Bank Al-Maghrib (BAM) a choisi de relever le taux directeur à 3%. Une mesure attendue par les experts qui n'excluent pas de futures augmentations dans un contexte de plus en plus imprévisible. Détails. Le 21 mars, à 16h30, les journalistes se pressent dans la salle de presse de Bank Al-Maghrib, attendant avec impatience l'arrivée du Wali Abdellatif Jouahri qui a dû reporter son traditionnel point de presse « pour des raisons personnelles ». Un report qui a déçu tout le beau monde qui s'impatientait d'entendre les explications du patron de la Banque centrale qui a opté pour un tour de vis supplémentaire de la politique monétaire en augmentant à nouveau le taux directeur à 3%. C'est la troisième fois consécutive en l'espace de neuf mois, sachant que BAM a augmenté le taux à 2,5% le 20 décembre, peu de temps après avoir poussé la barre à 2%. Il s'agit évidemment d'une décision difficile à prendre, en témoignent les délibérations que le Conseil de Bank Al-Maghrib a dû faire avant de trancher. Selon des sources bien informées, les débats étaient intenses.
Une inflation « alimentaire » qui résiste La décision a été prise sur la base d'une lecture synchronisée de la situation économique et des perspectives des huit prochaines années. Les économistes de Bank Al-Maghrib ont justifié ce nouveau coup de pouce par la poursuite de l'inflation sous l'effet des « chocs d'offre internes » sur certains produits alimentaires, dont les prix ont augmenté de 4% en février par rapport à janvier. En somme, l'indice des prix à la consommation a grimpé à 10,1% en février, en hausse de 1,7%, par rapport à janvier. L'inflation a tellement muté que les économistes de Bank Al-Maghrib ont dû réviser leurs prévisions du mois de décembre en estimant que l'inflation se situerait à 5,5% à la fin de l'année avec une composante sous-jacente de 6,2%. Pour l'Etat, ce nouveau choc n'aura pas de forte incidence sur la mise en œuvre de la Loi des Finances puisqu'il n'y a aucun changement dans les dépenses publiques, nous confie une source gouvernementale.
Une tendance transnationale La Banque centrale a fait le choix de poursuivre sa politique monétaire restrictive pour pallier au risque d'enclenchement des spirales inflationnistes « auto-entretenues » dans la perspective d'un retour à la normale. « Le relèvement du taux directeur de 50 points par Bank Al-Maghrib était attendu par la plupart des observateurs. Plusieurs éléments justifient théoriquement cette hausse », explique Mohammed Rahj, économiste et expert financier, ajoutant que cette décision s'inscrit dans un contexte international instable où tout le monde durcit la politique monétaire. « Plusieurs facteurs poussent les banques centrales à serrer la ceinture », poursuit notre interlocuteur, qui cite à titre d'exemple « la résurgence des risques bancaires ». Allusion faite à la crise bancaire qui touche les Etats-Unis avec la faillite de la Banque de la Sillicon Valley.
Il fallait le faire de toute façon ?
« Nous avons tardé à le faire, on aurait pu prendre cette décision plus tôt », estime, de son côté, Mehdi Fakir, économiste et professeur à l'ISCAE, qui est convaincu que Bank Al-Maghrib a patienté le plus longtemps possible avant de trancher en faveur du dopage du taux directeur. « Il n'y avait pas d'autres choix compte tenu de l'inflation actuelle. C'était prévu puisque toutes les banques centrales au niveau mondial ont fait pareil », a-t-il ajouté. En effet, Bank Al-Maghrib a emboîté ainsi le pas aux banques centrales des principaux blocs économiques internationaux. En fait, la Banque centrale européenne, en mars, a relevé le taux directeur de 50 points pour atteindre 3%, tandis que la Réserve fédérale américaine reste dans des niveaux plus élevés (4,5 et 4,75%). Près de chez nous, les taux sont beaucoup plus élevés dans des pays comme l'Egypte où ça frôle les deux chiffres (9,75%). Idem pour le Kenya qui a maintenu le taux inchangé à 8,75%. D'autres économies dynamiques en Afrique comme la Côte d'Ivoire et le Rwanda sont respectivement à 6 et 6,5%. Du côté des économies émergentes, certains pays sont à des niveaux hyper-hauts. C'est le cas du Brésil, dont le taux directeur culmine à 13,75% malgré les pressions du gouvernement de Lula Da Silva qui n'ont pas eu raison de la détermination du banquier central. Toutefois, la Chine a choisi d'aller à contre-courant en baissant son taux à 2% dans la volonté d'accompagner la reprise de son économie après le choc de la politique zéro-Covid. Vers de nouvelles hausses ?
