Avec sa double casquette de député et de médecin, Allal Amraoui, ancien Directeur Régional de la Santé et fin connaisseur des systèmes de santé, scrute depuis longtemps la réforme promise par Khalid Ait Taleb. Dans cette interview, le député istiqlalien donne son avis sur la loi cadre 6.22 et sur le statut des médecins, tout en décortiquant la nouvelle architecture institutionnelle du système de gouvernance. - Le gouvernement a entamé la réforme du système de santé, dont le projet de loi-cadre a été adopté par le Conseil des ministres, êtes-vous satisfait du contenu du projet de loi ? - D'abord, permettez-moi de rappeler comment nous en sommes arrivés à la nécessité de réformer en profondeur un système qui ne répond plus aux exigences de l'époque. En effet, le Maroc a beaucoup changé sur le plan démographique, on évolue d'une société jeune vers une autre de plus en plus vielle, avec des changements comportementaux et environnementaux qui ont entraîné un changement du mode de vie de de la population de façon générale. Paradoxalement, le Maroc a connu ses plus grandes réussites en matière de santé publique en post indépendance avec peu de moyens. Ceci a été dû à un pari judicieux sur la prévention et la promotion du mode de vie sain, avec notamment le programme national de l'immunisation et la planification familiale. Il y a eu grâce à cela une amélioration historique de l'espérance de vie, qui fut concomitante à l'éradication de plusieurs maladies transmissibles. Le système a basculé ensuite vers une médecine plus curative traitant surtout les répercutions des maladies chroniques avec une attraction naturelle vers une médecine de pointe qui coûte très cher. Le ministère de la Santé s'est transformé, par conséquent, en un ministère de soins, gérant des hôpitaux de plus en plus engorgés jusqu'à l'étouffement avec une dégradation des services médicaux, surtout dans le secteur public. La réforme a donc été inéluctable, sachant que SM le Roi a dès 2008 commencé à appeler à la réforme du secteur. La pandémie a fait prendre conscience de l'urgence d'un changement immédiat et elle a précipité l'avancement du chantier de la réforme tant espérée. Personnellement, je me réjouis de l'adoption du projet de loi-cadre et je trouve qu'il s'agit du début d'une véritable révolution puisqu'il englobe tous les aspects nécessaires au bon fonctionnement d'un système de santé. - La réforme prévoit la création d'une Haute autorité de la Santé, une sorte d'organe régulateur, est-ce nécessaire à votre avis et quelles sont les conditions de sa réussite ? - La Haute autorité a été attendue depuis longtemps, ce fut également une vieille revendication des spécialistes vu l'importance de son rôle dans le suivi et l'accompagnement du système qui, je rappelle, n'est pas l'apanage du ministère de tutelle. C'est pour cette raison que nous avons besoin d'une telle instance pour que tous les intervenants concernés puissent s'y exprimer. Leur voix est d'autant plus importance qu'ils auront leur mot à dire sur l'exécution de la réforme telle que prévue par la loi-cadre, la généralisation de la couverture médicale, la répartition de l'offre de soins selon la nouvelle carte sanitaire, la qualité des prestations, etc. Le ministère de la Santé ne peut exécuter tout seul toutes ses attributions. C'est-à-dire être juge et partie à la fois. Donc, nous avons besoin d'une instance supérieure qui puisse évaluer et juger l'action du ministère de tutelle et des autres ministères aussi puisque, je rappelle, tous les départements ministériels sont impliqués de près ou de loin dans la Santé publique. Je conclus en disant que la solution aux maux du système de santé ne peut être que budgétaire. On a beau investir dans les infrastructures, et le cout de plus en plus exorbitant des soins curatifs, il serait difficile de faire réussir la réforme sans une véritable politique de prévention à laquelle doit participer l'ensemble des acteurs concernés. - Il y aura aussi une Agence nationale du Médicament, faut-il qu'elle soit autonome et indépendante du ministère de la Santé ? - Oui, il était absolument nécessaire qu'une telle agence voie le jour et qu'elle soit dotée des moyens financiers qui lui sont propres. Elle aura pour rôle de mettre en oeuvre la nouvelle politique du médicament, et de remédier surtout aux problèmes relatifs aux procédures d'homologation et procédures d'enregistrement. Aussi faut-il que cette agence veille à la qualité de l'offre de médicaments et promouvoir le médicament générique. C'est une condition sine qua non pour garantir notre souveraineté nationale. - Actuellement, il existe un grand désaccord entre les pharmaciens et le ministère sur la question du droit de substitution, faut-il le leur accorder ? - Certes, il s'agit d'une question