Le grand défi existentialiste de la jeunesse africaine est de tout faire pour arrêter le processus catastrophique de penser « l'Afrique sans les Africains ». La responsabilité de la jeunesse est de l'éviter à tout prix en s'appropriant le projet des Etats-Unis d'Afrique. C'est la seule et unique option qui peut protéger le continent. Explications avec Dr Paul Kananura, Président de l'Institut Mandela de Paris. -Vous avez animé dernièrement une visioconférence sur « Les responsabilités et rôles de la jeunesse africaine face aux nouveaux paradigmes géopolitiques et aux défis sécuritaires du Continent ». Que faut-il penser de cette jeunesse là aujourd'hui ? - On ne le répétera jamais assez que la jeunesse africaine incarne la force et l'avenir de l'Afrique à condition qu'elle prenne conscience pour imposer sa vision du continent et du monde. Désormais, l'Afrique doit arrêter d'être un gâteau que les autres viennent manger au détriment des Africains affamés et appauvris par des conflits asymétriques téléguidés. Voilà le noeud de responsabilité stratégique et du rôle fondamental que la jeunesse africaine doit jouer pour son avenir. En effet, l'Afrique est un continent jeune où vivent aujourd'hui environ 420 millions de jeunes âgés de 15 à 35 ans, c'est à dire en âge de jouer un rôle positif dans les processus sécuritaires et géopolitiques en cours en se plaçant du bon côté de l'Histoire pour devenir des opportunités et non des menaces pour la paix, la sécurité et la stabilité du continent. Il faudra autonomiser la jeunesse pour que l'oisiveté ne la pousse pas vers les groupes armés ou terroristes. Il faut lui inculquer une responsabilité patriotique, politique et panafricaine. La mobilisation de la jeunesse consciente est un message fort pour changer les choses sur le continent. -Vous insistez sur la sécurité, comment faire pour allier souveraineté et développement au profit de la jeunesse africaine ? - Nous pensons que les autres discours sur la ZLECAF, la forte croissance, le commerce intra-africain, les investissements et le développement des affaires n'ont de sens que si la sécurité est assurée partout en Afrique. Le rôle des gouvernants doit se concentrer sur des aspects de sécurité. En d'autres termes, nous entrons dans un monde de forte turbulence avec la montée des extrémismes dans un contexte d'hostilité. La rivalité entre grandes puissances va s'intensifier et devenir source d'instabilité (instabilité programmatique). La guerre en Ukraine a déclenché une dynamique du nouvel ordre mondial qui aura certainement deux blocs puissants : Occidental et Eurasie. Les autres technogéopolitiques vont graviter autour de ces deux pôles avec des formules d'alignement ou de non-alignement. L'Afrique sera la clé de ce nouvel ordre mondial en gestation, à condition de définir de bonnes alliances stratégiques et géopolitiques. -L'Afrique fait face aux rivalités et compétitions des grandes puissances pour contrôler des ressources stratégiques du continent. N'est-ce pas déjà-là la source d'instabilité programmatique de nos Etats ? - Effectivement, la rivalité stratégique russo-sino-américaine devrait désormais régir les relations internationales des deux prochaines décennies sur les plans militaire, économique, financier, technologique et idéologique. Cette compétition ne peut se régler que par la démonstration de la force et par la guerre masquée pour défendre des intérêts vitaux. Dans cette guéguerre chaude, la Libye, le Sahel, la Corne de l'Afrique, la RCA, la RDC et le Mozambique sont devenus des terrains de jeux et de rivalités géopolitiques pour l'exploitation des ressources naturelles et stratégiques sans strict respect de la souveraineté des Etats. Et cette conception s'étendra progressivement à toute l'Afrique et surtout au Golfe de Guinée. Le tandem Russe-Chine n'est pas en situation d'exercer un leadership mondial, mais il n'est pas certain que les Etats-Unis en soient toujours capables en situation de monopole. Cette situation est une source d'instabilité du Continent. -Faut-il donc se préparer à « l'Afrique sans les Africains » ? - Si l'on ne fait rien, cela est possible car on pense « l'Afrique sans les Africains » dans les instances mondiales de décision. La majorité des Résolutions du Conseil de Sécurité concernent l'Afrique à plus de 90% et sont prises sans possibilité de veto africain. Les offres de formations en sciences sociales excluent les Africains dans la prise des décisions économiques et stratégiques de haute technicité. Le grand défi existentialiste est de tout faire pour arrêter le processus catastrophique de penser « l'Afrique sans les Africains ». La responsabilité de la jeunesse est de l'éviter à tout prix en s'appropriant le projet des Etats-Unis d'Afrique. C'est la seule et unique option qui peut protéger le continent. -Dans ces conditions, la jeunesse africaine doit-elle se doter d'une culture stratégique à même de lui permettre de résoudre l'énigme du changement en dehors des schèmes de pensée de sentiment d'humiliation et de logique de domination ? - Tout à fait. Elle doit être en phase avec l'autonomie stratégique, la défense collective et la sécurité publique pour vaincre le terrorisme, les conflictogènes et l'insécurité. Elle a besoin d'une bonne gouvernance pour avoir les moyens intellectuels et financiers d'agir efficacement pour changer les choses. L'autonomisation de l'Afrique pour une gestion de ses ressources stratégiques passe par des offres de formations de haute technicité économique et technologique. L'émergence d'une nouvelle Jeune Elite Politique et Scientifique africaine est nécessaire pour repenser les fragilités et les priorités du continent, afin de répondre avec responsabilité aux défis du changement de paradigme géostratégique et de l'émergence du nouvel ordre mondial. Le plus grand défi est de former une génération honnête tant au gouvernement que dans le secteur privé pour faire face au monde qui vient. Comme l'expliquait le Général Mac Arthur « Les Batailles perdues se résument en deux mots : trop tard ». « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l'accomplir ou la trahir », paraphrasait Frantz Fanon. En clair, la jeunesse africaine n'aura plus le temps de regretter demain les décisions d'aujourd'hui. Entretien réalisé par Wolondouka SIDIBE