Le sport national devient «people». La presse sportive a fait ses gros titres sur la réunion du nouveau ministre de la Jeunesse et des Sports, Moncef Belkhayat, avec les fédérations sportives, en insistant particulièrement sur le fait que le président du CNOM (Comité National Olympique Marocain) et les présidents du football, de l'athlétisme et du tennis, y ont assisté. Si nos confrères ont plus retenu cela que le contenu de l'exposé ministériel, c'est parce que les présidents suscités se nomment Housni Benslimane, Ali Fassi Fihri, Abdeslem Ahizoune et Fayçal Laâraichi. Autrement dit, des «stars» dans leur domaine respectif (Gendarmerie Royale, ONEP et ONE, Maroc Telecom et SNRT). Or, c'est la dimension de ces personnes dont la réputation a été acquise hors du sport et dont le poids économico-politique est indéniable, qui aura ébahi les journalistes sportifs. Parce qu'après tout, quoi de plus normal, ou même de banal, que des présidents de fédérations sportives assistent à une réunion convoquée par le ministère de Tutelle. Et bien justement, les faiseurs de l'opinion publique n'ont pas trouvé cela banal puisqu'il l'ont placé en exergue. Que faut-il en conclure? Tout simplement que le sport national, aujourd'hui, a de nouveaux «boss » qui, plus moins consciemment, fascinent les observateurs de la scène sportive, à commencer par les médias. Ainsi, Moncef Belkhayat bénéficie d'un état de grâce assez peu commun dans son domaine et dont aucun de ses prédécesseurs n'a bénéficié, y compris Nawal El Moutawakil. Venue pourtant directement de la sphère sportive, championne olympique et dirigeante de haut niveau mondial, cela ne l'empêchera pas d'accumuler gaffes et maladresses qui ont précipité son départ. Un «mot » célèbre voulait que la guerre soit trop importante pour être confiée aux militaires - et c'est bien pour cela que ce sont les politiciens qui décident des guerres, les organisent et les arrêtent quand bon leur semble... En parodiant cela, dira-t-on que le sport est trop sérieux pour être laissé aux seuls sportifs ? En tous les cas, on dirige tout droit vers cet état de fait. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose? Là n'est pas le plus important. D'abord il est trop tôt pour en parler, ensuite le vrai problème réside dans le fait de savoir si la greffe de ces bourgeons va prendre sur un arbre bien enraciné dans ses habitudes. Car les règles, disons plutôt les habitudes, du sport national sont tellement ancrées dans les mentalités du public et des principaux acteurs dans ce domaine, que, souvent, on a assisté à des rejets massifs et douloureux. Ne citons que l'exemple du regretté Abderrazak Mekouar qui fut dénigré et qui quitta le Wydad après que les «supporters» l'avaient agressé à la fin d'un match. Aujourd'hui décédé, Mekouar est adulé, glorifié et on en parle comme un précurseur, un visionnaire que l'on aurait dû laisser travailler. Que ne l'a-t-on fait quand Mekouar était vivant et aux commandes wydadies ? Tout simplement parce qu'à l'époque (Mekouar est arrivé en 1974 au WAC), le domaine sportif se méfiait de ceux qui n'étaient pas de son monde. Un monde où l'argent faisait peur et était automatiquement sale et dangereux, car pouvant nuire à la fameuse éthique qui voulait que le sport soit au-dessus de toutes les contingences matérielles. N'oublions pas qu'il y a encore 25 ans, le CIO interdisait à tout athlète de gagner de l'argent sous peine de suspension à vie. Mais aujourd'hui, où le président Lamine Diack de la Fédération Internationale d'Athlétisme n'hésite pas à remettre un chèque de 100.000 dollars sur le podium à Uhsain BoIt, les «puristes» n'ont plus qu'à ranger leurs convictions dans les armoires des choses surannées. Désormais, les pratiquants affichent leur fortune, les millions d'euros tombent sur des sportifs dont les prédécesseurs du siècle dernier jouaient pour des prunes et pour le maillot du club. Le mensuel économique international «Capital» consacre