Il est temps d'inverser l'équation pour réfléchir avec la diaspora marocaine et non pas pour elle, en vue de donner la part belle à leurs investissements, estime Jamal Belahrach. - La Maison de la diaspora marocaine est née en janvier dernier, 17 ans après sa conception. Comment expliquez-vous ce « retard » ? - Ce n'est pas un retard au sens ou vous l'entendez. En 2006, j'avais créé avec des amis une association qui s'appelait RITM (Réseau International des Talents Marocains) dont l'objet était d'identifier et de fédérer les talents pour les mettre au service de notre pays. Toutefois, le collectif de l'époque avait d'autres priorités et je ne souhaitais pas porter le projet de Maison de la diaspora marocaine seul. Vous savez, le monde associatif demande beaucoup d'énergie et d'abnégation. Le sens de l'intérêt général est primordial dans le militantisme et souvent cela prend du temps. - Cette ONG, qui se veut au service des Marocains du monde, est-elle née du constat que la diaspora a besoin d'un pont entre le Maroc est les pays d'accueil ? - D'abord, je veux rappeler que la diaspora a toujours était présente dans les discours de Sa Majesté et plus que cela, dès Son accession au Trône, il a rappelé le rôle de notre diaspora et confirmé qu'elle était partie intégrante de la nation. C'est aussi pour cela que la diaspora, à travers ses transferts et bien d'autres gestes, continue de montrer son attachement à son pays d'origine. Le besoin de lien est évident car la marocanité ne se perd jamais, de part et d'autre, la diaspora veut continuer à faire corps avec la nation. Le discours du 20 août a été un extraordinaire élan à la mobilisation de l'ensemble des parties prenantes pour faire évoluer la doctrine de notre relation avec notre diaspora. - La Maison de la diaspora est créée pour orienter et accompagner les investisseurs de la diaspora marocaine. Une mission difficile compte tenu des différences de cadre de référence entre le Maroc et les pays d'accueil? - Aujourd'hui, notre pays a mis en place les outils pour faciliter l'investissement avec notre nouvelle charte. De plus, la mise en place de l'Agence Marocaine de Développement des Investissements et des Exportations (AMDIE) et des Centres Régionaux d'Investissement (CRI), qui dépendent du même ministère, facilitent largement le circuit et la fluidité. Notre rôle sera de bien mieux informer en amont et ensuite de bien orienter nos amis investisseurs de la diaspora. Il est important également que la diaspora diversifie ses investissements vers les nouveaux secteurs stratégiques dont le pays a besoin. Pour cela, nous devons collectivement mieux les informer sur ces opportunités et leurs impacts sur l'avenir du pays. - Selon l'Office des Changes, les transferts de fonds effectués par les MRE se sont établis à plus de 109,15 milliards de dirhams (MMDH) en 2022, contre 93,67 MMDH un an auparavant. Cela ne signifie par pour autant que ces transferts ont un poids sur les investissements productifs. Quel commentaire en faites- vous? - Clairement, il faut rappeler que plus de 60% de ces transferts vont pour l'aide aux familles qui vivent au Maroc. Ensuite, il est nécessaire d'installer la confiance pour qu'ils sentent que leurs investissements seront sécurisés. D'où la nécessité de faire évoluer notre arsenal juridique et le rendre accessible à tous. - Institutionnellement, on assiste au retour du portefeuille ministériel des Marocains de l'étranger à partir de 2002. Quel bilan en faites-vous depuis cette date ? - Il y a des choses qui ont été faites et il reste beaucoup à faire. Il s'agit maintenant de regarder vers le futur et attendre la nouvelle feuille de route qui devrait apporter des réponses aux enjeux fixés par Sa Majesté le Roi, aux attentes de notre diaspora et aussi à la mise en place d'une nouvelle gouvernance. - A quel point les attentes de la diaspora marocaine d'aujourd'hui, qui crée des startups en Europe ou en Amérique du Nord, sont-elles différentes de celles des anciennes générations? - Est-ce que le Maroc de 1999 est le même qu'aujourd'hui ? Evidemment que non. Par conséquent, les changements de générations induisent nécessairement des changements de « Mindset », de visions et d'attentes. Nos parents avaient d'autres objectifs en immigrant dans les différents pays au moment où ces pays avaient besoin de se reconstruire. Aujourd'hui, avec la révolution numérique, les opportunités sont différentes et, donc, la 3ème et la 4ème générations vivent avec leur temps. Il faut mettre en place des dispositifs plus adaptés. - Les perpétuels changements de stratégies, est-ce cela qui entrave l'avancement de ce chantier ? - Il est temps d'avoir un projet sur le long terme et en même temps d'être en capacité de faire les réglages nécessaires. Nous sommes dans un monde qui a radicalement changé et notre diaspora aussi. Elle est plurielle et elle est de plus en plus mobile. Il faut être agile au sein d'un cadre et d'une vision stratégique claire qui soit lisible par tous et partout. - Par ailleurs, dans l'absence d'un cadre institutionnel clair qui permet une représentation, la question de la participation de la diaspora marocaine dans les politiques publiques reste suspendue. Comment comprendre cette incapacité à mettre en place un système de participation politique de la diaspora marocaine ? - D'abord, il convient de rappeler que les droits politiques sont garantis par la Constitution et que rien n'empêche la diaspora de se présenter ou de voter au Maroc. Ensuite, je pense qu'il est souhaitable que les partis politiques nationaux fassent leur travail en étant plus proches de la diaspora et soient capables de mesurer ses attentes et ensuite d'y apporter des réponses au sein de notre dispositif parlementaire actuel. L'expérience précédente en la matière n'a pas été vraiment concluante. Aussi, ne nous trompons pas d'objectifs, ni de priorités. Il s'agit d'apporter des réponses concrètes à des enjeux concrets et non pas de créer des sièges supplémentaires au sein du parlement. Le discours du 20 août est fondateur pour moi, et nous avons une obligation de réussite collective. Alors, retroussons nos manches et acceptons nos différences. Nous avons chacun un rôle à jouer et nous, en tant qu'ONG, souhaitons être un élément dynamique de l'écosystème et rien d'autre.