Depuis 2019, le Maroc figure sur la liste grise de surveillance du financement du terrorisme et du blanchiment des capitaux, établie par le Groupe d'action financière (GAFI). Si le Royaume a consenti plusieurs efforts pour se conformer aux règles internationales, le chemin est encore long pour une transparence financière complète. C'est un signal positif pour le Maroc. Dans l'édition 2022 de la « Basel Anti-Money Laundering Index », indice anti- blanchiment de la « Basel Institute on Governance », le Royaume a amélioré son classement de 13 places, passant du 51ème au 64ème rang mondial. Cette performance reflète les efforts entrepris par le Maroc depuis des années, pour se conformer aux exigences mondiales de lutte contre le blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme. L'objectif pour le Maroc est de sortir de la liste grise des « Administrations sous surveillance accrue » établie par le Groupe d'action financière (GAFI). La décision du maintien ou non sur cette liste sera prise lors de la prochaine réunion du GAFI, le 19 octobre à Paris. Durant la conférence de presse du 27 septembre dernier, le Wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, avait exprimé son « bon espoir » que le Royaume y parvienne, ce qui permettra, selon lui, d'ouvrir des discussions avec le FMI sur de nouvelles lignes modulables. Réforme législative Le plus grand pas dans ce domaine a été l'entrée en vigueur, en septembre 2021, de la loi n° 12-18 modifiant et complétant le Code pénal, et la loi n° 43-05 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux. Ce nouveau texte est venu combler les lacunes de l'arsenal juridique national, pointées par le GAFI. Cette nouvelle loi, déposée par le ministre de la Justice de l'époque, Mohamed Ben Abdelkader, a élargi la définition des « biens » et de leurs utilisations, susceptibles de constituer une infraction de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Afin de dissuader les potentiels transgresseurs, la loi a aussi augmenté le montant de l'amende minimale et maximale contre les personnes jugées pour blanchiment de capitaux et la saisie de l'ensemble des revenus issus de cet acte. De plus, la loi n° 12- 18 élargit la liste des crimes de blanchiment, en introduisant les crimes des marchés financiers, les crimes des ventes et des services pyramidaux, ainsi que les trusts constitués hors du territoire marocain. Cette même loi a aussi créé une nouvelle entité : l'Autorité Nationale du Renseignement Financier (ANRF). Rattachée au Chef du Gouvernement, l'ANRF est venue remplacer l'Unité de traitement du renseignement financier (UTRF) avec des attributions plus larges. Le nouvel organisme dirigé par Jawhar Nfissi est chargé de centraliser toutes les informations relatives au blanchiment des capitaux, ainsi que la coordination de l'action des autorités impliquées. Besoin d'une nouvelle approche Ces réformes législatives sont-elles suffisantes ? Selon le juriste et spécialiste du droit des affaires Chakib El Khayari, la définition même du délit de blanchiment d'argent reste insuffisante dans le Code pénal marocain. Dans l'article 574-2 de ce texte, le législateur fixe une liste d'infractions définissant le blanchiment d'argent, parmi lesquelles le trafic de stupéfiants et des matières psychotropes, le trafic d'êtres humains, le trafic d'immigrants ou la vente pyramidale. "Si les autorités constatent des mouvements de capitaux suspects, mais n'arrivent pas à prouver que ces capitaux proviennent de crimes ou de délits, elles ne peuvent rien faire", explique-t- il. Chakib El Khayari donne comme exemple la législation française, qui attribue une définition extensive du délit de blanchiment d'argent. Le Code pénal français, dans son article 324-1-1, dispose que si les opérations financières n'ont d'autres justifications que "de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus", elles sont "présumées" être le produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit. L'autre défi réside dans la structure même de l'économie nationale. La prépondérance de l'informel et des transactions en liquide rend la traçabilité des opérations compliquée. Le meilleur exemple est l'immobilier, secteur marqué par les transactions en noir et par conséquent privilégié pour les activités de blanchiment. Que l'on sorte de la liste grise ou pas, le blanchiment d'argent doit entrer dans une vision plus globale. Soufiane CHAHID Repères Convention entre la Douane et l'ANRF L'Administration des Douanes et l'ANRF ont signé, le 19 mai dernier, un protocole d'accord de coopération et d'échange d'informations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. En vertu du protocole, les deux parties veilleront à instaurer un cadre de coopération mutuel, notamment en matière d'échange d'informations pour une lutte efficace contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, avait indiqué un communiqué de presse conjoint.