régulièrement des rubriques à l'économie du sport, autrement dit, le sport business, et dont le plus beau fleuron est le Real de Madrid à qui, justement, «Capital», dans le numéro de ce mois-ci, consacre un reportage édifiant. L'argent, même astronomique, ne gène plus grand monde parmi les sportifs, y compris au Maroc, où tous rêvent de la réussite du Barça, de Manchester et de leur impeccable merchandising. Cela conforte des personnes, comme Kamal Lahlou, pionnier du sponsoring sportif au Maroc, ou encore Abdallah Benhsain dirigeant multidisciplinaire, qui ont toujours souhaité un environnement national où les clubs génèrent leurs propres ressources et pensent à s'extirper de l'assistanat qui est la plaie de l'amateurisme. Est-ce à dire que les nouveaux boss arrivent en terrain déjà conquis et qu'ils seront moins livrés à l'incompréhension de l'opinion publique? Pour l'instant, les nouveaux boss sont tranquilles et donnent l'impression de maîtriser leur sujet. Même les résultats catastrophiques de Berlin n'ont pas réussi à émouvoir un Ahizoune plus sûr de lui que jamais. «Je sais où je vais, je continue mon travail de fond, les résultats viendront d'eux-mêmes une fois que tout sera structuré». Même son de cloche chez Hafid Fassi Fihri: «On n'est contre personne. On travaille avec tout le monde; on est là pour faire bouger les choses et l'on va aller de l'avant». Même les résultats de l'équipe nationale et le rêve envolé du Mondial 2010 ne l'émeuvent pas outre mesure: «Pour moi la qualification au Mondial 2010 était devenue hypothétique depuis la défaite face au Gabon. On a essayé de faire le maximum pour rattraper. On a eu 3 matchs nuls; ce n'est ni bon ni tout à fait mauvais, car l'ambiance est redevenue bonne au sein des Lions de l'Atlas et l'on continuera de travailler». Faycal Laraïchi sait très bien que nous n'aurons pas des champions de tennis sans une organisation rigoureuse des clubs. La fédération ne pouvant pas tout faire et puis, le tennis n'a ni les problèmes d'infrastructure du foot ni même de problèmes matériels si tant est que les clubs daignent mieux organiser les recettes de leur club house. Quant à Housni Benslimane, parti du football, il consacre toute son énergie sportive au Comité Olympique qui a la Mission Royale (et les milliards pour) d'organiser, de financer et de préparer les J.O de Londres 2012. Voici le nouveau P.S.N (paysage sportif national) où plus personne ne s'étonne, que ce soit le D.G de la puissantissime ONA, Mouatassim Belghazi himself, qui donne au Matin du Sahara, mercredi dernier une interview.... sur le FUS. Le FUS, club béni par les nouveaux Maîtres du jeu. Pour en revenir à Moncef Belkhayat, il est tout feu tout flamme, un hebdo lui a consacré un article dithyrambique, sa photo est partout. Venant du monde du sponsoring sportif, il connaît bien les stars des stades, ceux qui attirent les sponsors. On sent que c'est là qu'il va axer son travail. Cela ne l'a pas empêché de présenter un projet plutôt bien accueilli (l'état de grâce, vous dis-je) qui s'étale carrément jusqu'en 2020. On n'est jamais trop prudent... Les nouveaux boss ont-ils gagné la partie? Ne soyons pas trop confiants. Les réflexes sont trop anciens et trop ancrés pour disparaître du jour au lendemain. Mais une chose est sûre aujourd'hui, on ne peut s'occuper du sport sans observer ce qui se fait sur la planète, car le sport est appelé à s'exporter et à être présent en dehors du territoire national (J.O, Coupe du Monde, Championnats Continentaux) et ne peut rester nombrilique, à rêver à un passé que l'on qualifie généreusement de glorieux. Il va falloir qu'on s'y fasse. Les grosses locomotives du sport national ont de nouveaux «drivers». Désormais, les pages «éco » des magazines spécialisés seront aussi importantes que les rubriques sportives, et les conseils d'administration vont à la longue remplacer les tables des cafés où se font et défont les comités et clubs. Faut-il le regretter?