Négociations avec le gouvernement, droit de grève, hausse des salaires, Code du travail, réforme des retraites...le leader de l'UGTM, Naam Mayara, dévoile les coulisses du nouveau round du dialogue social, sans éluder les questions qui fâchent. Entretien. Depuis le 14 avril, vous continuez les discussions avec le gouvernement dans le cadre du nouveau round du dialogue social. Que retenez-vous des premières réunions avec le gouvernement ? Comme vous savez, nous avons repris le dialogue social conformément à l'accord du 30 avril qui fut un véritable acquis pour la classe laborieuse. Durant ce nouveau round, nous abordons tous les dossiers, y compris les plus difficiles, avec le gouvernement et le Patronat. Durant les premières réunions, nous avons, en tant que syndicat, appelé à revoir les salaires des travailleurs, qu'ils soient salariées ou fonctionnaires, vu la hausse incontestable du coût de la vie. Maintenant, cette revendication est sur la table et nous avons une commission mixte qui travaille sur ça et étudie la question d'améliorer davantage les salaires. Au bout des cinq prochains mois, nous devrons aboutir à des résultats concrets et nous espérons obtenir des revalorisations dans la Loi des Finances 2024. En parallèle, le Chef du gouvernement nous a annoncé l'imminence du lancement des aides directes au profit des classes précaires et des travailleurs de l'informel. Il s'agit, de notre point de vue, d'une manière de renforcer les revenus de la classe laborieuse de notre pays eu égard à l'ampleur du secteur informel qui emploie des milliers de personnes.
Y a-t-il d'autres priorités que vous avez exigées ? Il va sans dire que nous traversons une période difficile. Raison pour laquelle nous avons insisté pour que les emplois soient sauvegardés dans le secteur privé. Il est inadmissible que la conjoncture actuelle soit un prétexte pour recourir aux licenciements abusifs. C'est un point très important pour nous, comme celui des libertés syndicales. Nous refusons aussi que les salariés soient licenciés pour avoir créé des bureaux syndicaux au sein de leurs entreprises. « Il ne faut pas que la crise soit un prétexte pour légitimer des licenciements abusifs »
Vous avez cité l'amélioration des revenus parmi vos priorités. Les syndicats semblent unanimes à revendiquer une hausse générale des salaires, à quel niveau faut-il les relever ?
Nous partageons évidemment cet idéal. Cependant, vous savez très bien que nous sommes un syndicat, comme on dit, « contributeur ». C'est-à-dire que nous sommes sérieux et raisonnables dans nos revendications. En toute franchise, il est illusoire de dire aux travailleurs qu'il y aura imminemment une hausse générale des salaires. Compte tenu de la conjoncture actuelle, il est difficilement imaginable d'attendre que le gouvernement consente à une telle hausse dans les prochains jours. « Il est illusoire de penser que le gouvernement accordera la hausse générale des salaires dans les prochains jours » « Nous sommes un syndicat contributeur »
Etes-vous favorable à la baisse de l'IR sur les revenus moyens ?
Selon les calculs que nous avons faits, une éventuelle baisse de l'IR ne sera pas assez importante pour qu'elle ait un effet remarquable sur les revenus mensuels des travailleurs. A l'exception des hauts salaires, les revenus moyens, de 3500 à 8500 dirhams, sont tels qu'une légère baisse de l'IR n'aura pas un véritable impact sur leur pouvoir d'achat. Pour cette raison, ce débat doit être encadré dans les discussions relatives à la Loi des Finances 2024. De notre point de vue, il est plus pertinent de revoir la grille de l'IR et son mode de calcul. C'est ainsi que la baisse du taux d'imposition sera bénéfique.
« Il est plus pertinent de revoir la grille de l'IR et son mode de calcul »
On se dirige vers les aides directes et la fin de la compensation. Faut-il attendre encore un peu compte tenu de l'inflation ?