A en croire les données actuelles, les restrictions de l'accès au crédit devraient être provisoires en attendant que l'inflation revienne à des niveaux normaux. La situation risque de ne pas s'alléger aussi rapidement qu'on le souhaite puisque l'inflation risque de résister jusqu'en 2024 à des niveaux élevés à cause de plusieurs facteurs, dont la décompensation et le passage aux aides directes. Cela devrait, selon BAM, maintenir le niveau général des prix à 3,9%. Aussi, la poursuite du relèvement du taux directeur continue de diviser les économistes dont certains redoutent de nouvelles hausses faute de visibilité sur la conjoncture. Pour sa part, Mehdi Fakir n'exclut pas cette probabilité aussi lointaine soit-elle. Pour lui, la Banque centrale réagit en fonction des données dont elle dispose et se voit dans l'obligation d'agir à chaque fois que l'inflation augmente. (Voir trois questions à...). D'autres doutent de l'efficacité d'une telle restriction sous prétexte que l'effervescence de l'inflation est due, à l'origine, à des facteurs exogènes plus qu'endogènes. Ce qui pousse certains à parler « d'inflation importée ». Mohammed Rahj trouve que le débat est légitime du moment que « l'inflation est pour l'essentiel importée de l'extérieur ». « Sur le plan théorique, on estime que les augmentations du taux directeur permettent de faire baisser la demande, ce qui a pour conséquence une baisse des prix, et donc de juguler l'inflation. Mais, il est incertain que ce cheminement théorique puisse s'appliquer parfaitement au Maroc dont l'inflation actuelle est importée », conclut notre interlocuteur, qui pense que le débat doit être centré sur les conséquences de la hausse du taux directeur sur le financement des entreprises et des ménages.
Quel impact sur la croissance ?
Lorsque le taux a été augmenté à 2,5%, Abdellatif Jouahri a minimisé l'impact de 50 points de plus. Il avait clairement fait savoir que le coût serait faible sur la croissance. L'impact a été estimé à -0,2%. Selon son argumentaire, une hausse de 0,5% est le minimum souhaitable puisque le retour au niveau normal de 2% nécessite 75 points de base, ce que le Maroc ne peut pas se permettre. En gros, Bank Al-Maghrib table sur un taux de croissance de 2,6%, soit moins que ce que prévoit le gouvernement qui parie sur 4,5%. BAM parie tout de même sur un recul de l'inflation à l'échelle mondiale.
Anass MACHLOUKH Trois questions à Mehdi Fakir « Tant que l'inflation perdure, Bank Al-Maghrib se verra obligée d'agir » Mehdi Fakir, économiste, expert financier et professeur à l'ISCAE, a répondu à nos questions.
