La Tunisie a abandonné sa neutralité traditionnelle dans l'affaire du Sahara après l'accueil ostensible du chef du polisario par le président tunisien. Tunis cède ainsi aux pressions d'Alger. Détails. «L'amitié est une chose nécessaire, un homme qui n'a pas d'amis n'est pas un homme, et je préfère encore personnellement être victime d'une amitié plutôt que d'être l'assassin d'une amitié», ainsi s'exprimait feu Hassan II lorsqu'il parlait de la déloyauté des hommes. Une citation dont s'inspire Mohammed Maelaïnin, diplomate et ex-ambassadeur, pour commenter le geste du président tunisien, Kaïs Saïed, qui a choisi d'être l'assassin de l'amitié de son pays avec le Maroc. Sans prendre l'avis de personne, ce dernier a décidé d'inviter unilatéralement le chef du polisario, Brahim Ghali, au Sommet Japon-Afrique (TICAD8). Pis encore, le locataire du Palais de Carthage a pris soin de réserver au leader des séparatistes un accueil digne d'un chef d'Etat. Ce qui a provoqué la colère du Maroc qui a aussitôt rappelé son ambassadeur, Hassan Tarik, pour consultation, et du coup en se retirant, cela va de soi, du Sommet en question. Le communiqué du 26 août a estimé que le geste hostile du président tunisien « heurte profondément les sentiments du peuple marocain et de ses forces vives ». La diplomatie tunisienne a répliqué le lendemain par une décision semblable, tout en s'enhardissant à justifier, dans un communiqué, l'invitation du chef des séparatistes par des contrevérités. Tunis a prétendu que la pseudo RASD avait reçu une «invitation directe» du président de la Commission africaine. Le département de Nasser Bourita a rétorqué sévèrement, arguments à l'appui, aux allégations de Tunis. « Contrairement à ce qui a été dit, TICAD, elle, ne constitue pas une réunion de l'Union Africaine, mais un cadre de partenariat entre le Japon et les pays africains avec lesquels il entretient des relations diplomatiques », a indiqué le MAE dans un communiqué diffusé samedi, ajoutant, à propos de la prétendue invitation de Ghali, qu'il a été convenu dès le départ, et avec l'accord de la Tunisie, que « seuls pourront prendre part à la TICAD les pays ayant reçu une invitation cosignée par le Premier ministre japonais et le Président tunisien ». Une note de la mission diplomatique nippone auprès de l'Union Africaine a corroboré les arguments marocains. Dans cette note datant du 19 août, il est stipulé que seuls les pays ayant reçu une invitation par le Japon et la Tunisie peuvent prendre part aux travaux de la conférence. La diplomatie marocaine a rappelé que 50 invitations ont été envoyées aux pays africains ayant des relations diplomatiques avec le Japon. Revirement de Tunis : pas si inattendu ! Au-delà du Sommet du TICAD, le geste unilatéral de la Tunisie a dévoilé son vrai visage et son revirement clair dans le dossier du Sahara. En effet, il ne faut pas s'étonner du soutien tunisien au polisario, juge Tajeddine Houssaini, Professeur à l'Université Mohammed V à Rabat et fin connaisseur du dossier du Sahara. Notre interlocuteur estime que le basculement de Tunis dans le camp des ennemis de l'intégrité territoriale marocaine était prévisible vu que ce pays est entré depuis des mois dans le giron de l'Algérie. Les signes avant-coureurs sont nombreux. Tunis en a montré le bout du nez en s'abstenant de voter la Résolution 2602 du Conseil de Sécurité, considérée comme en faveur du Maroc puisqu'elle a souligné la crédibilité de l'initiative d'autonomie, comme elle a appelé l'Algérie, la Mauritanie et le polisario à adhérer au processus des tables rondes. En plus, il n'a échappé à personne le fait que le président tunisien, Kaïs Saïed, s'est assis aux côtés du chef du polisario lors du défilé militaire de l'Armée algérienne du 5 