Dans son nouvel ouvrage intitulé "Post-Vérité et Fake news : la montée du populisme et l'attaque contre la démocratie", Lahcen Haddad décrypte le phénomène "socio-politique" des fausses informations. - Pouvez-vous d'abord nous présenter votre ouvrage consacré aux "Fake news" ? - Il s'agit d'une analyse historico-politique du phénomène mais également d'une critique idéologique des notions qui alimentent la nébuleuse populiste en général. Mais puisque le populisme d'Orban est différent de celui de Trump, de Chavez ou encore de Bolsonaro, une contextualisation géographico-politique de comment la vague de « faits alternatifs » a conquis les esprits a été nécessaire. Le travail est une critique politique d'un phénomène socio-politique qui risque de s'installer et affecter négativement l'exercice démocratique. - Le titre de votre ouvrage laisse penser au lien entre les fake news et la montée du populisme. Quelles conclusions en tirez-vous ? - Les fake news sont inextricablement liées au populisme ; c'est l'un de ses instruments les plus redoutables. Le populisme veut dire toute idée ou activité politique qui sert à avoir le soutien des gens ordinaires en leur donnant ce qu'ils veulent (Cambridge). Mais puisqu'on ne peut pas leur donner tout ce qu'ils veulent, on crée des fake news pour dire ce qui aurait pu se produire si l'élite, le parlement, les partis politiques n'étaient pas corrompus. La désinformation, l'attaque contre les élites, les solutions simples (« si on abolit le parlement on peut construire des écoles et des hôpitaux dans tout le pays »), le mépris du processus démocratique et la célébration des leaders forts et autoritaires sont les piliers de la mouvance populiste qui sévit en Inde, au Brésil, aux USA, au Venezuela, en Turquie, en Europe de l'Est, au Sri Lana het en Asie centrale... - Que ce soit sur Twitter, Facebook ou WhatsApp, les fake news prolifèrent sur les réseaux sociaux. Leurs effets sont-ils réellement compris ? - Les gens adorent les fake news parce que ce sont leurs désirs, rêves, ou peurs les plus profonds qui sont mis en exergue d'une façon simple, mais dramatique dans les fake news. Le fait qu'elles sont partagées des milliers de fois leur donne une semblance de réalité ; c'est une « illusion temporelle». La partie narrative, le partage, la réponse à un sentiment profond réprimé les rend presque irréfutables. Mais les fake news ne sont pas totalement des mensonges ; ils mélangent des doses de vérité avec des non-vérités ; le semblant de vérité cache le mensonge ; la vérité est un repoussoir comme chez les peintres anglais des paysages du 18ème siècle : elle sert pour créer une profondeur où loge le mensonge. Il est donc difficile de comprendre ou déconstruire les fake news sans comprendre cette imbrication rhétorique de la vérité et du mensonge. - Comment décrypter les Fake news ? - Washington Post a créé une cellule qui suivait les mensonges, fake news et demi-vérités de Donald Trump. En l'espace de deux ans à la Maison Blanche, celui-ci a produit plus de dix mille fake news, selon Washington Post. CNN avait recruté un expert dont la fonction était de décrypter les fake news des médias et des politiciens. Au Maroc, on a besoin d'un observatoire qui ne fait que ça ; malheureusement, des journalistes font de la concurrence aux « influenceurs » dans la création du contenu fake ; idem pour des enseignants et des universitaires. Les politiciens, des personnes publiques ou le secteur privé sont souvent des cibles d'attaques médiatiques téléguidées ou spontanées basées sur les fake news. C'est la responsabilité des médias et de la société civile de mettre en place des outils pour décrypter les fake news et en parler. Le silence des médias et de la société civile est incompréhensible. - Qui est le plus souvent à l'origine des fake news ? Peut-on les circonscrire à un type d'émetteur ? - Les fake news n'est pas seulement l'arme des plus faibles ; ceux-ci y ont recours pour faire valoir leur critique du pouvoir qui les "marginalise". La classe moyenne, frustrée par l'effritement de son pouvoir d'achat, en crée également. Des forces d'opposition idéologique, conservatrice ou d'extrême gauche, les utilisent pour déstabiliser un gouvernement en place au nom d'un peuple martyrisé ou une nation victime de connivence des élites avec le capital et l'Etat profond. Des journalistes et des influenceurs sont recrutés par des groupes ou individus pour faire descendre une personnalité publique. Les créateurs des fake news abhorrent le débat public rationnel. Ils aiment vivre en cachette derrière leurs smartphones. - Comme nous sommes tous de potentiels faussaires de l'information, comment peut-on mieux combattre les fausses informations ? - Il faut toujours se poser la question : est-ce vrai ? Comment puis-je confirmer cette information ? Est-ce que la source est fiable (une agence de presse officielle - sauf l'agence de presse algérienne qui est devenue récemment une grande source de fake news à l'encontre du Maroc -, un journal respecté et professionnel, une source gouvernementale, un think tank respecté, une agence internationale, un journaliste intègre et respectable, etc.) ? Le fait que de nombreuses personnes partagent une information n'est pas un gage de sa fiabilité. Il faut également dénoncer les fake news et ceux et celles qui les fabriquent. Le silence ne fait que perdurer le tort induit par le mensonge. La vérité est un acte courageux en ces temps-ci ; mais on ne peut pas faire perdurer des sociétés démocratiques et ouvertes sur la base de fake news et des agissements de forces occultes. Recueillis par Safaa KSAANI