Le président du gouvernement des Iles Canaries est attendu, le 16 mars, au Maroc. Une visite aux allures d'une mini-RHN avec un agenda chargé de questions épineuses. Détails. Comme pour rattraper le temps perdu pour n'avoir pas fait partie de la délégation conviée à la Réunion de Haut Niveau, le président du gouvernement régional des Îles Canaries, Angel Victor Torres, s'apprête à se rendre au Maroc dans le cadre d'une visite officielle du 16 au 21 février. Une visite reportée au 15 mars. Selon la presse ibérique, il sera accompagné d'une délégation économique et commerciale, ce qui laisse augurer de discussions sur le business sachant que plusieurs entreprises canariennes opèrent au Maroc.
Accompagné d'une délégation importante, Torres compte visiter le Maroc avec un sujet en tête qui ne cesse de le préoccuper : la coopération migratoire dont le bilan est, jusqu'à maintenant, réjouissant à ses yeux. Il n'a eu de cesse d'exprimer sa satisfaction de voir les flux chuter de 30% l'an dernier, tout en présentant cela comme corollaire de la réconciliation entre le Maroc et l'Espagne. Il en a été tellement réjoui qu'il remercia Pedro Sanchez d'avoir réussi à relancer la coopération avec le Maroc. Fin janvier, alors qu'il a reçu la visite du Premier ministre espagnol, il l'a comblé de louanges, lors d'un meeting, en lui reconnaissant le mérite d'avoir su apaiser les relations avec le Maroc et relancer la coopération bilatérale.
Il semble ainsi avoir compris que le Royaume chérifien est une pièce maîtresse dans le contrôle des frontières et la lutte contre la migration clandestine. Cela dit, Torres veut profiter du capital de confiance entre Rabat et Madrid pour consolider la coopération migratoire au large des provinces du Sud. C'est d'ailleurs l'un des points cruciaux de sa visite. En effet, en 2023, les chiffres sont rassurants. Les arrivées de migrants clandestins sont largement inférieures aux niveaux enregistrés les années précédentes. Jusqu'à début février, 1.322 personnes ont débarqué sur les îles, soit presque le quart du chiffre constaté durant la même période en 2022.
Toutefois, le président de la communauté autonome semble soumis à une pression considérable de la part des députés du Parlement régional qui ne cessent de l'interroger sur son agenda à chaque fois qu'ils en ont l'occasion. La pression vient surtout du camp adverse, incarné par le Parti Populaire (PP) qui occupe cinq sièges, l'un des piliers de l'opposition avec les nationalistes canariens.
Le chef de file des députés du PP, Manuel Domínguez, a exigé de Torres de s'expliquer sur l'agenda de son voyage, tout en l'appelant instamment à défendre les intérêts des îles Canaries. Un geste qui semble naturel de la part de l'opposition espagnole qui s'est montrée très critique quant au bilan de la Réunion de Haut Niveau sans pour autant avancer d'arguments pertinents.
L'opposition a appelé à mettre les questions épineuses sur la table sous prétexte qu'elles n'ont pas été suffisamment abordées lors de la RHN. Or, le texte de la déclaration conjointe dit autrement. La migration et l'immigration sont citées au moins cinq fois dans la déclaration conjointe dans laquelle les deux pays "conviennent d'intensifier leur coopération dans le domaine de la lutte contre la migration irrégulière, le contrôle des frontières, la lutte contre les filières et la réadmission des personnes en situation irrégulière". "Les deux pays soulignent que la lutte contre les réseaux criminels de l'immigration illégale devrait rappeler également la responsabilité qui incombe aux pays du voisinage, aux pays d'origine et à l'UE face à ce phénomène", stipule la déclaration qui définit bien la responsabilité collective des pays des deux rives de la Méditerranée dans l'endiguement des flux clandestins. Frontières maritimes : le moment de vérité !
Par ailleurs, le dossier migratoire n'est que la façade d'autres questions épineuses. Il serait difficile d'imaginer la visite de Torres sans des discussions sur les frontières maritimes séparant l'archipel et les provinces du Sud. Le Maroc et l'Espagne, rappelons-le, n'ont pas encore tranché définitivement la délimitation des zones maritimes, un dossier posé sur la table depuis 2020. Compte tenu de la complexité de ce dossier, il a été écarté de l'ordre du jour de la Réunion de Haut Niveau. Toutefois, le partage équitable est nécessaire, mais nécessitera un dialogue sans ambages et des négociations de longue haleine tant la démarcation est compliquée, techniquement parlant. L'Espagne, pour sa part, semble avoir préparé son dossier à l'aide d'une task force composée de la marine espagnole, de l'Institut espagnol d'océanographie et de l'Institut géologique et minier.
Le départage est d'autant plus difficile à trancher que les Espagnols lorgnent toutes les eaux qui appartiendraient au plateau continental des Îles Canaries et qu'ils estiment supérieur en termes de superficie à ce que prévoit le Droit de la Mer. En effet, selon les explications de la task force, relayées par la presse ibérique, l'Espagne revendiquerait 296.000 km 2 supplémentaires de zones maritimes, soit une superficie qui va au-delà des 200 miles marins de la zone économique exclusive.
Que le ton soit cordial !
Compte tenu de la sensibilité des sujets inscrits à l'ordre du jour, il convient de faire en sorte que les discussions soient menées le plus sereinement possible. L'eurodéputé espagnol et ex-ministre de la Justice, Juan Fernando López Aguilar, n'a pas manqué d'adresser implicitement une sorte de mise en garde au président des Îles Canaries sans le spécifier directement. Il n'a pas manqué de réagir à la visite prévue de Torres au Maroc en lui adressant quelques "conseils". "Avec le voisin, nous devons parler laborieusement et surmonter les nombreuses différences", a-t-il affirmé, dans une déclaration rapportée par "El Diario", ajoutant que le langage doit être mesuré. L'eurodéputé, connu pour être quelqu'un qui mesure l'importance du Maroc pour son pays, a mis en garde la délégation canarienne contre l'usage de tout langage offensant.