- En attendant les aides directes et l'opérationnalisation du Registre Social Unifié, j'estime qu'il faut, le cas échant, renforcer le subventionnement des matières de première nécessité, telles que le sucre, le gaz, le blé tendre, même si cela engendre une hausse du budget de la Caisse de Compensation.
La réforme du Code du travail et surtout le projet de loi relatif au droit de grève sont des points très sensibles. Quelle est votre position ?
- Ce qui est certain pour l'instant, c'est que nous sommes convenus avec le gouvernement et le Patronat que la question du droit de grève soit résolue cette année. L'UGTM a d'ores et déjà présenté ses doléances pour la réforme du projet de loi et il y a une commission spéciale chargée d'étudier ce dossier. Nous ne sommes pas contre le projet de loi mais nous sommes opposés à ce qu'il soit un outil de restreindre les libertés syndicales. Pour nous, ce projet de loi est intrinsèquement lié à celui de l'organisation des syndicats. Raison pour laquelle nous avons demandé au gouvernement d'élaborer une loi et qu'on en discute puisque ces deux aspects sont interdépendants. Mais, en définitive, je peux vous assurer que nous sommes dans un stade avancé dans les discussions.
« Nous ne sommes pas opposés à la loi sur le droit de grève, mais nous récusons qu'elle soit restrictive »
Est-ce vrai qu'il y a une obstruction de la part du Patronat qui serait opposé à la réforme du texte apporté par l'ex-gouvernement ?
- Il va sans dire que chaque partie défend les intérêts de ceux qu'elle représente et c'est normal. Mais, tous les partenaires sociaux partagent des points communs qu'il faut respecter. La CGEM, les autres syndicats et le gouvernement sont conscients de la nécessité d'aboutir à un compromis.
Concernant la réforme des retraites, vous avez dit, lors d'un meeting de l'UGTM à Oujda, que vous préférez que les discussions soient reportées après 2023, pourquoi ? -Actuellement, la Commission mixte travaille. Ce qui a été révélé sur le plan de réforme n'est que l'exposé d'un bureau d'études. Nous avons demandé l'actualisation du diagnostic de l'état des Caisses de retraites. Certes, c'est une réforme douloureuse et nécessaire, mais il faut qu'il y ait un accord qui convienne à tout le monde. Par conséquent, il faut donner aux discussions le maximum de temps possible parce que nous ne voulons pas que la réforme se fasse au détriment des travailleurs comme ce fut le cas en 2016. L'Etat, les patrons d'entreprises et les travailleurs doivent tous supporter le coût de cette réforme. A nos yeux, il est judicieux de redémarrer les discussions après 2023 et se focaliser, pendant cette année, sur le droit de grève, l'organisation des syndicats.
« Les travailleurs ne doivent pas, eux seuls, payer la facture de la réforme des retraites »
L'exposé du gouvernement propose de relever l'âge légal de départ à la retraite à 65 ans, qu'en pensez-vous et que propose l'UGTM ?
Je vous réponds succinctement. Tout est négociable. Dans les discussions, il n'y a pas de lignes rouges, sauf une seule condition : le travailleur ne doit pas payer seul la facture de la réforme. Le reste est discutable dans la sérénité. Laissons les choses mûrir. Il est encore tôt de parler des détails et des positions de chacune des parties.
