Souvent présent dans les repas des fêtes de fin d'année, le saumon s'est imposé depuis quelques années dans les habitudes culinaires des Marocains. Caviar et saumon fumé. Ainsi était souvent énoncé le menu, comble de la gastronomie de luxe, symbole même du buffet destiné aux nantis et aux privilégiés. Si le caviar semble encore trôner parmi les mets les plus chers, le saumon a pour sa part depuis longtemps frayé son chemin vers les assiettes, les baguettes et les sandwichs de la classe moyenne. Au Maroc, comme dans d'autres pays du globe, le saumon est actuellement un produit de grande consommation, d'autant plus durant ces fêtes de fin de l'an. Avant de fondre dans vos palais, le saumon a dû quand même voyager, car l'espèce ne vit pas dans les cours d'eau du Royaume. « J'achète souvent du saumon pour préparer des encas à mes enfants. C'est pratique en salade ou même en sandwich, et puis, surtout, c'est très bon ! », nous explique Amina, nouvellement installée au Maroc avec sa famille après plusieurs années de vie en Italie. « J'achetais du saumon avant de revenir au Maroc et une fois rentrée, j'ai continué à le faire puisque c'est quasiment la même qualité. J'ai même commencé à acheter de la truite saumonée qui est élevée dans l'Atlas. C'est un peu différent, mais tout aussi bon », poursuit la trentenaire.
Prix à la hausse
Produit de grande consommation soit, mais les prix du saumon au Maroc comme ailleurs en Europe n'ont pas manqué de flamber durant ces deux dernières années. Selon les marques et types de produits, les prix du saumon ont parfois été multipliés par deux. « C'est une tendance qui a été remarquée également en Europe. L'inflation généralisée est probablement une raison probable, mais les médias italiens ont également suggéré une augmentation de la demande mondiale qui a coïncidé avec une baisse de l'offre disponible », témoigne notre interlocutrice. Au vu de l'engouement pour ce produit au niveau national, ne serait-il pas envisageable de tenter des élevages au Maroc ? « Il existe dans notre pays une salmoniculture qui prospère et qui permet de commercialiser des produits de truite saumonée dans les divers commerces du pays. Pour l'élevage du saumon, c'est une autre paire de manches, même si des expériences ont été faites durant les années 90 et 2000 et avaient donné lieu à des résultats intéressants », raconte Mohydine Himmi, expert en pisciculture actuellement à la retraite. Saumon Made in Morocco ?
« J'avais à l'époque collaboré avec une équipe qui avait tenté de réussir un élevage d'alevins de saumon dans une station piscicole du moyen Atlas. Les poissons avaient pris de la taille et nous avions beaucoup d'indicateurs encourageants. Malheureusement, ce travail n'avait pas pu être mené jusqu'à son terme », regrette M. Himmi qui estime cependant que ce n'est pas une cause perdue si la bonne approche et le bon suivi scientifique sont mis en place. « Pour se reproduire dans un milieu donné, chaque espèce de poisson a besoin d'un certain nombre de conditions particulières qui sont naturellement réunies dans son ou ses habitats d'origine. À défaut de retrouver ou de reconstituer des conditions identiques, il existe d'autres moyens qui peuvent être mis à profit. Nous avions par exemple pu déclencher la reproduction du brochet (espèce de poisson d'eau douce, NDLR) par injection d'hormones. Pour le saumon, il est certain que des protocoles peuvent être prospectés, encore faut-il bien déterminer le cadre et les objectifs à atteindre », précise le spécialiste. Truite saumonée et fario
Il n'est donc pas vain d'envisager des élevages de saumons au Maroc, mais à quel prix ? En attendant, il existe plusieurs entreprises marocaines qui prospèrent en se spécialisant dans la transformation du saumon (frais ou congelé) importé, notamment à travers des procédés de fumage industriel ou artisanal. Au vu du coût relativement bas de la main d'œuvre locale, certains de ces produits se retrouvent même réexportés à l'étranger à des prix suffisamment compétitifs. Pour l'instant, une autre espèce de salmonidé, la truite saumonée en l'occurrence, semble bien se porter sous nos cieux et augure d'un potentiel de valorisation qu'il convient de perfectionner. Si sa reproduction assistée est possible en élevage, la truite saumonée ne se reproduit pas dans les cours d'eau du Royaume où ses alevins sont régulièrement déversés par les Eaux et Forêts, au grand plaisir des pêcheurs. À ce jour, une seule espèce de salmonidé vit et se reproduit naturellement dans certains lacs et cours d'eau du Maroc : la timide et précieuse « truite fario ». Mais il s'agit là d'une autre histoire...