L'AMMC s'implique L'Autorité Marocaine du Marché des Capitaux (AMMC) a mis en ligne, en mai dernier, une rubrique « Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme » (LBC-FT) sur son site Internet. Cet espace est structuré autour de plusieurs thématiques couvrant les textes légaux et réglementaires, guides et lignes directrices, normes internationales et liens utiles. Dans ce cadre, l'AMMC vient d'insérer un guideline pratique comportant des indicateurs de suspicion pouvant déclencher l'envoi par les intervenants du marché des capitaux d'une déclaration de soupçon à l'ANRF. L'info...Graphie Paradis fiscaux Une première victoire pour le Maroc
C'était l'autre cheval de bataille du Maroc : sortir de la liste grise des paradis fiscaux. En 2017, le Conseil de l'Union Européenne avait placé le Royaume sur la liste grise des paradis fiscaux. Cette liste comprend les pays "encouragent les pratiques fiscales abusives, ou qui érodent le produit de l'impôt sur les sociétés des Etats membres". L'UE visait particulièrement trois catégories de régimes fiscaux : les zones franches d'exportation, les entreprises exportatrices et Casablanca Finance City. Ces régimes fiscaux étaient considérés comme "dommageables" pour l'économie du Vieux continent. Dans la Loi de Finances 2020, le gouvernement a choisi de réformer profondément ces trois régimes. Rabat a aussi signé avec l'OCDE le programme BEPS (lutte contre l'érosion de la base imposable) pour la lutte contre l'évasion fiscale. Ces efforts ont fini par payer puisque, en février 2021, le Maroc est sorti offciellement de cette liste grise pour passer à la verte.
GAFI Liste grise : la malédiction du Maroc
Le Groupe d'action financière (GAFI) est un organisme intergouvernemental dont la mission est la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Cette instance évalue les politiques publiques dans ces domaines-là, et formule des recommandations afin de garantir l'intégrité du système financier du pays. En février 2021 et suite à une évaluation du cadre juridique marocain, le GAFI avait jugé que le Royaume n'était pas conforme à trois normes parmi les quarante fixées par l'organisme. Ces normes concernent les aspects organisationnels et d'échanges d'informations entre les institutions et les praticiens, le faible niveau de sanctions, et les moyens humains et matériels mobilisés dans la lutte contre le blanchiment. Cela plaçait le Maroc dans la liste grise, ce qui pouvait avoir des répercussions dans l'accès à certains financements auprès des instances internationales (FMI, Banque Mondiale...). Depuis, le gouvernement marocain s'est engagé à réformer son cadre législatif pour sortir de cette liste grise, en amendant le Code pénal et en mettant en place un organisme dédié : l'ANRF. A l'issue de sa plénière tenue du 19 au 21 octobre 2021, le GAFI a cependant décidé de maintenir le Maroc dans cette liste, jugeant que des "déficiences stratégiques" subsistent. Le GAFI avait recommandé, entre autres, l'amélioration de la surveillance et l'application de sanctions effectives, notamment vis-à-vis des institutions financières.
3 questions à Mohammed Saâd Chakroun "Il n'y a pas suffisamment de poursuites et de sanctions pour le blanchiment d'argent"
Mohammed Saâd Chakroun, consultant en droit pénal des affaires et ancien cadre de la DGSN, répond à nos questions. - Le cadre législatif marocain est-il adéquat dans la lutte contre le blanchiment d'argent ? - Le Maroc a fait de grands efforts dans ce sens, avec une législation qui répond aux impératifs de la lutte contre le blanchiment d'argent. Je pense que notre législation est adéquate avec les exigences internationales. De plus, les autorités ont aussi fait des efforts au niveau de la sensibilisation, en impliquant toutes les parties prenantes comme l'Office des Changes, la Douane ou même le ministère de la Culture qui a mené des actions auprès des commerçants de l'art. - Est-ce suffisant ? - Notre problème, c'est la dernière étape. Ce qu'on peut reprocher aux autorités, c'est qu'il n'y a pas suffisamment de poursuites, d'enquêtes et de sanctions. On a une bonne législation, mais la mise en oeuvre reste encore limitée. Le nombre de déclarations de soupçon a augmenté, mais combien d'affaires ont été résolues, combien de biens ont été saisis ? N'oublions pas que l'intérêt de la lutte contre le blanchiment d'argent et la lutte contre le terrorisme, c'est frapper la criminalité aux portefeuilles, c'est-à-dire dans ses ressources financières. - Le problème n'est-il pas inhérent à l'économie marocaine ? - Il y a un manque de volonté de la part des autorités de combattre l'informel. Beaucoup d'argent qui vient du trafic de drogue de pays comme la Belgique et les Pays-Bas est investi ici dans le foncier, dans des cafés, des appartements... Et cela passe sous les radars malheureusement. Recueillis par S. C.