Le gouvernement s'apprête à réformer la loi relative à l'expropriation pour cause d'utilité publique à cause de sa désuétude. Raison pour laquelle le Département de Nizar Baraka a lancé les consultations auprès des experts en organisant un premier atelier. Détails. Tombée en désuétude, la loi n°7-81 relative à l'expropriation pour cause d'utilité publique a plus que jamais besoin d'une révision profonde afin de s'adapter aux exigences de l'époque. Une urgence dont est conscient le ministère de l'Equipement et de l'Eau qui a réuni plusieurs experts afin de se pencher sur cette question lors d'un atelier, organisé mardi. L'objectif est de faire le diagnostic de l'état actuel des choses et procéder au partage des expériences. Au moment où le Maroc est engagé dans plusieurs projets de développement, notamment de grands chantiers d'infrastructures, le pays est confronté à une forte demande sur le foncier, ce qui pose plusieurs défis au niveau de l'expropriation des terres privées. A ce titre, le ministre de l'Equipement et de l'Eau, Nizar Baraka, qui a inauguré cet atelier, a rappelé que durant les deux dernières décennies, le réseau routier s'est amplifié de 57.000 kilomètres, avec plus de 1800 kilomètres d'autoroute supplémentaires. Ce à quoi s'ajoutent 169 nouveaux barrages, 40 ports et 2109 lignes ferroviaires. Une procédure bureaucratique Comme l'a plaidé le ministre de tutelle, l'arsenal législatif actuel n'est plus en mesure de répondre aux problèmes que pose la procédure d'expropriation telle que définie dans la loi actuelle. D'ailleurs, les problèmes sont nombreux :bureaucratie, complexité des procédures, enchevêtrement des compétences des différents intervenants, vide juridique concernant les délais... Tout ceci pénalise autant les propriétaires concernés que les projets d'infrastructures. Raison pour laquelle le discours royal du 14 octobre 2016 à l'occasion de l'ouverture de l'année législative du Parlement a insisté sur l'importance de rompre avec les pratiques qui nuisent aux droits des citoyens et à leur indemnisation. Aussi, le discours avait-il appelé à remédier à la lenteur des procédures d'expropriation et à la non-exécution des décisions judiciaires. Autant de raisons qui nécessitent une modernisation du cadre légal qui accuse plusieurs carences, dont la pesanteur de la bureaucratie. Sur ce point, les experts ont souligné la multitude d'intervenants dans la procédure, ce qui complique son accélération. Au Maroc, il existe près de 17 intervenants institutionnels dans la procédure (Agence nationale de conservation foncière, Administration, Justice, etc...), un chiffre extravagant par rapport à des pays comme la Belgique et la France, où le nombre d'intervenants ne dépasse pas six. D'où l'urgence de réduire le poids de la bureaucratie. Vers une Agence spécialisée ? D'où la proposition de la création d'une Agence spécialisée dans l'expropriation capable de gérer la procédure et réunir l'ensemble des intervenants. Une idée qui semble faire son chemin et que partagent plusieurs experts qui ont pris part à l'atelier. Ces derniers représentent les différents départements ministériels concernés, des établissements et entreprises publics comme l'ONCF, des inspecteurs des Finances, en plus d'un représentant de la Cour de Cassation. Chacun a dressé les innombrables difficultés rencontrées lors des procédures d'expropriation. L'autre point épineux qui contribue à la lenteur des procédures est la question des délais. Force est de constater que la loi ne prévoit pas des délais maximums à ne pas dépasser, ce qui fait traîner les procédures pendant des années. Indemnités : besoin de maîtriser les expertises d'estimation A défaut de culture de médiation, les affaires liées à l'expropriation finissent souvent dans les tribunaux, sachant que les dossiers ont proliféré, atteignant 10.155 affaires jugées. Entre 2015 et 2016, plus de 3790 affaires ont été portées à l'Agence judiciaire du Royaume, selon Khalid Sbiaâ, inspecteur des Finances, qui a pris part à l'atelier. Sur ce point, Hamid Ouled El Blad, ancien Magistrat et Conseiller à la Cour de Cassation, a plaidé pour privilégier davantage le recours au règlement à l'amiable des affaires d'indemnisation à travers la médiation et la conciliation. Faute de quoi la Justice demeurera encombrée par la prolifération des affaires de ce genre. A quoi s'ajoute la problématique des estimations arbitraires des montants d'indemnisation au gré des experts agréés par la Justice. Selon plusieurs intervenants, il est fréquent que la valeur des terrains ou des biens fonciers expropriés soit estimée de façon arbitraire. Par conséquent, l'Etat subit plusieurs pertes en payant des sommes supérieures à la vraie valeur des biens expropriés. C'est pourquoi il a été recommandé de fixer une grille de référence pour éviter ce problème. A noter ici que l'article 20 de la loi 7-81 stipule que les montants des indemnisations sont fixés selon la valeur vénale du bien exproprié au moment de l'annonce de la décision d'expropriation. En outre, elle ne peut s'étendre à un dommage incertain, éventuel ou indirect. Par ailleurs, la loi actuelle est d'autant plus lacunaire qu'elle manque d'une définition claire de l'utilité publique, l'unique raison qui justifie toute expression. Loin d'être un souci anodin, ce vide juridique est à l'origine d'innombrables complications, surtout lorsque les affaires d'expropriation sont portées devant les tribunaux. Il est donc judicieux d'encadrer davantage le pouvoir d'appréciation dévolu aux administrations, aux collectivités et aux entreprises publiques pour amoindrir le risque d'interprétation abusive du concept d'utilité publique. Force est de constater que les cas d'expropriation arbitraire sont nombreux, à en croire les différents intervenants. En effet, faute d'une définition claire, les citoyens peuvent parfois se voir victimes de saisines arbitraires de leurs biens pour peu que l'administration compétente estime qu'elle a besoin du bien concerné. La jurisprudence est claire : l'expropriation ne peut être entérinée que si elle est justifiée par un besoin impérieux pour l'Etat. Ceci dit, le bien faisant l'objet d'une tentative d'expropriation doit servir à un projet d'utilité public (autoroute, aéroport, ligne ferroviaire, barrage, etc...). A noter que le gouvernement s'apprête à réformer le cadre légal relatif à l'expropriation pour cause d'utilité publique, un principe qui doit être mieux défini dans la nouvelle loi en cours de gestation. Il faudra du temps avant d'aboutir à la mouture finale du texte puisque le chantier de la réforme vient d'être ébauché. Anass MACHLOUKH