qui suscite beaucoup de débats au sein de la profession. Comme vous le savez, le fait que le droit de substitution soit réclamé est tout à fait légitime du moment qu'il existe dans plusieurs pays. Cette revendication est réalisable pourvu qu'il y ait les conditions nécessaires que pourrait assurer l'Agence nationale du médicament, à travers son rôle en matière de bioéquivalence. - Avec la généralisation de l'AMO, 22 millions de nouveaux bénéficiaires auront droit à la couverture médicale d'ici 2023, cela entraînera une hausse brusque de la demande sur les médicaments, comment faire face à cette demande à court terme ? - La consommation des médicaments va certainement augmenter suite à la généralisation de la couverture médicale, raison pour laquelle il faut développer la production des médicaments génériques. Ceci aura pour résultat de réduire le coût et le prix des médicaments. Nous ne pouvons pas atteindre cet objectif sans redresser et rebooster l'industrie pharmaceutique nationale, qui a été un fleuron de notre industrie. C'est une condition sine qua non pour garantir notre souveraineté nationale dans ce domaine. Je suis personnellement confiant en notre capacité à relever le défi à condition que les nouveaux organes prévus par la réforme soient performants. - Le gouvernement a promis une réforme de la Fonction publique de la Santé avec une valorisation des médecins. Pensez-vous que le paiement à l'acte pourrait être suffisant pour encourager les médecins ? - D'abord, la valorisation des ressources humaines ne peut se faire sans légiférer et concevoir une loi spécifique aux fonctionnaires de la Santé. Il faut reconnaître que le personnel de Santé a été géré de façon, pour le moins que l'on puisse dire, calamiteuse en absence de textes réglementaires adéquats. Donc, j'estime que la nouvelle Fonction publique sanitaire aura la vertu de mieux gérer les ressources humaines et rendre le secteur public plus attractif, et ce, à travers une meilleure rétribution des médecins et du personnel soignant en contrepartie d'un meilleur rendement pour une utilisation satisfaisante de nos structures publiques ou privées. . - L'autorisation des médecins étrangers est toujours contestée, qu'en pensez-vous ? - Il est tout à fait naturel que le Maroc ouvre la porte aux compétences étrangères comme la majorité des autres pays. Or, une loi ne suffit pas pour attirer les médecins étrangers, il faut que la pratique médicale au Maroc et notre système soit attractifs. - Faut-il réguler la mobilité des médecins de façon plus stricte entre le public et privé ? - La mobilité entre les deux sphères est importante pourvu qu'il y ait une complémentarité entre le public et le privé, dont dépendra la réussite de la généralisation de l'AMO. C'est là où il faut trouver des solutions. Force est de constater que le privé emploie la moitié des ressources humaines au niveau national, il a consenti d'énormes efforts en terme d'équipements lourds, et soigne la majorité des citoyens qui possédaient une couverture médicale avant sa généralisation future. Donc, il faut trouver un point d'équilibre pour que la mobilité soit fructueuse et bénéfique et non pas une entrave pour le système. J'ajoute que la mobilité demeure nécessaire puisque le malade a le droit de choisir le médecin qui va le soigner. Il est donc vital qu'on fasse preuve d'intelligence pour établir un partenariat public-privé dans ce sens. Recueillis par Anass MACHLOUKH Déficit de 32.000 médecins : comment rattraper le retard ?
L'une des carences les plus visibles du système de santé : le manque de ressources humaines, sachant que plus de 32.000 médecins manquent à l'appel, sachant que le Maroc n'a jamais réussi à former 3300 médecins par an conformément à l'objectif décidé en 2007, fixé par le gouvernement Jettou. Qu'est-ce qui a conduit à cet échec ? Allal Amraoui estime que cette ambition ne s'est pas traduite en réalité à cause de l'absence de volonté politique des gouvernements qui ont pris en charge le pays à partir de 2012. « Aujourd'hui, tous les ingrédients sont réunis pour surmonter les obstacles que nous avons rencontrés ces dernières années », a affirmé le député, ajoutant que le cap reste encore important pour se conformer aux standards de l'OMS. « Arriver à 3300 médecins formés par an serait déjà un pas en avant », a-t-il poursuivi. Pour accélérer la cadence, le ministère de l'Enseignement supérieur a jugé bon de réduire la durée d'études de médecine. Une mesure qui n'aurait pas forcément un impact sur le nombre annuel des lauréats des Facultés de médecine, estime M. Amraoui, qui est persuadé que la réduction de la durée des études est tout autant nécessaire puisqu'elle s'inscrit dans le cadre d'actualisation de la formation qui n'a pas changé depuis quarante ans.