Propos recueillis par Anass MACHLOUKH
Enaam Mayara : Success Story d'une personnalité istiqlalienne Issu des provinces du Sud, Naam Mayara incarne une success story. Lauréat de l'Institut agronomique et vétérinaire (IAV), il est né à Es-Smara en 1968, et a démarré sa carrière dans la Fonction publique en 1991. Année dans laquelle il a occupé le poste de chef de service des zones vertes à la Commune urbaine, poste où il est resté jusqu'en 2009. Concernant son parcours syndical, Mayara a été élu, dès 1996, Secrétaire régional de la Fédération nationale des employés et agents des collectivités locales de la province de Laâyoune, organisation affiliée à l'Union Générale des Travailleurs du Maroc (UGTM). C'est à partir de là qu'il a entamé son ascension à la tête du bras syndical du Parti de l'Istiqlal. Il a été élu ensuite président du Conseil de la région de Laâyoune-Boujdour-Sakia El Hamra de 1997 à 2015. Sur son chemin d'ascension, Mayara a gravi les échelons du syndicat avant d'arriver au sommet de son leadership. Il a commencé par le Bureau régional de Laâyoune avant d'arriver au Bureau Exécutif. En mai 2017, il a succédé à Hamid Chabat, à la tête de l'UGTM. Mayara compte parmi les voix influentes du Parti de la Balance, il est membre du Conseil national avec trois mandats consécutifs et il est également membre de son Comité central depuis le 17ème congrès. La carrière de Mayara a atteint son summum suite aux élections législatives de 2021 à l'issue desquelles il a été élu président de la Chambre des Conseillers. Marié et père de deux enfants, Naam Miyara est l'une des personnalités istiqlaliennes les plus éminentes des provinces du Sud. L'info...Graphie « Round d'avril » Historique des réunions Le gouvernement a entamé le nouveau round d'avril en lançant, le 14 du même mois, des discussions avec l'Union Générale des Travailleurs du Maroc (UGTM) et l'Union Marocaine du Travail (UMT). Ensuite, le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch a invité, quelques jours plus tard, la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) à la table des discussions. La réunion a eu lieu le 19 avril. Ça été une occasion pour aborder la question de la réforme du Code du travail, un thème cher au Patronat qui revendique depuis des années une modification de la loi. Puis, l'Exécutif a enchaîné les réunions en recevant la Confédération Générale du Travail (CGT) le 20 avril. Une réunion qui semble avoir été compliquée puisqu'à son issue, ce syndicat a publié un communiqué d'un ton véhément contre le gouvernement auquel il reproche « un manque de volonté politique pour tenir tous les engagements pris dans le cadre de l'accord du 30 avril ». Actuellement, le dialogue se poursuit. Les contours d'un accord sur le droit de grève se dessinent. Le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, a fait savoir que le gouvernement a forgé son idée qu'il va présenter aux syndicats. Dialogue social « Nous sommes face à un gouvernement sérieux » Cela fait plus d'une année que l'accord du 30 avril a été signé, en vertu duquel le gouvernement a concédé une hausse du SMIG et amené le secteur privé à augmenter les salaires à 10%, en plus d'autres avantages sociaux. Aux yeux de Naam Mayara, les acquis du dialogue social sont d'autant plus importants que les partenaires sociaux et le gouvernement sont parvenus à institutionnaliser le dialogue en deux rounds incontournables (septembre et avril). Ceci, en attendant une loi formelle qui structure définitivement le dialogue. « Compte tenu de toutes ces avancées qui ont eu lieu dans une conjoncture difficile, je peux dire que nous sommes en face d'un gouvernement sérieux qui, jusqu'à présent, honore ses engagements », insiste le leader de l'UGTM, rappelant que« nous ne sommes qu'en début de parcours, et il reste beaucoup de choses à faire pour améliorer les revenus des travailleurs ». Jusqu'à présent, il y a eu des efforts des deux côtés qui ont abouti à des avancées en ce qui concerne la revalorisation des salaires et le règlement des dossiers des perspectives de carrière. Naam Mayara s'en réjoui et en cite l'accord relatif au Statut uni- é pour tous les fonctionnaires de l'Education en vertu duquel le gouvernement a débloqué 6 MMDH. Il y a tout un tas d'autres d'exemples tels que l'accord conclu avec les fonctionnaires de la Santé qui ont pu obtenir des revalorisations salariales et des promotions d'échelle d'une valeur de 2 MMDH. Selon M. Mayara, au total, le gouvernement a concédé près de 14,8 milliards de dirhams aux fonctionnaires, et ce, dès 2022, sachant que toutes les mesures susmentionnées seront appliquées avant la n de 2023. L'accord du 30 avril demeure plus avantageux que le précédent accord social qui n'a ramené que 5 milliards de dirhams.