Happy Smala et ESSEC Afrique dévoilent cette semaine la 2ème édition du baromètre du financement collaboratif (crowdfunding) au Maroc. Rencontre avec Eric Asmar, CEO de Happy Smala, et Salaheddine Moutacharif, co-fondateur de l'In-LabAfrica- centre pour l'innovation et l'entrepreneuriat de l'ESSEC Afrique. - Happy Smala, ESSEC Afrique et In-LabAfrica dévoileront, mercredi 27 juillet, une nouvelle édition du baromètre du financement collaboratif (crowdfunding). Pouvezvous d'abord nous dresser le bilan de sa première édition et les perspectives ? - La nouvelle édition du baromètre du crowdfunding au Maroc se focalise sur les campagnes de don, le seul type de crowdfunding auquel les projets marocains ont accès en ce moment. Les résultats des deux éditions du baromètre indiquent une croissance importante. En effet, le montant total levé entre l'édition 2014 et 2021 a augmenté de 74% (de 2.16 MDH à 3.76 MDH). Nous voyons également plus de campagnes réussir (de 117 à 171). Les campagnes avec le plus grand taux de réussite soutiennent les projets environnementaux, sociaux et culturels. Environ 80% des campagnes ont été lancées à l'étranger, notamment en France, et la majorité des contributions proviennent des mêmes zones géographiques. Nous nous attendons à une inversion de cette tendance dès que le cadre réglementaire se stabilise, permettant le lancement d'une nouvelle génération de plateformes. - Le gouvernement a adopté un décret d'application de la loi 15.18 sur le financement collaboratif. Ce texte est-il favorable au développement imminent de ce mode de financement ? - Les derniers textes éclaircissent les attentes des régulateurs en matière d'agrément et de suivi des plateformes de don et de prêt, notamment en matière de gestion de risques et de transparence vis-à-vis du public. Il reste encore pas mal d'éléments à clarifier dans les futurs textes réglementaires, notamment concernant le crowdfunding equity. Le plus important pour les nouvelles plateformes et leurs clients sera l'opérationnalisation de ces textes, et à quel point les régulateurs seront impliqués dans leur quotidien. Ceci va s'éclaircir au moment du lancement des processus d'agrément des plateformes. - Quelles sont les perspectives d'évolution du crowdfunding au Maroc, surtout en matière d'adhésion des personnes ? - Le crowdfunding se positionne comme complément des autres types de financements institutionnels sur le marché, notamment pour financer des projets que les banques, les bailleurs et les investisseurs ne peuvent pas financer. Beaucoup d'entreprises et d'associations traversent la "vallée de la mort" entre des financements (souvent des subventions) qu'elles peuvent recevoir au lancement de leur activité, et des fonds institutionnels plus importants généralement réservés pour des projets plus matures avec plusieurs années d'activité. Le crowdfunding peut servir comme pont pour traverser cette vallée. Concernant l'adhésion, les résultats du baromètre nous montrent un engagement fort pour soutenir des projets sociaux, culturels et environnementaux au Maroc, notamment de la part des Marocains du Monde. En moyenne, plus de la moitié des contributions aux campagnes de crowdfunding provient de l'étranger, qui est un phénomène bien établi dans les économies émergentes. Le crowdfunding a le potentiel de canaliser les fonds de la diaspora, qui, aujourd'hui, passe surtout via des transferts directs vers des particuliers, vers des projets qui peuvent créer plus d'impact et des retours économiques beaucoup plus importants. - Quelle place est-elle accordée au crowdfunding dans l'écosystème entrepreneurial et des start-ups au Maroc ? Comment évolue-t-il ? - La place du crowdfunding, même si en forte croissance, reste limitée, se heurtant à plusieurs obstacles réglementaires. Ceci dit, la perception et la prise de conscience par rapport à ce mécanisme de financement ont beaucoup évolué. Si nous arrivons à régulariser et cadrer le crowdfunding au Maroc, nous pensons qu'il sera un outil précieux pour l'accélération et le développement de l'écosystème entrepreneurial et un soutien pertinent pour la création et la survie des start-ups émergentes. Le crowdfunding pourra aussi être la porte d'entrée vers de nouvelles initiatives d'innovation et d'investissement dans de nouvelles économies, notamment les technologies appliquées multisectoriellement mais aussi une bouffée d'oxygène financière qui viendra raviver la flamme des projets culturels, sociaux et environnementaux. Cela avance dans la bonne direction tant sur le plan réglementaire que sur le plan de la perception en général, mais il faut passer à la vitesse supérieure. - Quels sont les obstacles auxquels sont confrontées les plateformes de financement collaboratif ? - Nous pouvons regrouper les obstacles que confrontent les plateformes en trois grandes catégories. D'abord, la fidélisation des utilisateurs. Les plateformes de crowdfunding font de la mise en relation entre porteurs de projets et contributeurs (des "backers" dans notre jargon), et doivent proposer des offres adaptées aux deux types de clients. Du côté des projets, il s'agit d'offres concurrentielles à d'autres plateformes, mais parfois à d'autres types de financement (banque, microfinance, bailleur de fonds, investisseur institutionnel). Du côté des "backers", il s'agit de proposer des opportunités de placement adaptées, et de pousser une plus forte adoption des moyens de paiement en ligne (carte bancaire, e-wallet, etc.) Deuxièmement, la pérennisation de leurs modèles économiques. Les plateformes prennent des marges très maigres (environ 5-15% du montant levé par campagne, selon le type de financement), qui nécessite une croissance rapide (probablement vers l'international) et un volume de transactions important. La troisième catégorie d'obstacles est la réglementation, qui, selon le type de financement collaboratif, exige un suivi similaire à un établissement de paiement, une banque ou un fonds d'investissement. Ceci vise à protéger à la fois les contributeurs et les porteurs de projets, afin de lutter contre la fraude, les défauts de paiement et le financement d'activités illicites. Cependant, ceci demande de l'expertise et des ressources, qui dépendent des deux catégories précédentes.
Le crowdfunding pourra aussi être la porte d'entrée vers de nouvelles initiatives d'innovation et d'investissement dans de nouvelles économies. - A quel point le marché africain pourrait-il être un relais de développement pour les futures plateformes marocaines de crowdfunding ? - Le marché africain pourrait très bien devenir un relais de développement pour les futures plateformes marocaines de crowdfunding pour deux raisons : Premièrement, le marché africain est encore presque vierge avec en moyenne 1,05 plateforme/pays (57 au total pour le continent) et 0,1% des montants levés par le biais du crowdfunding dans le monde. Cela en dit long. Mais, et contrairement à ce que l'on pourrait penser, les plateformes marocaines devront faire face à une concurrence très forte des 3 pays leaders sur le continent et qui concentrent la quasi-totalité des opérations du crowdfunding en Afrique : l'Afrique du Sud, l'Egypte et le Nigeria. Ce qui est très normal puisque ces mêmes 3 pays survolent tout le secteur de la FinTech sur le continent. La deuxième raison est que l'Afrique est un marché prometteur, à condition de mettre les moyens, puisque toutes les études sociales et sociétales le placent en haut du classement quand il s'agit d'ancrage des valeurs de solidarité. Cette donnée ne peut pas passer inaperçue puisque l'un des piliers de réussite du modèle financier du crowdfunding est bel et bien le capital humain et social. Recueillis par Safaa KSAANI