Omar ASSIF L'INFO...GRAPHIE
Marché Le saumon sur le podium des poissons les plus vendus
Frais, congelé ou encore fumé, le saumon occupe la troisième place des produits halieutiques commercialisés dans le monde, toutes espèces confondues (pêche et aquaculture). Le marché international du saumon est segmenté par type d'espèce (saumon atlantique, saumon coho, saumon Masu, saumon quinnat et autres) par type d'élevage et sauvage capturé et par géographie (Amérique du Nord, Europe, Asie-Pacifique, Amérique du Sud, Afrique). En 2020, plus de 2,6 millions de tonnes de salmonidés d'élevage ont été produites, contre seulement 550.000 tonnes de salmonidés sauvages capturés. Ainsi, le saumon d'élevage représente près de 74% de la production mondiale de saumon. En raison des contraintes biologiques, des exigences de température de l'eau de mer ainsi que d'autres contraintes naturelles et écologiques, le saumon d'élevage est principalement produit en mer en Norvège, au Chili, au Royaume-Uni, en Amérique du Nord, aux îles Féroé, en Islande, en Irlande, en Nouvelle-Zélande et en Tasmanie.
3 questions au Pr Mohamed Fakhaoui « L'élevage du saumon nécessite de pouvoir s'adapter à toutes ses spécificités physiologiques» Co-auteur de plusieurs études sur la faune aquacole du Maroc et directeur de l'Institut Scientifique de Rabat, Pr Mohamed Fakhaoui répond à nos questions. - Est-il possible pour le Maroc de se lancer dans l'élevage de saumon comme ça a été le cas pour la truite saumonée ? - Le saumon est une espèce dont la reproduction en élevage est assez compliquée puisqu'à l'état sauvage, ce poisson est amené à passer de milieux saumâtres à des cours d'eau douce. L'élevage du saumon nécessite donc de pouvoir s'adapter à toutes ses spécificités physiologiques et écologiques, ce qui est bien plus difficile à gérer que l'élevage de la truite saumonée par exemple. Cela dit, c'est bien évidemment possible de réussir à monter des projets locaux d'engraissage d'alevins de saumons. Comme pour le reste des filières piscicoles d'une manière générale, la clé de la réussite est cependant de pouvoir d'abord produire localement les aliments qui sont utilisés pour l'élevage. - Comment la production d'aliments dédiés à la pisciculture pourrait-elle impulser cette dernière ? - Actuellement, le coût de ces aliments constitue une part très importante dans l'investissement qui doit se faire dans un élevage de salmoniculture. Cela est dû au fait que ces produits doivent répondre à des normes bien spécifiques et qu'ils proviennent de l'importation. Partiellement constitués de poudre de poisson, ces aliments pourraient théoriquement être fabriqués localement, ce qui permettrait à la pisciculture de faire des économies et ainsi être encore plus compétitive sur le marché national et international. - De quelle manière est-il possible d'encourager une production locale de ces aliments dédiés à la pisciculture ? - Je pense qu'il y a moyen d'y arriver en mettant en place des mesures incitatives pour encourager l'émergence d'une offre nationale pour ce genre de produits. Les acteurs de l'industrie de production d'aliments pour le bétail pourraient par exemple être accompagnés pour le faire. L'essentiel est de réaliser l'apport qu'une nouvelle chaîne de valeur de ce genre pourrait apporter et de mettre en place les conditions nécessaires pour la concrétiser.