et Nord-Africaine à atteindre le toit du monde compte préparer la relève dans ce sport sublime, qu'elle entend vulgariser auprès des jeunes émules. Confessions. -Vous venez de réaliser une nouvelle performance exceptionnelle en atteignant, sans oxygène supplémentaire, le Mont Lhotse, quatrième plus haut sommet du monde. Racontez-nous d'où vous est venue cette idée ? -J'ai relevé le défi de gravir le Mont Lhotse (8.516m) dans la chaîne de l'Himalaya, quatrième plus haut sommet du monde, pour pousser mes limites en atteignant le sommet sans utiliser la bouteille d'urgence d'oxygène. L'idée est de savoir jusqu'où je peux pousser mes limites. Une fois arrivée au camp 4, à 7800m d'altitude, je ne me sentais pas bien alors j'ai décidé d'utiliser la bouteille d'urgence. Cela m'a aidée et j'ai mis 8 heures pour atteindre le sommet. J'étais contente de ne l'utiliser qu'à la dernière étape du chemin, au moment où de nombreux alpinistes ont recours à la bouteille d'oxygène au camp 2, à hauteur de 6000m. Du camp 4 au sommet, j'ai mis 8 heures, puis je suis descendue au camp 2, où j'ai mis 9 heures. C'est une aventure de dépassement de soi. Dieu merci, je l'ai accomplie sans dégâts. - Quelles étaient les difficultés rencontrées lors de cette aventure inoubliable ? Comment était-elle différente des autres challenges ? - La difficulté rencontrée est que le climat était différent des années précédentes. Les conditions climatiques étaient défavorables, avec beaucoup de froid et de vent. Beaucoup d'accidents se sont produits. Presque onze personnes sont décédées et d'autres disparues. Beaucoup de personnes montaient l'Everest en même temps, avec la même corde. Pour ma part, j'ai eu le début de la congélation de mes doigts. Il faut s'y attendre (sourire). Dans un autre cas de figure, à titre d'exemple, le sommet Ama Dablam au Népal est un sommet technique qui demande beaucoup de condition physique et de maîtrise des techniques d'alpinisme. Chaque aventure est unique. -Parmi tous les sommets que vous avez atteints, quelle est l'expérience que vous avez préférée ? -Je ne peux pas trancher sur cette question. C'est parce que chaque sommet a ses spécificités et ses particularités. On peut vivre deux expériences différentes en gravissant une même montagne, en fonction de plusieurs facteurs. Ce qui distingue une montagne d'une autre ce sont les rencontres. Des imprévus sont également au rendez-vous. Chaque expérience a son propre charme. -Quand vous êtes sur le toit du monde, quelles sont vos impressions ? -Une fois sur place, on est subjugué par la force de la nature et du corps humain. Sur le toit du monde, un sentiment de liberté et de gratitude d'avoir réalisé mon rêve m'envahit. Quand j'étais à l'Everest en 2017, j'ai réalisé que j'ai mis les pieds sur le plus haut sommet du monde. - C'est à ce moment-là que vous vient l'envie de recommencer cette aventure d'atteindre un autre sommet, ou est-ce que cette envie vous vient après le repos ? - Tellement on est fatigué en ce moment qu'on ne réfléchit plus aux projets futurs. Sur le champ, je ne pense qu'à la descente de la montagne, qui peut être plus dangereuse que l'ascension. Je pense à rentrer chez soi et me reposer. Ce n'est qu'après le repos que l'idée de démarrer une nouvelle aventure m'envahit. -Quelles sont vos futures ambitions ? Une fois que vous atteignez les plus hauts sommets du monde, comptez-vous continuer dans cette lancée ou vous lancer dans d'autres projets ? -Après avoir hissé le drapeau marocain sur les sommets du monde, je sens que j'ai réalisé ma mission dans cette vie et que j'ai le devoir d'y préparer la relève. Je pense que je vais me contenter de mes réalisations. Après avoir gravi les sept sommets du monde, je crois que je vais me lancer dans la préparation de jeunes filles à cette discipline, en partageant avec elles mon expérience et mon savoir-faire. Je souhaite les aider à atteindre leurs rêves et objectifs. A travers mes réalisations, je pense avoir ouvert le champ à de jeunes filles et participé à la vulgarisation de l'alpinisme au Maroc. -Enfin, un mot adressé à la femme marocaine ? -En un mot, bravo ! Elle a libéré son potentiel dans tous les domaines. Il faut qu'elle s'affirme davantage et qu'elle brise tous les stéréotypes. Qu'elle dresse ses objectifs et s'y concentre. C'est d'ailleurs ce que je fais. Grâce à mes objectifs et ma volonté, ma personnalité s'est forgée et mes réalisations ont fait parler de moi.
Propos recueillis par Safaa KSAANI
Portrait : Une femme au tempérament bien trempé Avec un corps et un esprit qu'elle a forgés dans l'endurance, la ténacité et la confrontation aux épreuves, Bouchra Baibanou dégage un mélange de force tranquille et de féminité. Cette femme, mariée, mère d'une fille, ingénieure d'Etat en télécommunications et fonctionnaire au ministère de l'Equipement et du Transport, a pu se faire une place dans un sport à l'origine très masculin. Elle pratique l'alpinisme depuis 1995 avec comme première expérience l'ascension du Toubkal. Depuis ce temps, elle a continué à gravir les sommets du Maroc et en 2011 elle est passée à un exercice de haut niveau à l'international, en escaladant le Kilimandjaro, le plus haut sommet d'Afrique. Depuis 2011, elle a entamé le projet qui s'intitule « les sept sommets » ou « seven summits ». Cette passionnée des montagnes va droit au but. En 2009, elle décide de créer l'association Delta Evasion qui propose des randonnées au Maroc, avec la mission de mettre en place des actions caritatives pour aider les populations locales. Désormais, elle souhaite former une génération de femmes alpinistes promise à bouleverser la donne de cette discipline de mâles.