Parmi les pays qui ont ardemment soutenu l'indépendance du Maroc, le Pakistan espère se rapprocher davantage du Royaume à travers l'industrie militaire et le commerce. Tout permet un tel rapprochement d'autant qu'Islamabad est proche du Maroc sur la question du Sahara. Hamid Asghar Khan, l'ambassadeur pakistanais à Rabat, nous en parle. Interview. - Vous avez rendu hommage récemment à la mémoire d'Ahmed Balafrej, l'une des personnalités historiques du mouvement national, en décernant une distinction à son fils, que représente pour vous l'ancien Secrétaire général de l'Istiqlal ? - Nous, pakistanais, avons une sympathie particulière pour l'une de grandes figures de la résistance marocaine. Comme vous savez, à travers ses sacrifices et sa lutte contre l'oppression coloniale, il a rendu un grand service à son pays, sachant qu'il fut l'un des signataires du manifeste de l'Indépendance du 11 janvier 1944. Si nous avons honoré sa mémoire, c'est parce qu'il avait une relation particulière avec le Pakistan. En effet, avant l'indépendance de votre pays, le Pakistan soutenait M. Balafrej pour défendre et faire connaître la cause de l'émancipation du Royaume de la colonisation française aux Nations Unies. Je saisis cette occasion pour rappeler que la délégation pakistanaise lui avait accordé un passeport diplomatique pour qu'il puisse entrer à l'ONU et faire entendre la voix des Marocains à partir du siège du Pakistan. Ahmed Balafrej fut proche du fondateur du Pakistan moderne, Muhammad Ali Jinnah, avec qui il correspondait fréquemment. D'ailleurs, sa famille possède encore des lettres qu'ils s'étaient échangées. Je suis personnellement heureux que l'avenue dans laquelle se trouve le siège de notre ambassade porte son nom. - Le Maroc et le Pakistan, semble-t-il, entretiennent des relations historiques qui remontent aux années 50, comment vous les évaluez aujourd'hui ? - Les relations entre les deux pays sont, comme vous dites, historiques, les deux pays partagent beaucoup de choses, dont le même statut dans leurs régions respectives. Le Maroc est la porte de l'Afrique tandis que le Pakistan est la porte de l'Asie du sud. Ils partagent également l'appartenance à un environnement régional hostile. Le Maroc a une relation compliquée avec l'Algérie, comme celle que nous entretenons avec l'Inde. En sus, nous partageons la même religion et c'est un point commun considérable. Toutefois, les relations bilatérales ne sont pas à la hauteur des espérances et je ne puis trouver d'autres raisons que les différences linguistiques pour expliquer cela. Vous êtes un pays francophone et nous sommes anglophones. Pourtant, l'histoire nous rapproche. Donc, pour aller de l'avant, il faut que les deux pays s'engagent pleinement ensemble dans la coopération sud-sud en accordant plus d'attention au commerce et au partenariat économique. Nous vivons dans une mondialisation qui exige de plus en plus d'ouverture. - La coopération militaire demeure l'un des domaines les plus prospères dans les rapports entre Rabat et Islamabad. Pourquoi attachez-vous autant d'importance au domaine militaire avec le Maroc, pays si lointain du vôtre ? - Oui, les deux pays sont en train de développer leur coopération militaire de façon progressive. Ils ont commencé par multiplier les exercices conjoints comme vous l'avez constaté, avec les exercices conjoints des forces spéciales qui ont eu lieu en octobre dernier. Il y a eu d'autres exercices navals conjoints. Les délégations militaires se rencontrent de façon régulière et nous nous en félicitons. Le Maroc est un pays très avancé dans la lutte contre le terrorisme et un pays stratégique en méditerranée. - Lors d'une visite au Maroc en 2016, l'amiral pakistanais, Arshad Mahmud Malek, a proposé de partager son expérience dans la fabrication des avions de chasse avec le Maroc, est-ce toujours d'actualité ? - Oui, parce que nous avons pris acte de la volonté du Maroc de développer sa propre industrie militaire. Notre pays est connu pour son expérience considérable dans ce domaine, puisqu'il dispose d'une industrie qui produit plusieurs équipements et d'appareils sophistiqués, dont les véhicules blindés, les armures, les missiles, les tanks et les avions de chasse JF-17. Nous avons une offre très diversifiée. Nous sommes toujours prédisposés à coopérer et partager nos atouts, il suffit que le haut commandement des Forces Armées Royales en fasse la demande. - En ce qui concerne l'affaire du Sahara qui est une cause sacrée au Maroc, seriez-vous prêts à reconnaître la souveraineté marocaine comme l'ont fait plusieurs pays? - Sur ce sujet, nous avons toujours été clairs, nous n'avons jamais reconnu le polisario ni entretenu la moindre communication avec leurs représentants. Ce que je peux vous assurer, c'est que notre pays a toujours soutenu l'intégrité territoriale du Maroc, dans la limite de ses capacités, et continuera de le faire. - Le commerce bilatéral demeure très faible, pourtant rien n'a été fait pour le promouvoir, en dépit des déclarations de bonne intention des responsables des deux pays, comment sortir du marasme actuel ? - Soyez sûrs qu'il y a beaucoup de choses positives à faire dans ce domaine. Il suffit de saisir les opportunités qui se présentent. Je trouve que le secteur des phosphates est l'un des secteurs où nous pouvons coopérer plus efficacement. Le Maroc est l'une des plus importantes réserves au monde, sachant que nous en importons plus de 375 millions de dollars chaque année. Je rappelle que les deux pays sont d'ores et déjà liés par un partenariat dans ce domaine, sachant que l'OCP et le groupe pakistanais " Fauji" sont partenaires et disposent d'une unité de production d'acide phosphorique au sein de l'ensemble industriel du groupe OCP dans la plateforme de Jorf Lasfar. C'est un exemple concret de ce que les deux pays sont capables de faire ensemble. - Quels sont les secteurs où les deux pays peuvent coopérer davantage ? - Il y en a beaucoup, j'en cite le tourisme sur lequel repose une partie importante de l'économie marocaine. Je plaide toujours, à chaque fois que j'en ai l'occasion, à promouvoir la coopération bilatérale dans ce secteur, que je juge insuffisante. Le Maroc est un pays touristique par excellence et connu pour sa modération religieuse et sa stabilité politique, ce qui peut rassurer les touristes pakistanais. Ceci pourrait être un point de départ pour évoluer ensuite vers le tourisme économique ou ce qu'on appelle chez nous "Business tourism", qui me semble plus intéressant vu sa capacité à promouvoir les investissements. - Tant qu'on parle d'investissements, comment le Maroc est perçu par la communauté d'affaires pakistanaise? - Selon les impressions que j'ai eues de la part des hommes d'affaires que je connais, je puis vous assurer qu'ils sont de plus en plus nombreux à s'intéresser au Maroc en tant que marché en expansion. Pareil pour la classe politique qui voit avec beaucoup d'intérêt l'émergence économique du Maroc en Afrique. Le positionnement du Maroc sur le marché africain surtout dans la zone de la CEDEAO est impressionnant. En prenant acte de cela, nous sommes prêts à inciter les investisseurs pakistanais à investir dans les provinces du Sud pour se lancer dans le marché d'Afrique subsaharienne, si nous obtenons des facilités. Le secteur du textile me semble un bon point de départ puisqu'il s'agit de la plus grande industrie manufacturière au Pakistan qui est le huitième exportateur de produits textiles en Asie. Après la fin de la pandémie, nous avons l'intention d'encourager les visites de délégations d'homme d'affaires pour traduire ses aspirations en réalité. Recueillis par Anass MACHLOUKH