juillet. Autant de signes qui ont donné à croire que le Tunisie était en train de changer d'attitude vis-à-vis du Maroc depuis la visite du président algérien Abdelmajid Tebboune qui n'a pas manqué de gratifier le gouvernement tunisien de 300 millions de dollars. Dans l'impasse politique, Saïed sous tutelle algérienne L'Algérie, rappelons-le, s'emploie depuis longtemps à se prévaloir de la faiblesse politique et de la faillite financière de la Tunisie pour rallier cet autre pays voisin à sa pseudo cause et l'impliquer dans sa croisade contre le Maroc, sachant que ce pays a toujours su se tenir à l'écart du duel maroco-algérien. À coup de subsides financiers et de promesses de soutien économique, Alger a soudoyé le locataire du palais de Cartage. Ainsi, ce dernier s'est résigné à accepter les diktats d'El Mouradia, dont il cherche l'appui pour sortir de l'impasse dans laquelle il se trouve sur le plan intérieur. Force est de constater que Kaïs Saïed est confronté à une forte opposition de toutes les forces vives de la Nation (partis politiques, syndicats, corps judiciaire...) suite à son hold-up institutionnel. Ce dernier s'est arrogé tous les pouvoirs, en dissolvant le Parlement et toutes les institutions démocratiques. Sa tentative, qualifiée parfois de putsch, s'est heurtée à un désaveu populaire dont le fiasco du référendum de la nouvelle Constitution en est la parfaite incarnation. Le taux de participation n'a pas dépassé 30%. Ce coup de force est mal vu par l'Occident qui reproche à Saïed ses assauts contre la jeune démocratie tunisienne. Les Etats-Unis sont tellement critiques à son égard qu'ils envisagent de suspendre l'aide de 500 millions de dollars. Une aide précieuse pour un pays qui frôle une faillite qu'il essaye d'éviter en continuant de négocier avec le FMI et à compter bizarrement sur l'aide dérisoire de l'Algérie. Révocation de l'accord de libre-échange ? En suivant aveuglement les pas de l'Algérie, la Tunisie ne semble pas mesurer les conséquences de ses frasques sur ses relations avec le Maroc qui ne tolère plus la moindre animosité en ce qui concerne le dossier du Sahara. Ils sont nombreux à appeler à la révocation de l'accord de libre-échange (accord d'Agadir, qui relie les deux pays en plus de plusieurs pays arabes), en guise de représailles. Une hypothèse que n'exclut pas Tajeddine Houssaini, qui s'attend à ce que d'autres aspects de la coopération bilatérale soient altérés. Le Maroc a d'ores et déjà révisé son accord avec la Tunisie en écartant 18 produits de la liste des produits non assujettis aux tarifs douaniers. Le Royaume ira-t-il jusqu'à révoquer l'accord ? L'avenir nous le dira. Anass MACHLOUKH L'info...Graphie Sahara Kaïs Saïed critiqué par ses compatriotes
La démarche du président tunisien ne fait pas l'unanimité en Tunisie. Des personnalités politiques ont fustigé la décision de Kaïs Saïed, jugeant qu'elle porte atteinte aux relations avec le Maroc. D'autres l'ont jugée comme une erreur historique d'un pays qui a toujours été neutre en ce qui concerne l'affaire du Sahara. L'ancien président tunisien, Moncef El Marzouki, a été un des plus grands pourfendeurs de la témérité de Saïed. Dans un post sur Facebook, il a qualifié l'accueil de Brahim Ghali d'acte condamnable et irresponsable qui n'est pas de nature à sortir le projet maghrébin de « la salle de réanimation ». De leur côté, les partis politiques marocains ont été unanimes dans leur réaction, tous ont critiqué la politique irresponsable du président tunisien qui, à leurs yeux, a franchi la ligne rouge. Pour sa part, le Parti de l'Istiqlal a estimé que « les représentants tunisiens, qui sont désormais aux commandes de la nation, semblent avoir soudainement renié le bon voisinage entre le Maroc et la Tunisie ».