Bank Al-Maghrib a relevé le taux directeur à 3%. D'aucuns pensent que c'était prévu, d'autres émettent des réserves, où vous positionnez-vous ? De mon point de vue, la Banque centrale n'a pas eu le choix avec une inflation aussi galopante. Si je puis dire, c'est le moindre mal. Du coup, la décision a été attendue puisqu'elle est dictée par un contexte difficile où l'inflation est en train de s'ancrer progressivement dans le tissu économique. Bank Al-Maghrib essaye, en quelque sorte, de limiter les dégâts. Aujourd'hui, je ne pense pas que la décision puisse être remise en question, aussi difficile soit-elle. Faut-il s'attendre à d'autres hausses du taux directeur ? Je pense que tant que l'inflation est là, rien n'exclut une nouvelle hausse, puisque la réaction est souvent systématique. Cela dépend de la durée de la courbe des prix. Le taux directeur est l'un des rares instruments dont disposent les autorités monétaires pour atténuer l'ampleur de l'inflation. Quelle qu'en soit l'origine, l'inflation perdure. Bank Al-Maghrib a laissé assez de temps au gouvernement et aux opérateurs concernés pour se débrouiller avant de trancher. Je rappelle que BAM a tardé à réagir puisque nous étions parmi les derniers à agir. Est-ce l'unique solution à la problématique de l'inflation qui semble perdurer ? Je rappelle que c'est le gouvernement qui doit trouver des solutions et non pas Bank Al-Maghrib. Mais la solution structurelle se trouve dans la politique économique de l'Etat qui doit suivre les préceptes du Nouveau Modèle de Développement en matière de financement de l'économie. Concurrence accrue dans le marché bancaire, amélioration des marchés de capitaux, meilleures accessibilités des TPME aux marchés sont autant de pistes qui peuvent renforcer notre capacité d'amortir les chocs. Tout cela pour augmenter les capacités de production de l'économie nationale parce que le choc de la demande doit être contrebalancé par un choc de l'offre.
Propos recueillis par Anass MACHLOUKH
L'info...Graphie Flashback : Historique d'une inflation intermittente Certes, l'inflation que connaît actuellement le Maroc est inédite depuis des années. Le Royaume en a enregistré le taux de 6,2% en 1992, soit le niveau le plus élevé depuis cette année, selon les statistiques de Bank Al-Maghrib. En effet, le Maroc a déjà connu des crises inflationnistes intenses comme c'était le cas durant les années 80 où le taux variait entre 9 et 12%. Durant les deux dernières décennies, c'est-à-dire depuis le début du nouveau millénaire, l'inflation n'a pas dépassé 3,9%. Ce niveau a été atteint en 2008 en pleine crise financière internationale. C'est ce qu'on peut lire dans les données du Haut-Commissariat au Plan (HCP), qui montrent que le niveau général des prix est resté stable autour de 2% tout au long de la décennie précédente (2009-2021) avec des reculs historiques à 0,4%, 0,7% et 0,2% enregistrés respectivement en 2014, 2017 et 2019. Selon la même source, sur la période 1960-2017, l'inflation moyenne était de 4,2% par an. Le plus fort niveau jamais enregistré était celui de 1974 où le taux d'inflation avait culminé à près 18% à l'époque du premier choc pétrolier. Par ailleurs, ce n'est pas la première fois que le Maroc franchit la barre de 3%. Bank Al-Maghrib a pris cette décision à maintes reprises de 2006 à 2014. Selon les données de la Banque centrale, le Royaume est resté à 3% de 2012 à 2014 après avoir maintenu un taux de 3,25% pendant les trois ans 2009-2012. Le taux directeur a été plus élevé en 2008 en atteignant 3,5% à cause d'une conjoncture mondiale exceptionnelle (crise des subprimes). Crédit immobilier : Impact sur les contrats à taux variable Il est évident que chaque décision de relèvement du taux directeur se répercute visiblement sur le marché immobilier. Le passage à 3% a un impact mais il demeure difficilement mesurable, selon les experts que nous avons interrogés. Mais de façon générale, les décisions pareilles de Bank Al-Maghrib ont des conséquences sur les détenteurs de crédits immobiliers avec des taux d'intérêt variables. En effet, il est probable que la hausse du taux directeur entraîne celle du coût du crédit et, par conséquent, des traites mensuelles. C'est ce qu'a fait savoir l'expert en immobilier et auteur du guide "Répons'IMMO", Amine Mernissi, dans une interview accordée à la MAP. « En effet, lorsque le taux directeur de la Banque centrale évolue à la hausse ou à la baisse, cela se traduit par une hausse ou une baisse des taux d'intérêt appliqués aux emprunteurs qui avaient opté pour la variabilité », a-t-il expliqué, ajoutant « à la différence du taux fixe qui, comme son nom l'indique, n'est pas concerné par les variations du taux directeur et reste constant sur toute la durée du crédit ».