Somment de la TICAD Le Japon et plusieurs pays africains refusent la participation du polisario
L'accueil ostensible du chef du polisario au Sommet de la TCIAD, tenu samedi, a déplu à plusieurs pays africains. Le geste téméraire du président tunisien, Kaïs Saïed, a troublé l'agenda de cet événement. En plus du Japon, plusieurs pays africains ont réagi à ce geste sidérant. Le Sénégal, un des plus grands alliés du Maroc en Afrique, a regretté que la TICAD se déroule sans le Royaume. C'est ce qu'a précisé le président sénégalais, Macky Sall, à l'ouverture des travaux de la conférence. Ce dernier a déploré que celle-ci soit marquée par l'absence du Royaume, « un éminent membre de l'Union Africaine », selon son expression. Le président sénégalais a émis l'espoir de « voir ce problème trouver une solution durable dans l'avenir pour la bonne marche de notre organisation et de notre partenariat dans un cadre serein et apaisé ». Idem pour le Liberia qui a regretté que le Maroc soit parmi les absents, tout en appelant à « la suspension de cette session jusqu'à résolution des problèmes relatifs aux procédures » après l'invitation unilatérale de l'entité séparatiste à cet événement. De son côté, le président de la Guinée Bissau et président en exercice de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), Umaro Sissoco Embalo, n'a pas manqué de quitter la TICAD pour protester contre la participation du «polisario» imposée par la Tunisie.
3 questions à Tajeddine Houssaini « L'agressivité de l'Algérie augmente proportionnellement à la hausse du baril du pétrole »
Tajeddine Houssaini, professeur à l'Université Mohammed V et expert en relations internationales, a répondu à nos questions. - Quelle est votre lecture du geste du président tunisien ? - Personnellement, je m'attendais à ce soutien tunisien au polisario, qu'on ne peut comprendre sans l'inscrire dans son contexte politique. Le pays est en crise et bascule vers un nouveau régime où le président s'arroge tous les pouvoirs, sans égards à la contestation populaire. Ceci ressemble à un coup d'Etat institutionnel, comme le dit l'opposition tunisienne. En étant sous pression aussi bien intérieure qu'internationale, Kaïs Saïed voit en l'Algérie un paratonnerre et un appui pour rester au pouvoir et poursuivre son hold-up réactionnaire. Je rappelle qu'il y avait eu des signes avant-coureurs, dont le don de 300 millions de dollars accordé par le président algérien. Alger a également promis des facilités en termes d'approvisionnement de la Tunisie en gaz et un développement de la coopération économique. Concernant le Sahara, on ne peut s'attendre qu'à des positions radicales et opposées à la légitimité internationale d'un régime aussi faible. - Quelles seraient à votre avis les représailles du Maroc ? - En se rangeant du côté de l'Algérie et en ouvrant les bras au polisario, la Tunisie a choisi délibérément de détériorer ses relations avec le Maroc, lesquelles connaîtront forcément une escalade sans précèdent. Je fais allusion à l'accord de libre-échange qui pourrait être révoqué ou suspendu. Le statut de Tunis en tant que partenaire privilégié du Maroc ne manquera pas d'être sérieusement remis en cause. Je conclus en disant qu'Alger se sert de sa manne pétrolière et gazière comme une carte gagnante et une arme stratégique pour exercer une pression sur ses voisins. - Le Maroc est-il devenu isolé dans son voisinage maghrébin ? - En effet. Nous sommes de plus en plus face à une tentative d'écartement du Maroc de son environnement maghrébin, sachant que la Libye reste incertaine tandis que la Mauritanie change de position au gré des équilibres géopolitiques. Elle reconnaît d'ores et déjà le polisario et prétend pour autant être neutre. Nous ne pouvons nous attendre à une position plus dure de Nouakchott après ce qui s'était passé à Lagouira. J'ajoute même que l'Algérie tente maintenant d'écarter le Maroc du prochain Sommet de la Ligue arabe. Recueillis par A. M.